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Entrevue avec Ottis Ba Mamadou pour la sortie de Dent pour Dent

Publié le 21/12/2023 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Présenté au sein de la sélection de la 19e édition du Festival International du film Indépendant de Berck-sur-Mer, Cinémondes, Dent pour dent est le premier long métrage d’Ottis Ba Mamadou. Dans ce premier long métrage, le réalisateur sénégalais dresse le portrait d’une société africaine patriarcale empreinte de machisme. Ottis Ba Mamadou, à travers l’histoire de son personnage principal, incarné par Charles Auguste Koutou, parle plus largement, et avec humour, d’une Afrique en proie aux injustices.

Cinergie : Quel est le sujet du film ?

Ottis Ba Mamadou: Dent pour dent raconte l’histoire d’Augustin qui se retrouve au chômage à l’époque où le Sénégal doit réduire son nombre de fonctionnaires pour recevoir de l’argent. On appelle ces gens les déflatés, ces fonctionnaires licenciés pour que l’État retrouve un équilibre financier. C’est sa femme qui ramène l’argent avec son cabinet médical et il le vit mal ce qui le pousse dans des situations « burlesques ». C’est une comédie sociale politique puisque c’est le FMI qui a imposé sa politique au Sénégal. 

 

C. : Parlez-nous du contexte sociopolitique.

O. B. M.: Avec le franc CFA, monnaie gérée par la France, quand un pays africain veut faire un prêt au FMI ou à la banque mondiale, la France doit donner son aval. Quand ces pays se retrouvent très endettés, le FMI ou la banque mondiale suggèrent à la France de faire quelque chose comme cela a été fait au moment de la dévaluation. C’est comme si on nous disait, du jour au lendemain, de 100000 euros sur notre compte, on passe à 50000. Depuis la décolonisation, ces pays se sont retrouvés plus endettés que jamais et les populations ne voient pas le bout du tunnel. Si vous tombez malade dans ces pays-là et que vous n’avez pas d’argent, vous pouvez mourir à la porte des hôpitaux. Ce sont les politiques arbitraires de ces institutions qui ont demandé à ces pays-là d’être rentables en matière de santé, d’éducation, etc. On met ces pays dans des situations très compliquées et c’est toujours la population qui souffre et j’ai voulu aborder ce sujet de manière légère avec une touche de comédie qui fonctionne très bien avec le sujet du FMI et la pirouette de DSK.

 

C. : C'est-à-dire?

O. B. M.: DSK a été directeur général du FMI et il a demandé au Sénégal de réduire son train de vie et ce sont souvent les fonctionnaires qui sont la variable d’ajustement, comme en Grèce. Ce ne sont pas les ministres ni le Président qui réduisent leur salaire. C’est juste après cela que l’affaire DSK est arrivée. Je l’ai toujours trouvé très intelligent économiquement et je suis resté bouche bée quand il s’est retrouvé dans cette situation ubuesque alors qu’il était directeur général du FMI et qu’il était à deux pas de l’Élysée. Il y a d’autres films qui ont traité cette affaire, mais je trouvais intéressant d’avoir un point de vue africain sur ce sujet. Je fais le lien entre l’institution, l’homme à la tête de cette institution et les conséquences des décisions arbitraires des institutions sur ces populations et sur ce personnage Augustin qui décide de rendre responsable DSK de sa situation ce qui en fait la cible de son courroux.

 

C. : Vous abordez des sujets importants sans entrer dans les détails, mais si on s’y intéresse, on se rend compte que rien n’est anodin. Comment s’est passée l’écriture cinématographique de ce film ?

O. B. M.: Un film de 90 minutes passe très vite et c’est difficile de traiter tous les problèmes existants dans la société. J’ai essayé d’avoir une trame. C’est un peu comme une image avec des millions de pixels qui forment l’image que l’on voit. La relation hommes-femmes, la situation économique, les enfants de la rue, l’immigration, l’éducation sont des sujets qui forment la société et j’ai voulu en faire une peinture que l’on envisage dans son ensemble. Il ne s’agit pas d’extraire un problème en particulier. J’ai mis en scène des situations que la population traverse. Le père a un problème de travail, les étudiants ont un problème d’éducation. Chaque génération de cette population fait face à un problème. Pour l’écriture, ce n’était pas évident. On suggère souvent de traiter un seul problème dans un scénario et d’amener une résolution à la fin. Quand on parle de la situation, les choses ne fonctionnent pas toujours comme ça. On en parle pour que l’on en débatte, pour mettre le doigt dessus. Le film est là pour éveiller les consciences et après, on cherche des solutions, mais on ne les trouve pas toujours. C’est ce qui m’intéressait dans ce film.

 

C. : Le film a été montré en Afrique ?

O. B. M.: L’avant-première a lieu en décembre dans un événement avec Unifrance en collaboration avec Pathé et il sortira la semaine suivante en Afrique dans 17-18 pays dont le Ghana et c’est une bonne nouvelle.

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