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Rencontre avec Isabel Biver, guide-conférencière et autrice

Publié le 03/02/2022 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Isabel Biver, guide-conférencière et autrice

"La remise en question des salles a lieu, mais on pourrait encore faire plus."

À l'heure où les salles de cinéma doivent toujours faire face à la crise sanitaire, l'occasion était idéale d'évoquer leur remise en question avec une experte en la matière, Isabelle Biver.

Autrice de deux ouvrages-références sur le sujet (Cinémas de Bruxelles, portraits et destins en 2009 et Cinémas de Bruxelles en 2020), cette historienne cumulant les métiers d'enseignante et de guide-conférencière s'est créé un profil atypique voire inédit. Et depuis seize ans, elle fait visiter les salles bruxelloises.

Cinergie : À vos yeux, où se situe-t-on, dans la remise en question des salles de cinéma ?

Isabelle Biver: Je crois qu'elle a bien lieu, mais on pourrait faire plus. À Bruxelles cela dit, un cinéma comme le Kinograph a initié un nouveau mouvement. Au départ, ce projet semblait un peu curieux: ils y diffusent des films récents, mais pas forcément tous les soirs. J'ai moi-même dû m'y habituer, mais là-bas, chaque séance est particulière si pas unique, grâce à une qualité de distribution et des animations qui vont avec. Quand par exemple, ils ont sorti Fils de Plouc, qui est justement un film – incroyable - se passant à Bruxelles et dont on peut se réjouir de l'existence, ils ont fait la première avec du... vin chaud! Et bien ce genre d'expériences "différentes", c'est une belle illustration de ce que peut être une salle de cinéma de nos jours. Soit à la fois un lieu de loisirs, de commerce et de convivialité. Et même si ce mouvement est plus lent chez nous qu'à l'étranger, je pense que les mentalités – y compris celles d'autres acteurs et actrices de la chaîne, comme les distributeurs – vont continuer d'évoluer dans les années à venir. Mais par rapport à la question, les théâtres ont une longueur d'avance...

 

C.: C'est-à-dire ?

I.B. : Dans la capitale, l'évolution des théâtres a fait que ce sont des endroits dynamiques, où il se passe plus souvent ce genre de choses que dans les cinémas, qui sont restés des endroits très classiques, encore inscrits dans des schémas traditionnels. Plus globalement, on manque encore d'écrans chez nous, mais je constate que certains rouvrent. Comme ce petit cinéma charmant qui vient d'être lancé à Nivelles, le Ciné4. Récemment encore, je me réjouissais de voir que la RTBF relayait la résistance d'un petit cinéma à Gedinne (NDLR: Ciné Gedinne), qui voulait rester ouvert malgré l'interdiction. On pourrait aussi parler des cinémas de l'exemplaire Alexandre Kassim, au Stockel (Le Stockel), à Rixensart (Le Ciné Centre) ou à Jodoigne (L'Étoile). Il y aura bientôt à Bruxelles la réouverture du Movy Club, sous une autre appellation. Etc...

 

C. : En ouvrant le Kinograph en 2019, ses responsables nous confiaient qu'une part de la population avait carrément perdu l'habitude d'aller au cinéma, mais qu'on pouvait aller les «rechercher». Vous êtes d'accord avec ce constat ?

I.B.: Oui ! Je pense aussi qu'il y a une frange de la population qui peut sortir davantage, comme par exemple des trentenaires sans enfants – parce qu'on en fait de plus en plus tard – mais qui sont happés par la facilité du canapé et par toutes les chaînes, au-delà de Netflix. C'est tellement facile, on a tout. Et l'argument «On se sent bien seul» alors qu'on parle partout de convivialité et de sorties en ville, c'est quelque chose qui ne me parle plus beaucoup aujourd'hui. Ces dernières années, j'ai effectué des visites de cinéma à la VUB, pour un cours d'histoire des médias, et je me retrouvais face à des jeunes avec qui un fossé se creuse, qui trouvent souvent le cinéma trop cher. Évidemment, proportionnellement à un abonnement à une chaîne ou à un film piraté, on peut peut-être le comprendre...

 

C. : Certains spectateurs ou spectatrices belges nous disent aussi que les cinémas se situent souvent trop loin de chez eux...

I.B.: Écoutez, il y a quelques jours encore, je suis allé au Stockel, qui reste un vrai plaisir et où la façade vient d'être refaite, exactement comme elle l'était en 1955 ! Mais c'est vrai qu'aller au cinéma reste une aventure, une expérience. D'un autre côté, certaines salles pourraient faire un effort au niveau du confort. Je connais des gens qui ne vont plus au cinéma car ils trouvent qu'il y a trop de bruit, que les conditions sont insupportables et que le public se conduit mal. Les multiplexes devraient se prémunir de ça. Il y a aussi un contexte global. Les gens plus âgés aiment se sentir en sécurité en ville, en ayant des moyens de transport qui vont directement à la salle. Et en plus de la convivialité, il y a l'accueil à reconquérir. Certaines salles l'oublient trop. Et quand je parle d'accueil, ce n'est pas simplement être aimable : c'est sentir que quand on a quelqu'un en face de soi qui vous vend un ticket de cinéma, cette personne s'est un minimum investie.

 

C. : C'est d'ailleurs quelque chose dont vous parlez, lors de vos visites.

I.B.: L'idée de ces visites, c'est d'amener les gens à travers un Bruxelles de cinéma qui existe, qui n'existe plus et qui est en mutation. On y croise à la fois le passé, le présent et le futur des salles. Mes visites se font souvent avant l'ouverture des portes, que ça soit à l'UGC, aux Galeries, au Nova ou au Palace, etc. Au-delà de ça, je fais des rallyes avec des enfants entre 6 et 12 ans, où le guide est un explorateur avec les enfants. On joue, on regarde les choses, on dessine, on sent les choses. Et ces enfants, ils sentent la beauté. Quand ils entrent dans un cinéma comme aux Galeries, ils ont carrément des frissons, parce qu'ils voient l'éclairage indirect, le rideau... Ce qui me fait penser qu'on doit continuer à cultiver cette beauté, cet amour... Et cette culture, elle ne peut pas se faire sans envelopper les gens et sans faire sentir au public, quel qu'il soit, qu'il est exceptionnel et que c'est formidable qu'il soit là. Et là, je me répète, il y a trop d'endroits où on ne le sent pas.

 

C. : Et à quel rythme allez-vous voir un film ?

I.B.: Autant que l'emploi du temps et la garde d'enfants le permettent. Mon idéal est d'une fois par semaine, mais c'est plutôt quelques fois par mois. Il peut arriver que j'y aille plus souvent, s'il y a un festival par exemple. Mais ce qui est compliqué aussi, c'est la nature des films. Pour moi, la distribution actuelle ne suit pas toujours. La plupart du temps, tout en ayant conscience qu'on devient plus exigeant les années passant, je trouve qu'il n'y a pas assez de films intéressants. Puis, il y a aussi la difficulté des films par rapport à la vie active qu'on peut avoir, et notre disponibilité de concentration. Avouons que la majorité des films qui sortent ne sont pas toujours joyeux. Ce sont souvent des sujets ardus, pour lesquels il faut être capable d'être à la hauteur. Mais je préférerai toujours voir des films en salle plutôt qu'à la maison, même si j'y ai un écran projecteur. Mais ça, c'est encore une autre expérience...

 

C. : Dernière chose, le cinéma belge, vous gardez un œil dessus ?

I.B.: Bien sûr. C'est sûr qu'il y a des thématiques qui reviennent souvent et qu'on aimerait aussi voir des choses un peu plus gaies. Alors qu'on a tellement de singularité et de personnalités riches ! Dernièrement, j'ai vu Une vie démente: mais quel beau film ! Raphaël Balboni et Ann Sirot abordent des sujets forts, avec une authenticité de jeu, une simplicité... Sans oublier nos films pour enfants et le cinéma flamand, que je trouve particulièrement intéressant. Vu l'étroitesse de notre territoire et toutes ses contraintes, on réussit quand même à faire des choses incroyables !

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