Que faisaient les femmes pendant que l'homme marchait sur la Lune ? de Chris Vander Stappen
That is the question!
Un an après sa première vision publique, le long métrage de la scénariste de Ma vie en rose et Tous les papas ne font pas pipi debout est enfin présenté sur les écrans de Belgique. Lors de sa sortie en France, l'accueil a été mitigé.
Le public, peu nombreux mais sensible aux qualités humaines du film, avait été plus chaleureux dans son jugement que la critique professionnelle (voir, à titre d'exemple, le forum que lui consacre le site web français d'Allô Ciné). Quant à nous, encore sous le charme du court métrage La Fête des mères, première réalisation, il y a trois ans, de Chris Vander Stappen, nous restons effectivement un peu sur notre faim. La grâce dont ce premier essai était imprégné s'est un peu diluée dans la durée, du fait sans doute de quelques choix discutables dans le scénario et la mise en scène. Que faisaient les femmes pendant que l'homme marchait sur la Lune ? est cependant une charmante comédie avec un très beau cocktail d'émotions vraies. Rencontrées à Namur, au Festival du film francophone après la présentation du film, la réalisatrice et sa comédienne principale, la Française Marie Bunel, s'expliquent et défendent becs et ongles cette comédie familiale, plus significative qu'il n'y paraît.
L'histoire
1969 : Sacha (Marie Bunel), vingt ans, étudiante en médecine, revient sous le toit familial après un stage au Canada. Elle est accueillie avec des sentiments très variés. Sa mère, Esther (Hélène Vincent), personnage égocentrique et décalé, entrevoit la réalisation de son rêve : voir sa fille devenir médecin et mener une existence aisée et brillante aux côtés d'un mari attentif et de beaux enfants. Sa soeur Elisa (Mimie Mathy), naine intelligente mais aigrie, voit revenir sa grande rivale, le modèle que sa mère a idéalisé et lui a toujours préféré. Oscar (Christian Crahay), le père, plongé jusqu'au cou dans les difficultés financières d'un petit commerce qui périclite, espère que la présence de sa fille remettra un peu de bon sens dans une famille bien trop fantaisiste à son goût. Enfin, la grand'mère (Tsilla Chelton) vit dans les souvenirs de son passé. Aucun ne peut écouter Sacha. Or, elle a besoin qu'on l'écoute, car si elle est revenue, c'est pour avouer à sa famille qu'elle a choisi une toute autre vie que celle qu'ils lui ont mitonnée, qu'elle est, en fait, tout autre chose que ce que ses proches projettent sur elle. Et en essayant de se dire et d'être elle-même face à ceux qui ne veulent surtout pas l'entendre, Sacha devient l'élément perturbateur, puis le révélateur des manques et des non-dits sur lesquels repose le fragile équilibre familial. Alors que Neil Armstrong s'apprête à marcher sur la Lune, la famille Kessler découvre que la chose la plus difficile au monde est parfois, simplement, de se dire "je t'aime tel(le) que tu es".
Le court et le long
Si l'on évoque la Fête des mères pour parler de Que faisaient les femmes..., c'est que la parenté entre les deux films est évidente. Déjà dans le premier, Sacha tente seize minutes durant d'avouer son homosexualité à une mère toute entière absorbée par ses propres problèmes et disposée à tout sauf à l'écouter. Mêmes personnages, mêmes comédiennes, même thème. "Le long-métrage existait avant le court, explique Chris Vander Stappen. C'est un scénario que j'ai écrit il y a déjà quelques années, en fait avant même la sortie de Ma vie en rose. Avant de le mettre en chantier, ma productrice Catherine Burniaux et moi avons toutefois jugé préférable de faire un court métrage, pour le préparer en quelque sorte. Et le court a fait une carrière magnifique. Il va de festival en festival, même plus de deux ans après sa sortie, et truste les prix du public. Cela a été un adjuvant formidable pour le long métrage qui, d'ailleurs, au début, s'appelait la Petite Fête."
Une histoire de famille
On s'attend donc à retrouver les mêmes qualités dans Que faisaient les femmes... : l'humour pétillant, le ton subtilement équilibré pour parler de choses graves sur le mode léger, le sens du rythme. Ce n'est pas tout à fait comme cela que cela se passe. Le scénario est beaucoup plus développé, évidemment, et ce qui était une relation entre une fille et sa mère devient une histoire de famille avec cinq personnages d'égale importance.
"Sacha reste quand même la porte d'entrée du film, précise la réalisatrice. C'est à travers son regard que nous découvrons cette tribu dont elle devient le catalyseur, comme le domino qui chute et fait basculer une à une toutes les pièces du jeu. Mais le vrai personnage, c'est la famille. Comment les membres de ce petit groupe social, auquel on n'a jamais appris à parler et encore moins à aimer, vont pouvoir se parler et s'aimer?" Nous voilà donc avec une multiplicité de personnages et d'histoires individuelles, ce qui nuit quelque peu à la lisibilité de l'ensemble ; mais la réalisatrice défend l'idée : "J'aime les gens, ils me touchent, et j'aime les rencontres. Tous mes personnages et l'idée que je développe de la famille sont faits des gens, aussi multiples que variés, que j'ai fréquentés en quarante années de vie. Travailler une facette d'un personnage m'intéresse assez peu. Ce que j'ai aimé dans ce scénario, c'est que tout en brossant de vrais individus qui font un tour complet sur eux-mêmes, j'ai pu traiter un ensemble. L'important, c'est la maturation de cette famille. C'est quoi cette alchimie du sang commun, ces mystérieuses relations familiales? À ce sujet, j'ai plein de questions, pas de réponses, et j'ai mis mes questions dans le film."
Un film d'époque
Le fait de situer le film dans un passé extrêmement précis (juillet 1969), fortement caractérisé et minutieusement reconstitué, est une autre option déroutante. C'est en effet courir le risque d'occulter l'aspect universel du scénario et de réduire le film à un contexte historique et revendicatif, alors que les thématiques abordées sont tout à fait contemporaines. Chris Vander Stappen développe les arguments qui l'ont motivé. "C'est une période de conquête durant laquelle l'humanité a réalisé un de ses plus grands rêves : marcher sur la Lune. Pendant ces quelques trois semaines, l'homme a cru qu'il allait changer le monde. Et moi, je pose le regard sur cette famille où la conquête de la Lune se fait tous les jours, à petits pas. C'est plus facile de prétendre qu'on évolue en allant sur la Lune que de dire à ses proches qui on est, d'être l'enfant que vos parents n'ont pas rêvé ou le parent qui n'est pas idéal. D'abord il faut s'accepter, trouver sa place, et puis la faire accepter aux autres. J'ai pensé que ce moment était une formidable métaphore pour dire cela."
À la recherche de l'émotion juste
La réalisatrice et scénariste est une femme d'écriture, et cela se sent.
Ses personnages sont solidement construits et elle les met en interaction de façon fort habile pour, comme elle le dit elle-même, faire tomber les dominos. Même sans le charme unique de la Fête des mères, les émotions fonctionnent à plein. Elle sont le ressort dramatique du film et sa vis comica, ce que confirme la réalisatrice. " Durant toute la fabrication du film, mes mots étaient : "je veux que ce soit juste". Ni trop ni trop peu. Juste et sur le fil entre drame et comédie, entre réalité et poésie, parce que je cherche à me rapprocher au plus près des choses comme on les ressent dans la vie, mais avec notre arme qui est le cinéma. On dit toujours qu'on porte un film comme un bébé. C'est une banalité mais je l'ai ressenti comme cela. Et un jour, le bébé vient au monde et on est tout étonnés parce que c'est une part de soi-même dont on n'est pas conscient et qui vient malgré soi." Marie Bunel appuie : "La grande force du travail de Chris, c'est qu' elle nous parle de nous, en touchant des choses intimes qu'on a tous du mal à exprimer. " Je ne suis pas comme toi mais aime-moi quand même ", cela parle à tout le monde. Quand j'ai lu son scénario, je me suis accaparé cette histoire, parce qu'elle est ce que je voudrais dire au monde, à mes parents, à ma soeur, à mes enfants aussi, et tous les gens que j'ai ratés."
Les acteurs
Rechercher l'émotion juste, dans ce film d'acteurs, c'est aussi un travail de direction. Chris a privilégié la discussion avec les comédiens pour élaborer progressivement, ensemble, leurs personnages. À notre estime, la méthode a ses limites. Les comédiens en liberté surjouent, quelquefois dérapent, mais le principal est là : l'émotion passe. "Vous savez, renchérit Marie Bunel, les comédiens sont des caméléons. Ils se nourrissent des autres, et puis, ils deviennent. Chris nous a nourris énormément avec son texte, mais aussi parce qu'elle nous a mis dans des conditions telles, nous a regardés d'une telle façon qu'on est naturellement allés dans la direction qu'elle souhaitait. Il s'est vraiment passé quelque chose. Chacune on s'est données pour défendre notre rôle, et quand il y avait une discussion, ça n'était jamais négatif. Cela, c'est Chris qui l'a fait."