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Présent simple de Rino Noviello

Publié le 22/10/2018 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Contre l’éternel présent de l’instant et de l’image, l’urgence et la patience rythment la récolte de betteraves et de topinambours et fabriquent de la jubilation à être. Il en revient donc de la question de l’être, de sa capacité à ne pas tout vouloir tout de suite. Il en va aussi du renoncement et de l’empêchement, de trouver sa liberté dans la contrainte en vivant silencieusement avec la lune et le soleil, la terre humide et les feuilles mortes. C’est une dissidence politique que de vivre avec peu, avec ce dont on a besoin.

Présent simple de Rino Noviello

Le son d’une machine à écrire résonne. La voix du protagoniste engagé dans le monde retentit devant l’immensité des arbres. Dès les premiers plans, Rino Noviello expose la vision de son rapport à l’existence et à la nature, aux choses, et tisse les liens entre l’Homme et son habitat. Au détour de plans plus intimistes, nous découvrons l’engagement radical des protagonistes, leur geste éthique quotidien.

Dans ce documentaire produit de manière alternative via la plateforme de crowfunding Kisskissbanbank, Rino Noviello retrace le parcours vers la dé-servitude de Veronika Paenhuyzen et Marc Van Damme dont le quotidien s’harmonise avec les principes de la simplicité volontaire. Au départ de ce projet, l'association belge "Les Amis de la Terre" qui, depuis 10 ans, sensibilise le grand public à la simplicité volontaire. Une roulotte pour habitat, un petit poêle à bois pour l'hiver, un grand potager nourricier, quelques poules et la forêt à quelques centaines de mètres. Comment vivre la décroissance dans une société toujours en quête de croissance infinie ? Comment vivre une simplicité volontaire ?

De la consommation de la culture à la culture de la consommation, les conditions matérielles d’existence des citoyens se sont progressivement associées à l’économique, produisant un individu mercantile. Le consommateur est canalisé et intégré malgré lui dans un système de besoins socialement construit où la satisfaction de ceux-ci reproduit leur propre domination sociale. Il n'a plus aucun accès au réel, son identité est conditionnée par les produits qu’il utilise et ses besoins qui pourtant ne seront jamais satisfaits en raison de leur renouvellement incessant. La simplicité volontaire semble être la dernière égide contre l’individu postmoderne né de l’effondrement progressif des structures institutionnelles, sociales et spirituelles et d’une volonté de libération des dogmes, normes et valeurs traditionnelles. Cette simplicité se donne à voir sans mensonge, sans détour, sans sophistication, sans grandiloquence. Cette simplicité, c’est l’existence même, en tant que rien ne s’y ajoute, c’est la vie insignifiante, et c’est la vraie.

Il ne s’agit pas de développement durable, terme désuet pour allier la stricte nécessité entre économie et environnement, mais de simplicité volontaire et d’autonomie créatrice. Et ces deux termes doivent se penser dans l’urgence du présent. Successivement, les plans nous font découvrir les choix de vie opérés par les deux protagonistes à savoir ceux de la simplicité volontaire, un mode de vie centrée sur des valeurs définies comme essentielles dont la mise en œuvre est quotidienne : repenser son travail, sa consommation, son alimentation, son habitat, sa santé, ses déplacements, ses vacances, ses loisirs, ses relations sociales, refus des médias, du gaspillage, de la surconsommation non nécessaire, réduire considérablement ses déchets et son impact écologique. C’est une forme de réponse à une crise du sujet, le «Je » qui ne se reconnaît plus, n’a plus de repères dans le réel. Elle nous invite à discerner le nécessaire du superflu, le naturel de l'artificiel. Une mise en scène qui suit cette philosophie, arpentant ce que la terre donne à voir de plus beau. Le documentaire de Noviello est pensé comme un road movie, statique par son processus, mais vagabond et mobile, en devenir par le sujet qu’il s’attelle de traiter. Un documentaire pensé aussi comme un manifeste, ou la caméra s’efface au profit du déploiement du concept traité.

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