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Rencontre avec Baptiste Charles, Conseiller Cinéma & Nouveaux Médias, au sein du cabinet de la Ministre Bénédicte Linard

Publié le 20/10/2021 / Catégorie: Entrevue

« Le cinéma est l'art qui a le plus évolué au cours de l'histoire» 

Jouant en coulisses un rôle essentiel comme Conseiller Cinéma & Nouveaux Médias de Bénédicte Linard, la Ministre de la Culture et des Médias en Fédération Wallonie-Bruxelles, Baptiste Charles occupe ce poste depuis mai 2020, soit au moment où il a été détaché de Screen Brussels, l'un des Fonds d'investissements régionaux pour l'audiovisuel.

Âgé de 41 ans, ce diplômé en relations internationales et de journalisme a, au préalable, réalisé un documentaire en Afrique du Sud (Every Season has an end), été membre du comité de programmation du FIFF (Festival International du Film Francophone de Namur), coordinateur de projets de la FIAF (Fédération internationale des Archives du Film) ainsi que chez Wallonie-Bruxelles Musiques. Rencontre.

Cinergie: La question peut sembler naïve, mais quel est le rôle d'un conseiller cinéma ?

Baptiste Charles : En ce moment, étant donné qu'on sort de la pandémie - ...ou à peu près -, ça fait quand même du bien de parler plus de redéploiement de la culture que de protocoles sanitaires. Car par la force des choses, tous les thèmes essentiels ont été reportés d'un an et demi donc là, on recommence seulement à évoquer des sujets de fonds. En gardant bien sûr une attention sur le suivi de cette crise, comme la coordination du Covid Safe Ticket à mettre en place dans les salles de cinéma et les autres lieux culturels. En plus de la préparation de réunions ministérielles et du large volet administratif que représente le poste, mon quotidien consiste surtout à essayer de mettre un peu d'huile dans tous les rouages (sourire), ayant un profil baignant entre l'artistique et l'industriel. Une chose est sûre, les impacts de la crise sanitaire risquent de se faire ressentir à long terme...

 

C. : C'est-à-dire ?

B.C. : Rappelons qu'avant ce fameux mois de mars 2020, l'audiovisuel faisait déjà face à des modifications intenses dans son fonctionnement. Comme la montée en puissance des plateformes, l'explosion des contenus ou la diversité des écrans pour le consommateur. Chacun sait que la crise a été un énorme coup d'accélérateur pour ces tendances. Qu'on soit d'accord ou non, les plateformes sont de plus en plus utilisées et il faut donc composer avec elles. Comme celles-ci (Amazon, Disney, Netflix...) ne maîtrisent pas encore tout à fait notre écosystème, on dialogue avec elles. De toute façon, via un nouveau et récent décret européen (NDLR: le SMA, en vigueur depuis avril 2021), les plateformes vont, pour la première fois, dépasser leur rôle de diffuseur, en contribuant à la production et à la création de contenus locaux. On doit trouver un équilibre, entre leurs lignes éditoriales privées qui n'ont pas forcément d'intérêt belge, et leur obligation de puiser dans notre large vivier de talents, notre expérience en matière de coproductions internationales, nos aptitudes techniques, notre diversité, nos narrations (...), différentes de celles qu'on trouve en Allemagne, en France ou même en Flandre. L'objectif est de mettre tous ces éléments en avant. Même en sachant qu'on se trouve dans une communauté où un réflexe identitaire est encore peu présent.

 

C. : Cela dit, en déléguant en 2019 un représentant au Bilan annuel du Centre du Cinéma face aux professionnels belges francophones, Netflix n'a-t-il pas déjà démontré cet intérêt ?

B.C. : C'était un premier pas, en effet. Netflix est d'ailleurs déjà en train de mettre en place des coproductions internationales chez nous, comme Into the night. Maintenant, l'enjeu va être de proposer au public belge francophone des histoires qui leur ressemblent, qu'il s'agisse de longs-métrages, de séries ou de documentaires. C'est quelque chose qui serait inaudible aux États-Unis, mais cela va de pair avec l'exception culturelle européenne. Mais tout ça devrait se construire naturellement. Quand on voit Netflix acheter La Trêve ou Ennemi Public pour son catalogue mondial, soit des séries où l'on ressent cette belgitude, c'est la preuve qu'on peut faire des séries parlantes tant pour notre public que pour d'autres. Pour moi, ce type de démarches doit être plus présent. Dans le cinéma aussi bien sûr, qui reste l'art qui a le plus changé au cours de l'histoire, et dont on n'a prédit dix fois la mort, mais toujours à tort ! Mais le 7e art, qui est aussi une industrie, garde une place symbolique toujours très forte.

 

C. : Ce fameux défi de rapprocher les œuvres du public semble donc plus que jamais présent...

B.C. : Clairement ! Aux yeux de beaucoup de gens, il subsiste une image préconçue du film belge, à savoir des «films sociaux lourds». Ce qui n'est pourtant plus la réalité aujourd'hui. Mais le secteur en a pris conscience. On doit continuer à réécrire l'histoire en allant vers plus de diversité qu'auparavant, en misant par exemple sur des films familiaux ou de genre qu'on finance. Pendant des années, on a cru qu'il suffisait de donner d'importants moyens à un tournage en amenant des stars, mais combien de fois ne nous sommes pas retrouvés avec de beaux films de bons réalisateurs - nous n'en manquons pas ! -, mais qui ne racontaient au final pas grand chose au public, avec des personnages parfois peu incarnés ? Là, un peu comme aux États-Unis, on a remis les scénaristes et les producteurs au cœur de l'écosystème. Cela s'est traduit avec la création du Fonds Séries, qui a eu des répercussions sur tout le reste, mais aussi à travers les aides aux développements et celles à l'écriture, qui ont doublé. Puis, la diversité passe aussi par le nouveau Fonds à Conditions Légères, dont on commence à apercevoir les résultats au cinéma, entre autres avec Une vie démente (d'Ann Sirot & Raphaël Balboni) ou Fils de plouc (d'Harpo et Lenny Guit). C'est un guichet qui permet à pas mal de réalisateurs de ne plus attendre cinq voire dix ans avant de faire leur premier long-métrage. C'est un maillon précieux qui manquait.

 

C. : Le Belge aime toujours aller au cinéma, mais pour beaucoup, le manque d'écrans dans notre pays reste souvent d'actualité. C'est quelque chose dont on a conscience, ici ?

B.C. : Tout à fait, surtout en dehors de Bruxelles et des centres urbains. Ce point est même un enjeu fondamental ! C'est peut-être basique à dire, mais la grandeur du parc de salles a fatalement une grande influence dans le paysage. Parce qu'au-delà de son aspect culturel, le cinéma crée des liens sociaux importants. Autant qu'une église autrefois ! On en est d'ailleurs tellement conscient qu'on aide les cinémas de proximité, car on se rend bien compte que ces petits cinémas constituent des lieux primordiaux pour les citoyens. Pour moi, c'est même via les mono-écrans que subsistera le cinéma dans l'écosystème. Ils facilitent la vie pour tous. Au sud de Bruxelles, le succès d'un cinéma coopératif comme le Kinograph en est un exemple. Mais il y en a d'autres. Puis, dans ces petits cinémas, on retrouve souvent des lignes éditoriales réfléchies, claires, auxquelles on fait machinalement confiance. Plus jeune, je me rendais dans un cinéma namurois qui n'existe plus, le Forum. Et bien, j'y allais sans jamais regarder le programme ! Simplement parce que je faisais totalement confiance à celles et ceux qui le mettaient en place. C'est aussi de ce genre d'initiatives dont on a besoin.

C. : On imagine de toute façon mal un futur avec des spectateurs continuellement rivés devant leur écran et sans jamais sortir, non ?

B.C.: Non, et en plus, les gens sont envahis de contenus dans tous les sens. Voyez le nombre de films qui sortent, les plateformes, Youtube, les podcasts, les jeux vidéos, etc... On est noyé face à un véritable océan de contenus, ce qui complique nos choix et frustre pas mal de gens. Comment s'en sortir dans une journée qui compte vingt-quatre heures, savoir où focaliser son attention sur des choses qui valent vraiment la peine ? Et chacun s'en est aussi rendu compte, les algorithmes virtuels montrent aussi leurs limites. J'ai la naïveté de croire que ceux qui le peuvent sont aptes à payer, même un peu, pour sortir un peu de tout ça...

C. : Vos débuts au cabinet ont donc pratiquement coïncidé avec le début de la pandémie. Cela a été particulier à vivre ?

B.C. : C'est sûr qu'on a vécu quelques mois étranges et pas vraiment évidents, pendant lesquels tous les enjeux ont dû être revus. Mais c'était aussi un défi intéressant. Heureusement, l'impact sur le cours des (nombreux) tournages a été très limité. En Fédération Wallonie-Bruxelles, et donc même avant la Flandre, on a été parmi les premiers en Europe à mettre en place un fond de garantie complémentaire. Car le cinéma coûte cher, et il faut bien se rendre compte qu'un tournage qui s'arrête, c'est cent voire deux cents mille euros par jour de perdus, de nombreux emplois perdus, etc... Imaginez par exemple une série qui était planifiée sur trois mois ? Donc là, le fait d'avoir anticipé les choses nous a tout de même permis d'éviter pas mal de faillites. De cela, on peut quand même s'en réjouir...

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