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Rencontre avec Charles Declercq, critique de cinéma

Publié le 18/06/2019 par David Hainaut et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

Un critique de cinéma atypique

 

Dans ce microcosme que constitue la critique belge de cinéma, Charles Declercq est devenu, en quelques années, un visage incontournable, malgré des débuts tardifs dans la profession en 2011. Et pour cause, à 67 ans, cet ancien officier de police a la particularité d'être le seul de sa corporation à cumuler la fonction de... prêtre !


Autoproclamé cinéphage et cinéphile - il détient 8500 films et en visionne près de 500 par an -, ce passionné fougueux a aussi la singularité de se faire entendre (ou lire) sur un média ciblé, en l'occurrence les antennes de RCF (la Radio Chrétienne Francophone), qui jouit d'une audience de 40 000 auditeurs. "Mais nous sommes un média généraliste!", aime-t-il souvent répéter..

 

Rencontre avec celui dont la vie a été chamboulée le 22 mars 2016, puisqu'ironie du sort, en se rendant à une vision de presse, il se trouvait dans la rame de métro qui a explosé à la station Maelbeek, lors des attentats de Bruxelles...

Cinergie : La chose étant peu commune, un rappel s'impose d'abord : comment se retrouve-t-on critique professionnel à presque 60 ans ?
Charles Declercq :
C'est en juin 2011, alors que je me rendais à l'ancien Festival de Bruxelles qui se tenait à Flagey, que j'ai fait connaissance avec ce milieu, cet événement organisant des visions de presse. Des visions dont, vu ma grande naïveté, j'ignorais l'existence jusque-là, même si j'avale des films depuis l'adolescence. Là, je me suis retrouvé autour de journalistes professionnels et de blogueurs amateurs. Si entre eux, les frontières sont parfois floues, assez vite, je me suis rendu compte que pour les distributeurs de films, l'important était qu'on parle de leurs films, en bien ou en mal ! Je me suis alors fait connaître en enchaînant d'autres visions dans la foulée. Et comme ma radio savait mon intérêt pour le cinéma, on m'a demandé si je ne voulais pas faire une ou deux émissions par semaine. C'est donc de manière autodidacte que ce travail a commencé pour moi. Même si pas mal de gens peinent à le considérer comme tel...

 

C. : ... c'est-à-dire ?
C.D. :
En dehors du milieu, on n'imagine pas toujours l'investissement que ce métier réclame, en temps et en énergie. Que lorsque vous en êtes à votre troisième film de la journée, vous pouvez être à bout, alors que vous devez encore rédiger vos critiques ! Mais j'ai pris grand plaisir à faire ça, même si au début, je masquais le fait d'être un prêtre qui travaillait dans une radio chrétienne. Car on a beau être dans une radio généraliste, donc non-confessionnelle je précise, cela n'empêche pas qu'on vous colle une étiquette, et ce n'est pas toujours évident avec les soucis qui peuvent se poser pour l'Église. J'ai donc fait profil bas, en laissant aux professionnels l'occasion de se rendre compte que je pouvais faire ce travail de façon honorable et sérieuse. Même si personne, bien sûr, n'est jamais à l'abri de raconter une bêtise ! Peu à peu, j'ai dévoilé mon identité, et c'est finalement passé comme une lettre à la poste...

 

 

C. : Vu les 4 à 500 films qui sortent chaque année, comment opérez-vous votre sélection ?
C.D. :
Vu cette masse, ce n'est pas simple, mais j'essaie d'en voir le maximum. J'essaie de privilégier les films d'auteur dont on parlera peu, sans pour autant négliger les films grand public dont il faut rendre compte. Si je peux zapper quelque chose, ce sera plutôt du côté des comédies françaises ou des films d'horreur, bien que je garde toujours un œil sur le BIFFF, tant cet événement est incontournable, au-delà de la Belgique. Mais de manière générale, j'évite les jugements préalables. Parce qu'on peut voir des films de grands réalisateurs dont on sort déçu et inversement, on peut avoir des appréhensions sur certains films qui au final, sont excellents. Mais RCF reste une radio généraliste sans publicité : on a donc une grande liberté de manœuvre dans les choix éditoriaux et on peut interroger des gens qui ne le sont pas ailleurs. Car malheureusement, il faut bien le dire, certains journalistes, trop souvent pour leur gloriole, ne cherchent qu'à interviewer que des gens "connus". Or la vedette, ce ne doit jamais être le journaliste, mais bien l'invité !

 

C. : Encore faut-il pouvoir "faire" du journalisme. Cette fibre, elle serait innée ?
C.D. :
Vous savez, comme prêtre, on attend de vous d'avoir toutes les qualités : être bon prédicateur, bon célébrant, bon liturgiste, etc... Je ne les ai pas toutes (sourire), mais j'ai toujours eu le contact, la parole et le verbe faciles, des choses qui se marient bien avec le journalisme. Puis, je ne suis pas agressif. Quand je réalise un entretien, je n'ai pas envie de coincer ou de casser les gens, ni de me mettre en valeur. Car c'est essentiel de respecter autant les personnes reçues que les auditeurs. Je tâche d'être constructif et positif, ce que je fais à travers trois émissions, comme Les 4 sans coups, dans laquelle je reçois chaque mois trois confrères, pour débattre des films à l'affiche. C'est une version disons plus modeste de la mythique émission française Le Masque et la plume. Sans pour autant tuer mon "jouet", je trouve d'ailleurs regrettable, pour des raisons surtout économiques, qu'un canal de plus grande envergure ne puisse faire un tel programme de nos jours...

 

C. : Quid, aujourd'hui, du rôle et de l'influence du critique, d'après vous?

C.D. : Quand on fait ce métier honnêtement, même en étant négatif, cela paie toujours. Trop de confrères démolissent pour... démolir et où, dès une première prise de parole, l'audience d'un film peut chuter de 50% ! D'un point de vue journalistique, ça me pose problème. Parce que derrière un film, il y a des années de travail. Je ne dis évidemment pas qu'il faut brosser dans le sens du poil, mais il faut savoir dire les choses avec nuance et pouvoir prendre des distances. À titre de comparaison, moi, je fais mon pain à domicile : il est parfois raté, mais ce n'est rien car j'y ai mis tout mon cœur pour le fabriquer ! Je constate aussi que certains critiques amateurs méritent parfois plus d'attention dans ce qu'ils font que certains professionnels. Même si on se demande parfois ce que certains viennent faire en vision de presse et quelle légitimité ils ont ! C'est pour ça que pour moi, avant d'aller voir un film, c'est important que chacun puisse se forger un avis via deux ou trois médias différents. Et qu'on ne se limite pas à un seul son de cloche.

 

C. : Et l'avenir du cinéma en salle, comment le voyez-vous ?
C.D. : Soyons lucide. L'avenir du cinéma, c'est d'abord des blockbusters qui vont continuer à faire venir du monde dans les salles. Mais attention, ce sont aussi ces films-là qui vont permettre à des programmateurs intelligents de diffuser en parallèle des films exceptionnels et pas forcément rentables. Certains critiques sont parfois perdus face à ces films de super-héros, mais il faut les considérer et ne pas les mépriser, car il y a parfois des choses exceptionnelles dans l'art narratif, la construction des personnages, etc. N'oublions pas que le cinéma, à ses débuts, était avant tout un art populaire ! Aujourd'hui, les temps changent, le cinéma se trouve à un tournant de son histoire, mais je fais partie de ceux qui pensent que grâce à Netflix, les salles vont justement pouvoir se réinventer, en montrant peut-être d'autres choses. C'est en tout cas important de réfléchir et de comprendre ces changements ensemble, sans se livrer des guerres vaines. Parce qu'absolument personne ne pourra contrer les évolutions actuelles...

 

C. : Dernière chose : cette passion, cet enthousiasme et ce positivisme, d'où vous viennent-ils ?
C.D. :
Ça aussi, c'est inné. J'ai toujours pris les choses très à cœur. Vous savez, le jour des attentats de Bruxelles, dont j'ai pu réchapper, j'étais complètement ailleurs. Alors que tout Bruxelles était bloqué, ma directrice m'a demandé si je voulais être à l'antenne. J'ai répondu que oui. Car c'est justement parce que certains voudraient nous empêcher l'accès à la culture, en pensant que ça n'en vaut pas la peine, qu'on doit continuer. Même quand on ressort miraculé d'une rame de métro et qu'il y aura un avant et un après dans votre vie suite à cela ! C'est pour ça que je n'ai pas arrêté. Quoiqu'il en soit, si le temps se raccourcit pour moi, j'espère poursuivre ce métier jusqu'à 70 ans au moins. Physiquement, c'est possible. Et puis, j'ai encore 2500 films à voir chez moi (sourire)...

 

http://www.cinecure.be/-Les-4-sans-coups-

 

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