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Hélène Cattet et Bruno Forzani à propos de 'Reflet dans un diamant mort'

Publié le 18/04/2025 par Grégory Cavinato et Cyril Desmet / Catégorie: Entrevue

Fascinés depuis toujours par le cinéma de genre transalpin, dont ils reprennent les codes pour les cuisiner à leur sauce, Hélène Cattet et Bruno Forzani nous livrent une fois de plus une expérience visuelle, sonore et sensorielle d’une originalité folle et d’une inventivité remarquable. Inspiré par les films Eurospy et les bandes dessinées fumetti neri d’antan, Reflet dans un diamant mort est un film / expérience qui mérite d’être vu et revu pour en apprécier toutes les qualités. Au lendemain de sa présentation au festival Offscreen, le duo nous en livre quelques secrets de fabrication.

Cinergie : Le festival Offscreen semble avoir une grande importance dans votre parcours. On vous y sent à votre place.

Bruno Forzani : C’est là que nous avons découvert en 2011 Road To Nowhere, de Monte Hellman, qui nous a inspiré Reflet pour un diamant mort. Dans ce film, il y avait Fabio Testi, qu’à l’époque, on n’avait plus vu depuis longtemps. Nous le connaissions pour ses films des années 60-70 et là, nous l’avions redécouvert. Il nous faisait penser à Sean Connery. Il était habillé en panama blanc, avec un costume blanc, ce qui nous faisait également penser à Dirk Bogarde dans Mort à Venise. C’est là que nous est venue l’idée du film : montrer un James Bond à la retraite qui revisiterait son passé comme dans le film de Visconti, mais avec Fabio Testi ! L’origine, la graine du projet est là. Cette idée nous est restée en tête pendant quelques années, puis un jour, nous avons enclenché le processus d’écriture… Il y a également un groupe musical italien, Calibro 35, qui joue des reprises de b.o. de films italiens des années 60-70, qui est passé à deux reprises à Offscreen. Nous avons pris un de leurs morceaux, ‘Bouchet Funk’ (en référence à l’actrice Barbara Bouchet – NDLR), dans le film. Quant à notre séquence de sabre, on pourrait aussi parler du film japonais Sex and Fury, de Norifumi Suzuki – que nous n’avons pas découvert au festival, mais qui y a été projeté l’an dernier – et qui a eu un impact sur la création du film. C’est vraiment toute notre culture cinématographique que l’on retrouve dans ce festival !

 

C. : Il est parfois laborieux de faire sortir les stars italiennes des années 60-70 de leur retraite. Et malheureusement, il n’y en a plus beaucoup ! 

B. F. : Non, il reste Franco Nero, Luc Merenda, Fabio… et je crois que c’est tout… Alvaro Vitali peut-être (rires).

 

C. : Racontez-nous votre collaboration avec Fabio Testi… Quels sont les films qui vous ont donné envie de travailler avec lui ? 

Hélène Cattet : Vu que Fabio nous avait inspiré le film, nous nous sommes dit clairement qu’il fallait lui proposer le projet. Donc nous sommes allés le trouver en Italie.

B. F. : C’était la première fois que nous rencontrions un des acteurs ou actrices de cette époque-là, des films de série B des années 60-70, et c’était hallucinant parce que nous étions à côté de lui, on voyait ses yeux. Ces yeux qu’on a vus 400 fois au cinéma ! Nous lui avons parlé du fait que nous allions tourner en pellicule et ça, ça l’a complètement fait halluciner parce qu’il pensait que ça n’existait plus ! C’est un des trucs qui lui ont donné envie de faire le film. Puis nous avons beaucoup parlé de ses films de l’époque, notamment de The Big Racket, ou Il Grande Racket, d’Enzo G. Castellari, qui nous avait beaucoup marqués, notamment par la manière dont il était habillé. Nous avons parlé de toutes les cascades de ce film, qui étaient extrêmement millimétrées, dans le cadre d’un film de série B. C’était vraiment une belle rencontre, c’était génial. Et sur le tournage, ça a été très facile, très simple. Il était très heureux d’être là. Je pense que ça faisait un petit temps qu’il n’avait pas tourné un film dans lequel il avait une place si importante. Donc, pour lui, ce n’était que du bonheur. Il a vraiment été le soleil de l’équipe. Il était tellement heureux qu’il nous mettait tous de bonne humeur, même quand c’était dur.

H. C. : Et c’était dur ! Nous avons quand même tourné dans des endroits rocailleux, il fallait marcher et ce n’était pas toujours simple pour lui. Mais il ne s’est jamais plaint, il était toujours content, il gardait toujours sa bonne humeur. 

 

C. : Votre « méthode », c’est de vous réapproprier les codes d’un genre bien particulier – le giallo, le polar italien, ici l’Eurospy –, mais de tout chambouler et de cuisiner ça à votre sauce. Est-ce une bonne définition de votre cinéma ? 

B. F. : Presque, oui ! (rires)

H. C. : Tous ces films, quand nous les avons découverts, nous ont inspirés, ce sont des portes d’imaginaire. Mais tout se fait de manière inconsciente : on intègre, on intègre, on intègre, et ensuite, ça devient notre langage. C’est comme ça que je le vois.

B. F. : Ce sont des films codifiés, et surtout, des films de mise en scène. Donc, quand nous avons commencé à travailler sur le giallo et le western italien, nous nous sommes servis de ces films-là pour raconter nos histoires. Pour nous, ce ne sont pas des hommages, mais une grammaire. L’Eurospy, en revanche, est un genre moins lié à la mise en scène, c’est un genre qui était quand même plus cheap, de la série B qui était faite avec une petite équipe de quatre personnes par des gens qui allaient tourner aux quatre coins du monde. C’est un cinéma qui représente le passé d’une manière fausse, idyllique. Mais il y a un imaginaire collectif qui reste. Il n’y a peut-être pas dans ce genre un film qui ressort spécialement, mais c’est un univers lié à l’enfance…

 

C. : D’où vous est venue cette passion pour les films de genre italiens ? Pendant une longue période, ces films étaient devenus très difficiles à voir, puis on les a redécouverts grâce au DVD, au Blu-ray et à des festivals. 

B. F. : Cette passion pour le cinéma de série B italien m’est venue de Dario Argento. À l’époque, je regardais beaucoup de films d’horreur, mais surtout américains. Je m’en lassais un peu parce que c’étaient souvent des produits sans surprises. Quand j’ai découvert Argento, il y avait à la fois le côté fun et divertissant du cinéma d’exploitation, mais aussi une recherche plastique très forte. Et c’était du vrai cinéma, comparé à certains slashers. Ensuite, j’ai découvert Mario Bava, Lucio Fulci, etc. C’est un cinéma qui est très créatif, un cinéma de mise en scène. Personnellement, ça m’a inspiré puisque c’est un cinéma de genre qui a des codes, et tous ces codes passent par l’image, le son, la musique, l’architecture, etc. C’est hyper cinématographique et c’est ça qui m’a donné envie de faire des films.

H. C. : Ce n’étaient pas des films avec des budgets énormes, ce qui nous parlait, puisque quand tu essaies de faire des films, tu sais que tu ne vas pas avoir un budget de dingue. Ces gens-là faisaient des films sans gros budgets, mais avec leur créativité, c’était artisanal, et ça a ouvert des portes d’inspiration. Donc tu te dis : ok, on va essayer de trouver comment faire des films qui ne font pas cheap, même sans avoir énormément d’argent. Mais c’est vrai que voir ces films à l’époque de la VHS, c’était une chasse au trésor.

B. F. : Et parfois, quand tu montrais ces films aux copains, ils se moquaient : « C’est quoi ces nanars ? ». N’importe quoi ! C’est super créatif !

 

C. : Un film auquel vous faites référence cette fois, c’est le très culte ‘Diabolik’ (Danger : Diabolik’ en version française – NDLR), de Mario Bava. Pouvez-vous nous parler de son influence sur l’esthétique de ‘Reflet dans un diamant mort’ ? 

H. C. : Une autre source qui a nourri notre imaginaire, c’est l’univers des fumetti neri, les bandes dessinées italiennes pour adultes, notamment l’adaptation en film de Diabolik. C’est un film génial, parce que c’est complètement psychédélique, complètement pop.

B. F. : C’est plein de matte-paintings, d’effets spéciaux très artisanaux, et c’est aussi ce que nous recherchions.

Hélène Cattet : Mario Bava, c’était le roi de la créativité pour faire avec peu de budget quelque chose d’assez magique.

B. F. : Puis tu as la b.o. d’Ennio Morricone, qui, hélas, a été perdue parce que les masters ont été détruits, mais qui est une de ses meilleures musiques.

H. C. : Un des personnages importants de notre film fait effectivement penser à Diabolik, c’est son pendant féminin. On adore cette imagerie de vilain masqué, parce qu’en fait, Diabolik est un héros, mais il est méchant ! (rires) Et puis, ça nous rappelait l’univers des Fantômas que nous avions tous vus quand nous étions petits…

B. F. : Il y a un autre personnage de fumetti, Satanik, qui a connu une adaptation au cinéma. Et sur l’affiche de ce film, tu vois une version féminine de Diabolik – même si elle n’apparaît que dans une seule séquence. Donc, avant de voir ce film, on s’imaginait qu’il y avait une Diabolik au féminin, sauf qu’elle n’existait pas vraiment. Par contre, il y a un film français (italien en fait – NDLR), La Louve sanguinaire (1976, de Rino Di Silvestro – NDLR), qui est vraiment une réplique de Diabolik en femme…

 

C. : Comme dans les fumetti neri, votre méchante est à la fois l’héroïne et le héros, avec sa mémoire défaillante, perd la partie. C’est très subversif, c’est quelque chose que l’on ne pourrait plus vraiment faire aujourd’hui. 

B. F. : C’était complètement conscient de notre part. Aujourd’hui, tous les films de héros sont faits par les Américains, qui sont très binaires : il y a le Bien et le Mal. Alors que dans ces films et ces BD italiens, les héros étaient les méchants. Donc nous avons traité notre héros un peu comme un méchant et notre méchante comme une gentille. Ce qui est bien dans ce cinéma italien, c’est qu’il y avait une zone grise, que nous avons voulu garder.

H. C. : Pour pouvoir amener de la nuance.

 

C. : Vos films sont d’une grande richesse visuelle. C’est foisonnant et le rythme est trépidant, au point où la première fois, on risque de se perdre un peu dans ce labyrinthe d’informations. Vous aimez nous faire perdre nos repères… Est-ce quelque chose que vous développez dès la phase de l’écriture ? 

B. F. : Nous avons abordé le scénario avec la manière d’écrire de Satoshi Kon, le réalisateur japonais de Perfect Blue, et nous nous sommes fortement inspirés de son film Millennium Actress. Il écrivait ses scénarii de manière ‘stéréoscopique’, avec différentes couches de lecture qui font qu’à chaque fois que tu regardes le film, tu as un effet 3D qui apparaît. Notre manière à nous de faire des films, c’est d’abord un côté orgasmique pour la première vision...

H. C. : … en essayant d’être le plus viscéral et le plus physique possible.

B. F. : C’est vraiment une expérience cinématographique où nous essayons de donner du plaisir au public, à fond. Derrière, tu as plein de thématiques qui sont abordées et quand tu revisites le film, au fur et à mesure, tu découvres de nouvelles choses. Nous ne sommes pas du tout dans une narration linéaire, la narration de 98% des films, mais dans une narration circulaire. C’est peut-être un peu cliché, mais un réalisateur qui nous a ouvert l’esprit quand nous étions ados, c’est David Lynch, avec des films qui, formellement, étaient des expériences plastiques très fortes, que l’on ne comprenait pas du premier coup. Ce sont des films qui nous habitent et, au fur et à mesure de notre vie, on les revisite, on commence à trouver des clés, à les comprendre. Nous sommes dans cette optique-là.

H. C. : Nous aimons faire des films qu’il est utile de voir une deuxième fois. Celui-ci, nous avons quand même mis six ans à le faire et c’est un film que l’on doit peut-être revoir, plutôt qu’un simple produit de consommation que l’on peut ‘jeter’ et dire ‘c’est fini’ une fois que l’on sort du cinéma. Nous aimons que nos films vivent encore un peu avec le spectateur. Nous les concevons pour que chaque spectateur ait une vision et une aventure personnelles. 

B. F. : Nous avions déjà abordé cette écriture stéréoscopique dans nos autres films. L’Étrange Couleur des Larmes de ton Corps était celui dans lequel nous étions allés le plus loin dans cette écriture, mais nous étions dans un univers plus lié au rêve, au surréalisme. Alors qu’ici, nous avons travaillé cette écriture de manière très technique : une couleur pour chaque couche de lecture, pour chaque récit, ce qui nous permettait, en regardant ça avec le recul, de voir l’équilibre entre toutes ces couches...

H. C. : … comment les différents récits se répondaient, s’influençaient les uns les autres.

 

C. : Vous faites appel à différentes techniques : animation, effets d’optique, rétroprojections. J’imagine que tout est toujours scrupuleusement storyboardé en amont ? 

H. C. : Oui, nous préparons tout hyper méticuleusement parce que, comme notre but est d’essayer de raconter une histoire avec les images et les sons, pour essayer d’être le moins didactique et le plus sensoriel possible, tout est déjà décrit dans le scénario d’abord. Après, nous faisons un storyboard très précis pour savoir dans quel ordre les plans s’enchaînent et quel effet ça va produire sur le spectateur, pour voir ce qu’il va comprendre au fur et à mesure. Parfois, nous faisons même des petites maquettes avec des accessoires pour voir si ça fonctionne et si nous arrivons à faire passer ce que nous voulons communiquer. Ce sont des bases qui servent ensuite pour le montage. C’est très précis et ça nous permet de voir si nous nous rejoignons, si nous sommes sur la même longueur d’onde. C’est pratique aussi pour communiquer avec l’équipe.   

B. F. : Quand tu imagines une séquence comme celle de la bagarre dans le bar, tu écris tous les plans qu’il va y avoir et qui s’accumulent. C’est important pour nous de découper et de storyboarder parce que nous sommes deux. Et il faut que nous arrivions à être dans la tête l’un de l’autre, à être sur la même voie avant d’arriver sur le tournage, sinon, ce serait le chaos. Nous sommes deux personnes fort différentes, donc c’est important.

 

C. : Justement, comment vous répartissez-vous les tâches sur un tournage ? Certains tandems se répartissent les tâches, d’autres font tout ensemble. 

Hélène Cattet : Nous faisons tout à deux. Nous sommes comme un monstre à deux têtes (rires). Nous avons besoin d’être d’accord sur chaque chose. Il y a moins d’efficacité, je dois dire (rires) ! Mais au moins, nous sommes contents tous les deux à la fin !

B. F. : Sur le plateau, je suis plus à la caméra et toi plus au combo, quand même… Toi tu as du recul…

H. C. : Et toi, tu es plus dans l’immédiat, dans la spontanéité… Il n’y a pas de règles en tout cas, c’est dans la spontanéité, au feeling.

 

C. : Le son et la musique sont des ingrédients essentiels de votre cinéma. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous sélectionnez les morceaux que vous utilisez et comment vous vous débrouillez pour en obtenir les droits ? C’est une tâche toujours très compliquée, particulièrement pour des musiques de film qui ont 45 ou 50 ans. 

B. F. : Après Laissez bronzer les cadavres, nous nous étions dit que nous arrêterions peut-être d’utiliser des musiques préexistantes, parce que c’est très compliqué de les retracer. Et les prix sont parfois exorbitants. Mais pour ce film-ci, quand même, c’était important, ça donne corps à l’univers…

H. C. : Souvent, nous écrivons le scénario avec ces musiques en tête. Elles insufflent un rythme à certaines séquences qu’on ne peut plus ensuite imaginer sans ces musiques.

B. F. : Du coup, nous nous sommes concentrés sur des musiques qui, a priori, seraient plus simples à obtenir par rapport aux maisons de disques, aux compositeurs. Ce coup-ci, je l’ai fait tout seul à 100%. Avant, je faisais ça avec Eve Commenge, la productrice de nos autres films. Souvent, il s’agit d’entreprises familiales – en Italie, c’était souvent comme ça – qui ont revendu les droits à d’autres compagnies. Parfois, les droits se perdent, et pour certaines musiques, les masters n’existent plus. Donc on entre en contact avec les enfants des compositeurs, ce qui est génial, parce qu’on partage parfois quelque chose de chouette avec eux. C’est un travail de quatre mois pour arriver à tout regrouper et pour rester dans le budget. C’est un travail qui demande quand même un certain budget ! Ça a été dur, mais nous avons réussi à avoir toutes les musiques que nous voulions. C’est un élément artistique vraiment hyper important pour le film. Sans ça, il y a quand même 50 ou même 80% du film qui tombe !

H. C. : C’est vrai que l’univers sonore, c’est 50% du film ! Il y a ces musiques, mais il y a aussi toute la création sonore avec le bruiteur et le monteur son. Quand nous tournons le film, nous ne prenons pas de son direct. Quand nous montons, c’est comme pour un film d’animation, il n’y a aucun son. Il faut tout recréer !

 

C. : La scène où vos personnages doublent leurs dialogues en différentes langues dans un studio de postsynchronisation m’a rappelé ‘Berberian Sound Studio’, de Peter Strickland, qui était d’ailleurs présent à Offscreen lors de la projection du film. On pourrait tisser quelques parallèles entre son travail et le vôtre. 

B. F. : Peter Strickland est un cinéaste qui nous plaît ! Berberian Sound Studio nous avait fortement marqués, parce qu’il abordait ce cinéma que nous aimons par le biais du son. C’était une idée originale et il a fait un super boulot. 

H. C. : Clairement, nous avons les mêmes sources d’inspiration. Il fait un cinéma formel et surtout vraiment sensoriel et viscéral. Donc, c’est la même famille ! (rires)

B. F. : Pour L’Étrange Couleur des Larmes de ton Corps, nous lui avions d’ailleurs demandé un cri qu’il avait enregistré pendant Berberian Sound Studio, comme si c’était un cri qui avait été enregistré à l’époque dans ce Berberian HQ.

 

C. : « Bientôt, tous nos gadgets tiendront sur un téléphone », dit un de vos personnages. Avec cette phrase, vous faites un constat amer de notre époque et d’un cinéma, notamment d’espionnage, qui est moins fun, moins fou, moins inventif… C’est peut-être aussi une des raisons pour lesquelles ils ont tant de mal à relancer la franchise 007. 

H. C. : C’est certain qu’avec ce film, nous voulions nous reconnecter avec notre côté enfantin, avec le côté ludique des gadgets des films de l’époque. C’est sûr que c’était rigolo, mais ce qui nous semblait intéressant, c’était - à travers les Eurospy - de parler du monde contemporain par contraste avec cette image que l’on avait du monde dans ces films-là.

B. F. : La technologie a tué les gadgets. Quand j’étais petit, je me rappelle qu’il y avait une montre qui devait sortir sur laquelle tu pouvais regarder la télévision. Et ça me faisait rêver ! Mais maintenant que tu as tout sur ton smartphone, ça ne fait vraiment plus rêver ! J’ai l’impression que James Bond s’est fait doubler quand le deuxième Jason Bourne est sorti, qui, en termes d’action et de montage, avait un peu réinventé le truc. Bond s’est un peu ringardisé, puis ils ont essayé de le remettre au goût du jour avec une approche plus terre-à-terre, contemporaine. Il y avait beaucoup moins ce côté imaginaire et fantaisiste.

 

C. : Même constat avec la musique de film contemporaine : on ne retrouve que trop rarement de grandes mélodies, de beaux thèmes. C’est un art qui se perd. 

B. F. : Complètement. La manière dont est faite la musique aujourd’hui, ce sont des couches qui accompagnent le film, des fonds sonores. Ce que nous aimons dans les anciennes musiques, c’est qu’elles ont une forte identité, alors que la musique actuelle, c’est comme si elle était faite pour ne pas qu’on l’entende, pour qu’elle te berce pendant tout le film !

 

C. : Vous est-il arrivé d’écrire une scène avec une musique en tête et puis de ne pas pouvoir en obtenir les droits par la suite ?   

H. C. : Jusqu’à présent, on a toujours réussi…

B. F. : Par exemple, pour la séquence de baston, sur 24 000 Bacci, si nous n’avions pas eu cette musique-là, c’était foutu ! FOU-TU ! Parce qu’on a vraiment écrit la scène pour cette musique. On avait fait un prémontage avec les cue - à quel moment intervenaient dramatiquement certaines bascules dans la bagarre, sur quel moment de la chanson, etc. Tout tenait à la chanson. Si on ne l’avait pas obtenue, c’aurait été la cata !

 

C. : Pouvez-vous nous parler de la conception de l’affiche du film ? Qui existe en plusieurs versions.

H. C. : Pour nos affiches, nous travaillons toujours avec un artiste belge, Gilles Vranckx. Pour celle-ci, comme pour les autres, on discute d’abord d’un concept qui représenterait le film. Le poster doit être la continuité du film, la quintessence du film. S’il fallait le résumer en une image, laquelle serait-ce ? Donc, nous faisons plusieurs brouillons avec différents concepts. 

B. F. : Cette affiche derrière nous, c’était le premier concept. Nous voulions en quelque sorte faire une réponse à celle de L’Étrange Couleur, avec cette femme qui tenait ce petit homme dans sa main. Nous voulions changer de point de vue : ici, nous voulions que ce soit Serpentik qui tienne le héros dans ses mains, enfermé dans un diamant. Et on voulait ce côté diabolique. La touche qui manquait, c’était la mer, parce que c’est un film très solaire, très lié à la Méditerranée, à la Côte d’Azur. Du coup, la mer apparaît dans les débris.  

 

C. : Avez-vous des projets dont vous pouvez nous parler ? 

H. C. : Nous travaillons sur un film d’animation. Et l’animation, c’est un autre rythme. Le projet est enclenché depuis 2016, mais ça prend du temps. Ça s’appelle Darling et c’est l’adaptation d’un roman d’une écrivaine féministe de la beat generation, Harriet Deimler. C’est un revenge movie.

B. F. : Ça se passe dans le New York des années 60. Donc, on le traite comme un anime japonais mélangé au côté art déco de New York et à l’univers d’Hitchcock.

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