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Rencontre avec Dominique Olier, créateur du festival Cinémondes

Publié le 27/11/2023 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Du 11 au 15 octobre 2023 a eu lieu la 19e édition du festival Cinémondes, festival international du film indépendant de Berck-sur-Mer, avec Yolande Moreau comme invitée d’honneur. Depuis sa création en 2005, le festival se veut un espace de découvertes, de réflexions, de rencontres, de création. Cette année, c’étaient plus de 40 films de fiction, documentaire et animation, courts et longs, issus de 22 pays différents, qui ont été présentés au Cinos de Berck, au ciné théâtre de Montreuil, mais aussi dans des salles des fêtes de quelques villages du Pas-de-Calais.

Cinergie : Quand êtes-vous arrivé au festival Cinémondes ?

Dominique Olier : J’ai créé ce festival en 2005 à Lille avec un petit groupe d’amis qui travaillaient déjà dans le cinéma : dans la critique, la programmation, l’organisation d’autres festivals. On voulait créer un festival de cinéma d’auteur ouvert sur le monde, ce qui n’était pas fréquent à l’époque dans la région du Pas-de-Calais. On a commencé à rechercher des financements sur Lille. On avait déjà un réseau de cinéastes, d’acteurs, d’actrices que l’on pouvait impliquer dans le projet. Claude Miller et Élodie Bouchez ont été nos parrains. Deux mois avant le début du festival, la ville de Lille s’est retirée du projet et on a perdu tous les autres financements en cascade. On a donc fait de l’investissement personnel pour mettre en place le festival malgré tout. On a réussi avec même pas 5000 euros et ça a très bien marché. L’année suivante, on est retournés voir les financeurs et on a pu continuer à développer le festival pendant 10 ans à Lille. Ensuite, c’était difficile de faire exister ce festival, comme dans beaucoup de grandes villes. Comme on avait peu de moyens et qu’on défendait ce type de cinéma, on était complètement perdus au milieu de la programmation d’une grande ville où il y a beaucoup de cinémas, de théâtres, de propositions culturelles riches. En plus, on était à la frontière entre l’arrivée du numérique et la fin du 35mm et les salles qu’on occupait n’étaient pas équipées en numérique à ce moment-là. On ne pouvait pas présenter tous les films que l’on voulait. Il y avait une espèce de flottement et on pensait arrêter, mais on a entendu parler de cette salle de cinéma à Berck-sur-mer qui allait ouvrir. On est allés les rencontrer ainsi que l’association des amis du cinéma à Berck. On se disait que c’était peut-être bien d’être dans une ville plus petite et de relever le défi de recommencer tout à zéro avec un public qui n’a pas l’habitude de voir le cinéma que l’on défend. Cet engagement nous a motivés et c’est une terre où l’Extrême droite est très présente donc c’était important pour nous de faire découvrir un cinéma du monde pour ouvrir les consciences. Quand on connaît mieux l’autre, quelque chose peut arriver.

Les premières années, on a fait venir Gaston Kaboré, un grand cinéaste burkinabé. Certains enfants dans la salle n’avaient jamais vu de film africain. On s’est dit qu’on était à la bonne place. Petit à petit, on a construit une programmation toujours exigeante et toujours en tenant compte du public qui était là et avec qui on voulait grandir.

 

C. : Le public vient de Berck, mais aussi d’ailleurs. Comment faites-vous venir ce public ?

D. O. : Depuis 9 ans qu’on est à Berck, il y a un contrat de confiance qui s’est fait avec le public et le bouche-à-oreille et notre programmation a été reprise via les réseaux sociaux, des associations avec qui on travaille qui sont relais avec les films que l’on présente. Pour chaque film que l’on programme, on se demande quel public on peut aller chercher par rapport à la thématique, au pays d’origine. Ce public spécifique, on tente de le garder pour les autres films.

Il y a eu aussi un basculement très net en 2021 quand Ken Loach était le président d’honneur. Depuis lors, le festival a été mis en lumière et on voit encore la différence aujourd’hui.

 

C. : Comment financez-vous le festival ?

D. O. : Il ne s’agit pas d’argent, mais plutôt de persuasion et de patience. Ken Loach, cela faisait 10 ans que j’essayais de le faire venir. C’était la même chose pour Yolande Moreau cette année. Je garde le contact avec certaines personnes et à un moment, cela fonctionne. On n’a pas de gros moyens ni financiers ni humains quand je compare avec d’autres festivals de la région comme celui d’Arras, d’Amiens ou de Valenciennes. On n’est rien du tout à côté. C’est un festival qui se monte avec 120.000 euros avec moi comme seul permanent et pendant le festival on est 10-15 salariés avec des contrats entre deux mois et une semaine. Beaucoup de professionnels viennent et prennent en charge leur transport, leur logement. On ne prend pas tout en charge.

 

C. : Comment avez-vous établi le lien avec les associations ?

D. O. : Mathilde Prévot s’occupe de cet aspect. Elle a fait un Master en documentaire à Amiens et je lui ai confié toute la partie Cinémondes Junior. Avec Gaspard Veber, on construit la programmation avec des films que l’on a vus, des nouveaux films, des films de patrimoine de janvier à mars-avril. On crée un corpus varié qui s’adresse à différentes tranches d’âge et on l’envoie à tous les établissements de la région de Hauts-de-France. On donne aux enseignants les liens pour voir les films et ils ont jusqu’au 15 juillet pour préréserver les séances qu’ils veulent. Ensuite, on ne choisit que les films plébiscités par les enseignants.

 

C. : Quel est votre parcours ?

D. O. : Avant, j’habitais à Montréal et je me suis occupé de la programmation du festival africain Vues d’Afrique pendant plus de 4 ans. Avant, je travaillais au Sénégal comme programmateur pour les Centres Culturels français, qui sont devenus les Instituts aujourd’hui. Avant, j’étais étudiant aux Beaux-Arts et vers la fin de mon cursus, je me suis plutôt tourné vers la création vidéo.

 

C. : Comment établissez-vous la programmation ?

D. O. : Il y a plusieurs facettes. Il y a cette sélection officielle qui mêle courts métrages de fiction, documentaire et animation, parfois expérimental. Cela pour favoriser la production des Hauts de France. On voulait aussi faire un lien avec la Belgique avec qui on a des liens de coproduction et d’échange d’artistes. On fait un appel à candidatures et avec un comité de 15 personnes, on sélectionne dix films avec prix du public, prix de la critique et prix des lycéens. À côté de ça, on a une section qui s’appelle Récits du Réel qui contient essentiellement des documentaires de création avec parfois d’autres films qui frôlent le documentaire. On voulait garder la liberté d’aller chercher d’autres types de films. On en sélectionne 8 en lien avec les partenaires de festivals comme l’ACID (Agence du cinéma indépendant) dont on sélectionne au moins deux films de leur sélection. On prend aussi deux films du festival Stlouis’Docs au Sénégal, des documentaires africains que l’on a peu l’habitude de voir en France ou en Belgique. À côté de ça, ce sont des films qui arrivent de festivals ou de rencontres. On ne fait pas d’appel pour cette sélection, on laisse les films venir à nous. On reste à l’affût de ce que l’on peut voir jusqu’au dernier moment.

On a aussi deux cinéastes très connus dans leur pays, mais pas en France. Cette année, on a un cinéaste de l’île Maurice, un autre du Liban à qui on rend hommage. L’ambition du festival, c’est de faire découvrir des cinéastes émergents et d’autres, très connus, mais dont l’œuvre est à découvrir ici. Et on invite aussi un cinéaste d’honneur qui a déjà une renommée internationale qui permet aussi de mettre en lumière le reste de la programmation. Et, pour ces cinéastes, on choisit des films moins connus, peut-être leur premier film ou des films perdus de vue. Pour Yolande Moreau, on s’est plus intéressés à son travail de cinéaste qu’à son travail d’actrice. On leur permet aussi de faire des cartes blanches des films qui les ont marqués ou influencés.

 

C. : Il y a eu pour la première fois une décentralisation cette année ?

D. O. : C’était une expérimentation de cette année qui a très bien fonctionné. Une semaine avant le début du festival, Mathilde et Gaspard sont partis dans 6-7 villages qui ont accueilli le festival sur une journée, en matinée ou en après-midi, parfois les deux dans des salles des fêtes. Il y a eu des projections pour les scolaires, plutôt écoles primaires et en soirée pour le grand public. On leur a proposé plusieurs films qui venaient de Mongolie, de Guinée, du Brésil. On voulait proposer des films qui ne seraient jamais venus dans ces villages-là. On a choisi des villages assez éloignés des salles de cinéma. On voulait aller vers les publics qui ne pouvaient pas venir au festival. On aimerait développer cette décentralisation l’année prochaine.

 

C. : Vous organisez aussi des ateliers d’écriture?

D. O. : On développe ça depuis 5 ans, surtout avec la Belgique. On se rend compte qu’il y a beaucoup d’écoles de cinéma en France (Tourcoing, Amiens), mais après, il n’y a pas vraiment d’espace pour développer des projets de cinéma et on voit que certains cinéastes essaient de faire du cinéma avec des fonds associatifs ou des productions. Ils y arrivent, mais ne parviennent pas au premier film professionnel. On a donc mis en place des ateliers d’écriture d’abord de courts métrages documentaire (voire 52 minutes) puis de fiction et depuis cette année, d’animation. On sélectionne six auteurs français ou belges dans chaque type de cinéma et pendant 15 jours, ils sont suivis par un professionnel pour expertiser leur projet et le développer. On n’arrive pas à un projet fini, mais on parvient à un bon état d’avancement grâce aux discussions collectives aussi. Tous ces auteurs se retrouvent pendant le festival et on les prépare aux pitchs pour les adresser à des producteurs, des diffuseurs, des institutionnels qui sont là pour repérer les projets, développer des coproductions France-Belgique. On est des passeurs entre des auteurs en qui on croit et des producteurs potentiels. Parmi ces projets, certains ont été primés dans de nombreux festivals.

On voulait soutenir des premiers films professionnels à la sortie de l’école et on pense que c’est mieux de se lancer d’abord dans un court métrage avant le long. Puis, ce n’est pas vraiment le même travail d’accompagner un long ou un court. Et on n’a pas les moyens de suivre les longs. L’année prochaine, on voudrait présenter quelques courts métrages au festival, pour qu’ils soient diffusés ici où ils ont fait une partie de leur chemin.

 

C. : D’où vous vient votre passion pour le cinéma ?

D. O. : Mes parents aimaient le cinéma. Quand j’étais petit, j’y allais peu, car j’ai habité au Gabon jusqu’à mes 12 ans, mais dès que j’ai pu, j’allais fréquemment au cinéma même tout seul tous les dimanches soirs. Mes parents ont eu un magnétoscope assez tôt donc quand on allait en France, on faisait beaucoup de copies de films qu’on ramenait et regardait en Afrique. J’avais aussi un voisin passionné de cinéma qui découpait des articles sur les films qu’il voyait. Il m’a conseillé d’écrire sur les films que je voyais et je m’y suis mis, on regardait des films ensemble et il me poussait à écrire sur les films dès mes 8 ans.

Mon film de chevet, c’est Il était une fois en Amérique de Sergio Leone. J’ai même eu la chance de pouvoir le rencontrer. Mon père m’a montré tous les westerns et à 8 ans, il m’a emmené voir ce film au cinéma et j’ai été subjugué.

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