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Reflet dans un diamant mort de Hélène Cattet et Bruno Forzani

Publié le 17/04/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Les Diamants sont éternels

John Diman (Fabio Testi), un septuagénaire végétant dans un hôtel de luxe sur la Côte d’Azur (tel Dirk Bogarde dans Mort à Venise), est intrigué par le corps dénudé sur la plage de sa voisine de chambre, qui lui rappelle les heures les plus folles de la Riviera durant les années 60. À cette époque, il était un super espion (joué cette fois par Yannick Rénier) dans un monde en pleine expansion, plein de promesses. Quand cette voisine disparaît sans laisser de traces, John, qui n’est plus que l’ombre de lui-même, doit à nouveau faire face à ses démons : ses adversaires d’antan, notamment une dangereuse femme fatale aux 100 visages surnommée Serpentik, sont-ils de retour pour semer le chaos et la destruction ?

Reflet dans un diamant mort de Hélène Cattet et Bruno Forzani

Bien entendu, ceci n’est qu’un résumé très sommaire ! Depuis Amer, les très cinéphiles Hélène Cattet et Bruno Forzani rendent des hommages visuels, sensoriels, sonores et musicaux à leurs films de genre italiens favoris, le tout enrobé dans une forme expérimentale et non linéaire et débordant d’idées de mise en scène plus folles les unes que les autres leur permettant d’assouvir leur fétichisme pour les détails. Si Amer (2009) et L’Étrange couleur des larmes de ton corps (2013) lorgnaient vers le giallo, et Laissez bronzer les cadavres (2017) vers le poliziottesco, Reflet dans un diamant mort, quant à lui, revisite les EuroSpy des années 60 (des contrefaçons pop, flamboyantes et psychédéliques des James Bond tournées en Italie, en France ou en Espagne), mais surtout aux fumetti, ces bandes dessinées italiennes de la même époque avec méchants diaboliques, femmes fatales et gadgets farfelus, d’une violence et d’un érotisme souvent très décomplexés. S’il est UN film auquel il est constamment fait référence ici (jusque dans le matériel promotionnel, notamment les différentes affiches), c’est le très culte Danger : Diabolik (1968), de Mario Bava, une BD sur grand écran truffée de séquences ahurissantes. 

Au menu : action (une mémorable échauffourée dans un bar), érotisme et trouvailles visuelles à foison (beaucoup d’illusions optiques) : diamants qui brûlent la peau, bague émettant un laser mortel, faux ongles métalliques tranchants comme un sabre, talons aiguilles faisant office de poignard, robe en diamants dont chaque paillette peut s’avérer mortelle, héroïne aux dents d’acier, immolation d’une victime enduite de pétrole, guerrières nues s’affrontant au katana, sans oublier ces masques de chair sortis d’un épisode de Mission Impossible, qui s’arrachent pour révéler d’autres visages à la façon d’une poupée matriochka.   

Le récit, fantaisiste dans ses influences, mais mélancolique dans le ton (il ne s’agit pas d’une parodie, mais d’une réappropriation post-moderne des codes d’un genre), se déroule en suivant la perte des repères d’un homme à la mémoire défaillante, perdu dans ses souvenirs, qui ne sait plus trop s’il a été espion, une star de cinéma ayant incarné un espion ou l’inspiration d’un héros de romans d’espionnage… L’histoire est pensée comme un puzzle où les niveaux de réalité se superposent de manière chaotique, entre présent et passé, entre fiction et science-fiction, entre fantasmes et mise en abîme. Au-delà des prouesses visuelles, le duo fait un constat doux-amer de l’héroïsme et de l’état d’un monde où, bientôt, « tous les gadgets tiendront sur un téléphone ».

Formalistes brillants et ambitieux, Hélène Cattet et Bruno Forzani déploient une fois de plus un film expérience d’une richesse inouïe (c’est un film parfois épuisant à regarder, qui ne s’appréciera sans doute à sa juste valeur qu’après deux ou trois visions) et signent leur œuvre la plus bis à ce jour, digérant leurs influences pour créer un bijou visuel et sonore qui file à 200 à l’heure et qui, en fin de compte, ne ressemble qu’à une seule chose : à un film de Cattet et Forzani !

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