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Rencontre avec Jérôme Branders, responsable du cinéma L'Aventure à Bruxelles

Publié le 18/05/2020 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

« On n'imaginait pas fêter les dix ans de L'Aventure de cette façon ! »

En attendant la réouverture des salles de cinéma et la probable mise en place d'un protocole sanitaire de la Fédération des Cinémas de Belgique (la FEB), les différents responsables d'exploitation doivent gérer une période d'incertitude inédite.

Entretien avec l'un d'entre eux, Jérôme Branders, le directeur d'exploitation de L'Aventure, un cinéma de trois salles situé au cœur de la capitale et relancé il y a tout juste une décennie.

Depuis, l'enseigne n'a cessé de se développer, affichant une moyenne annuelle respectable de 80. 000 spectateurs, au sein d'une des zones les plus concurrentielle du pays, puisque la Galerie du Centre qui l'abrite est située non loin des complexes de l'UGC, tout en restant proche du Cinéma Galeries, du Nova, et du Palace.

Cinergie : Comment traverse-t-on cette période, lorsqu’ on est exploitant de cinéma ?

Jérôme Branders : Après des premières semaines qui, je dois l'avouer, ont permis de débrancher la prise pour la première fois depuis dix ans, et donc de se ménager un peu sans avoir un œil constant sur les chiffres, on se demande à présent quand-on va redémarrer. Comme tous les cinémas ! Mais avec l'équipe (NDLR: trois salariés à plein temps), le contact reste permanent. On passe parfois au cinéma pour gérer l'administratif, tout en répondant aux nombreux spectateurs qui demandent comment faire pour nous aider concrètement, ce à quoi nous réfléchissons aussi. L'important, même si on n'ouvre pas demain, c'est de ne pas se laisser surprendre par ces moments un peu particuliers, en prévoyant les choses au mieux en vue de la reprise...

C. : En coulisses, vous discutez aussi entre exploitants ?

J.B. : Oui, ça communique pas mal, surtout entre exploitants des petits cinémas. On se pose des questions. Nous avons tous des idées assez semblables sur cette situation et même sur la réouverture. Même si tout n'est pas encore clair, chacun semble se dire qu'il vaut mieux prendre le temps pour qu'on soit un minimum rentables quand cela repartira. Ce qui est un peu dommage, c'est que malgré une réalité similaire à l'ensemble des cinémas, j'ai le sentiment que les grands se parlent entre eux de leur côté, et les plus petits du leur. J'aimerais parfois qu'on soit tous plus fédérés...

C. : Chez les spectateurs, vous ressentez une attente ?

J.B. : Clairement. Nous avons énormément de soutiens. En Belgique, on garde une importante population de gros cinéphiles. Et je pense que les gens ont beau avoir de multiples possibilités à la maison, encore plus maintenant évidemment, qu'ils se rendent d'autant plus compte de la réelle utilité d'un cinéma, ne fût-ce que pour la qualité des projections et pour des mots qui nous manquent tous en ce moment : le lien social, des émotions partagées, la proximité ou l'accueil.

C. : Quelques mesures sanitaires devraient être envisagées dans un avenir proche. Vous vous sentez donc prêts ?

J.B. : Oui, même si nous verrons en fonction des coûts que tout cela nécessite, car l'idée ne serait tout de même pas de perdre de l'argent en rouvrant. Le plus embêtant est qu'on reste encore sur pas mal d'éléments hypothétiques, notamment quant au nombre de personnes envisagées par séance. Nous restons un petit cinéma, sans d'énormes salles à gérer donc, un employé pourrait facilement installer les spectateurs, mais cela risque d'impliquer de l'argent, comme le gel à fournir, les éventuelles visières et le nettoyage entre les séances, qui devraient être plus espacées afin de bien gérer le flux de personnes. On a envie de rassurer les gens, même si à mes yeux, ce sera hors de question de placer des plexiglas entre les sièges. Car on se doit de quand même respecter ce qu'est l'essence-même du cinéma.

C. : À quoi réfléchissez-vous surtout, en ce moment ?

J.B. : À pas mal de points. Dans un premier temps, à gérer tout ce qui est chômage technique et comptabilité, car comme beaucoup de monde dans le secteur, on en profite pour (re)mettre de l'ordre à ce niveau. Puis, on continue à faire tourner les projecteurs au moins une fois par semaine, un peu comme on le ferait pour une voiture à l'arrêt, histoire que les machines ne rouillent pas. Il y a aussi l'aspect plus technique, comme la nouvelle signalétique à adopter et le nouvel aménagement à envisager du lieu. Et puis bien sûr, la programmation. En début de confinement, on parlait de reports, mais là je me dis qu'il est plus sage de patienter pour établir un quelconque agenda. Peut-être faudra-t-il se coordonner entre distributeurs, même en sachant que les films d'art et essai restent chez nous très dépendants de la France. Vu l'arrêt des tournages, il s'agira aussi de gérer le trou au calendrier qui surgira dans un an. J'espère que chacun jouera le jeu pour que nous puissions garder une programmation originale et de qualité, avec des débats, des festivals, etc. Quitte même à organiser plus de choses en été, car contrairement à une idée reçue chez nous, il y a un potentiel de public y compris pendant cette période.

C. : Au sein de votre secteur, est-ce que l'une ou l'autre aide financière existe ?

J.B. : Oui. La première provient de la Région de Bruxelles, à hauteur de 4000 euros. Ce n'est pas énorme, mais elle est assez simple à obtenir. Puis heureusement, les subsides de fonctionnement que nous recevons de la part de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ont été versés de manière anticipée. Et il y a encore un fonds d'indemnisation qui vient d'être créé pour l'ensemble du secteur culturel : c'est d'ailleurs ce que je suis en train de remplir, puis on verra comme cela est réparti. Après, il faudra donc voir les coûts engendrés pour respecter les nouvelles règles sanitaires...

C. : Autour de L'Aventure, pas mal de cinémas se trouvent à quelques centaines de mètres. Cette concurrence parvient-elle à se gérer sainement ?

J.B. : Malgré cette concurrence qui peut sembler rude, il y a dix ans qu'on progresse, ce qui est chouette pour une petite équipe comme la nôtre, même si on n'imaginait pas fêter notre anniversaire comme ça. On entend souvent que le public belge n'est pas extensible, ce qui me fait sourire : moi je reste convaincu qu'il y a encore des gens à aller chercher, surtout qu'on se trouve dans un lieu accessible. Je le vois surtout en observant le jeune public, qui reste celui de demain. Il y a là énormément de cinéphiles, qui ne connaissent pas toujours les petits cinémas, car ils ont le réflexe de ne se rendre que dans des complexes. Pour moi, il y a place pour tout le monde. Vu le manque d'écrans en Belgique, je suis même convaincu que si d'autres petits cinémas ouvraient dans certaines communes, comme à Saint-Gilles par exemple, et bien ce serait tout le temps rempli !

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