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Profession du père de Jean-Pierre Améris

Publié le 28/07/2021 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Mon père ce héros

Lyon, 1961. Emile Choulans (Jules Lefebvre, découvert dans Duelles), 11 ans, vénère son père, André (Benoît Poelvoorde), avec les yeux remplis d’admiration d’un petit garçon qui n’a pas d’autre modèle. Il faut dire que le paternel en question est un véritable héros ayant exercé plus d’une profession et ayant même côtoyé Edith Piaf dans sa jeunesse. Si l’on en croit André, il a été tour à tour chanteur dans les Compagnons de la Chanson, footballeur, parachutiste, champion de judo, espion, héros de la Résistance pendant la Seconde Guerre Mondiale, et surtout, conseiller personnel du Général De Gaulle, qu’il considère maintenant comme un traître à la nation et un homme sans parole, éructant de plus belle dès que le président français apparaît à la télévision... André confie à son fils des missions « pour sauver l’Algérie » en guerre : écrire des noms mystérieux sur tous les murs de la ville, livrer des lettres importantes en « attendant les ordres » (qui n’arrivent jamais) concernant une opération top secrète pour le compte de l’OAS. André va bientôt dévoiler à son fils son véritable objectif : l’assassinat de Charles De Gaulle ! Emile, innocent et bleu d’admiration, est heureux de suivre André dans ses « aventures », mais ses difficultés scolaires vont être exacerbées par ses absences.

Profession du père de Jean-Pierre Améris

Le poster officiel du nouveau film de Jean-Pierre Améris est trompeur. Très coloré, il montre Benoît Poelvoorde et un petit garçon, tous deux en pyjama et au garde à vous, laissant augurer d’une énième comédie familiale comme le cinéma français en charrie par wagons, dans le style du Petit Nicolas. Or, Profession du Père n’est pas une comédie, mais un drame psychologique à la violence émotionnelle étouffante. C’est l’histoire d’un grand mythomane, d’un dangereux schizophrène, d’un personnage toxique (et au chômage !) qui, par solitude, par manque de reconnaissance, va entraîner son fils dans sa folie et, par son emprise néfaste, le mettre en danger et faire voler l’équilibre familial, déjà précaire, en éclats.

Jean-Pierre Améris, qui retrouve Poelvoorde après Les Emotifs Anonymes et Une Famille à Louer, nous montre une époque où la maladie mentale était souvent mal diagnostiquée et rarement traîtée. Paranoïaque, André ne peut se promener dans la rue sans se croire suivi et il s’imagine que tout le monde (y compris ses parents, à qui il n’adresse plus la parole) parle de lui dans son dos. Il s’invente des amis imaginaires, n’a confiance en personne et va donc reporter ses frustrations et ses colères sur le seul esprit qu’il peut encore façonner à sa guise : celui de son jeune fils, sans cesse partagé entre son admiration pour ce père malsain et la douceur de sa mère.

Mais la maladie n’excuse pas la lâcheté et la méchanceté de ce personnage très dur (il bat parfois son fils à grands coups de ceinture), pour lequel, malgré tout le talent de Poelvoorde, il est difficile d’avoir de la compassion tant il persiste à plonger les siens dans les problèmes en niant systématiquement toute responsabilité et en rejetant la faute de ses échecs répétés sur sa pauvre épouse, Denise (Audrey Dana), qui, par amour, par fidélité et par souci du qu’en-dira-t-on, pendant trop longtemps, fait semblant de ne rien voir. André réveille Emile en pleine nuit pour un entraînement physique rigoureux, lui fait prêter des serments d’allégeance et promettre de taire tous leurs secrets. Il improvise sans arrêt des mensonges éhontés et dénigre les talents bien réels du petit garçon pour le dessin (« Ce n’est certainement pas en dessinant ta mère que tu vas sauver le monde ! ») Mais quand Emile entraîne un camarade de classe dans leurs délires et partage ses plans de coup d’état, un dangereux engrenage se met en mouvement.

Si le récit, très bien construit (le drame à venir est inéluctable), met l’accent sur la maladie mentale et la mauvaise influence du père sur le fils, Profession du Père est aussi le portrait d’une tristese insondable d’une femme constamment dénigrée parce qu’elle souhaite juste avoir une vie ordinaire et parce que la politique ne l’intéresse pas. « Ta mère, moins elle en sait, mieux elle se porte ! », répète inlassablement André à Emile. Denise est le souffre-douleur, juste bonne à faire la soupe, à qui l’on reproche même d’aller à un concert et d’oser s’amuser, sans doute pour la première fois depuis des années. Une scène en particulier, presque muette, parle plus que tous les mots : lors du réveillon de Nouvel An, André et Denise regardent à la télévision Michel Simon chanter son joli Mémère, où l’acteur s’excuse auprès de sa femme pour ne plus l’avoir appelée « chérie » depuis longtemps. Pas besoin de mots à Poelvoorde et Dana pour faire passer l’émotion, juste des regards emplis de culpabilité - pour lui qui connait ses fautes et ses manquements mais qui est trop lâche pour s’excuser - et de regrets - pour elle qui sait trop bien que le bonheur est loin derrière elle et qu’il est trop tard pour « refaire la route à l’envers »…

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