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Rencontre avec le créateur d’affiches de cinéma Laurent Durieux. Expo au MIMA

Publié le 24/06/2021 par Constance Pasquier et Jean-Philippe Thiriart / Catégorie: Entrevue

Il a réalisé plus de 150 affiches de film. Coppola dit de ses images qu’elles « participent activement à la magnifique tradition de l’art de l’illustration ». Lui, c’est Laurent Durieux et il expose au MIMA (le musée d’art urbain situé à Molenbeek) à partir du 26 juin, avec une réédition augmentée d’un ouvrage consacré à son travail, notamment. Nous sommes partis à sa rencontre à Uccle, dans son atelier.

Cinergie : Pouvez-vous nous présenter votre métier ?
Laurent Durieux : Mon métier principal, c’est la conception d’affiches mais je dirais plutôt d’images narratives. Je suis davantage un illustrateur. Je n’ai pas voulu faire des affiches de cinéma au départ. Ce qui m’intéresse, c’est l’image et l’histoire, le mystère qu’on peut rendre dans une image. Il y a un peu plus de dix ans, j’ai fait une affiche, pour le plaisir. Elle est arrivée aux États-Unis. On m’a alors commandé une, puis plusieurs affiches de cinéma alternatives… Aujourd’hui, même si je ne me définis pas ainsi, les gens me voient comme un créateur d’affiches. De cinéma, bien sûr !

 

C. : Pouvez-vous nous présenter l’affiche qui vous a fait connaître ?
L. D. : C’est une affiche terriblement ennuyeuse qui ressemble à un travel poster. Il ne s’y passe rien, quand on n’y fait pas attention. On y voit une plage. Le ciel est bleu. On aperçoit la Jeep du Chief Brody, qui regarde la mer. Au centre, il y a un parasol sur lequel j’ai isolé un quartier, que j’ai mis en noir et qui, évidemment, est l’idée de l’affiche. Cet aileron de requin. Il me semblait que dans le film de Spielberg, ce qui faisait peur, c’était ce qu’on ne voyait pas. J’avais donc envie de retranscrire exactement cette sensation. C’est toujours ma carte de visite !

 

C. : Spielberg a assez vite vu votre affiche. Quel a été son retour ?
L. D. : J’ai reçu un mail de mon éditeur, qui m’a écrit : « Laurent, c’est incroyable : ton affiche est en train de faire le buzz ! » Spielberg a fait appeler l’éditeur par son bras droit et lui a dit qu’il trouvait l’affiche formidable et qu’il en voulait une vingtaine pour lui, sa famille et ses amis. Il s’est reconnu dans cette vision du film en tout cas.

 

L'affiche de Jaws revue par Laurent Durieux © L.D.

 

C. : Parmi ces nombreuses affiches que vous avez réalisées, quelles sont celles qui occupent une place spéciale dans votre cœur ?
L. D. : Parmi les dernières affiches que j’ai créées, j’aime beaucoup celle que j’ai faite pour le dernier film de Jan Bucquoy,  La dernière tentation des Belges parce que là, je suis véritablement en adéquation avec qui je suis. J’aime aussi beaucoup l’image représentant Jeanne Moreau dans Ascenseur pour l’échafaud et que j’ai appelée Waiting for Julien. Elle est très mélancolique. J’aime beaucoup Metropolis parce que je trouve que là, c’est aussi une gageure de revenir après plus de nonante ans d’exploitation graphique de ce film. La seule règle que je me suis vraiment imposée, c’est d’aimer les films sur lesquels je travaille et de pouvoir raconter quelque chose sur ceux-ci.

 

© Laurent Durieux

 

C. : Est-ce qu’il y a eu des collaborations plus difficiles ou en tout cas des préprojets qu’il a fallu revoir, revoir et revoir encore ?
L. D. : Non. Pour Éric Toledano et Olivier Nakache, j’avais fait plein de projets pour Le Sens de la fête et j’étais allé les voir à Paris. Ce que j’avais proposé, le distributeur pensait que ça faisait un peu trop suspense. Donc j’ai dû trouver une autre idée en trois-quatre secondes, étant au téléphone avec eux, celle de la cloche du traiteur ou du restaurant avec toute l’équipe en-dessous. 

 

C. : Ce que Coppola a dit de vous et de votre travail, ça évoque quoi chez vous ?
L. D. : C’est d’abord un très beau cadeau parce que Coppola fait partie de mes réalisateurs fétiches. Un jour, son assistant m’a appelé et m’a dit qu’il adorait mon travail et aimerait travailler avec moi sur des ressorties Blu-ray de Apocalypse Now, etc. J’ai quand même dû le faire patienter trois ans, avec ce carnet d’adresses qui se tire comme un élastique et qui est plein sur une période de deux à trois ans à l’avance. Je lui ai donc dit que je comprenais tout à fait qu’il ne puisse pas attendre. À ma grande surprise, ils m’ont dit qu’ils m’attendraient. J’ai fait plusieurs relectures.  Apocalypse, avec deux affiches différentes. J’ai travaillé sur le Cotton Club, sur Tucker, sur toute une série de films de son catalogue, qui mes sont chers. Il a tellement aimé ces affiches qu’il les a mises sur ses bouteilles de vin, notamment. C’était vraiment une collaboration très simple.

 

C. : Comment travaillez-vous quand on vous commande une affiche de film ?
L. D. : C’est toujours plus simple que ce que l’on pourrait croire. C’est ça, le côté facile : quand les gens aiment votre travail et qu’ils arrivent à poser leur idée du film sur votre travail. Je ne travaille qu’avec des gens qui se disent que je vais me fondre dans leur projet et il y a donc quelque chose d’assez organique qui se crée. Dernièrement, par exemple, j’ai été en contact avec un producteur parisien pour le film Music Hole. C’est une espèce de Pulp Fiction à la belge. Je leur ai donc dit qu’il fallait qu’on se rencontre via Zoom pour voir ce qu’ils avaient dans le ventre et qu’ils puissent comprendre ce que j’avais envie de faire, aussi. Et une fois qu’on est sur la même longueur d’onde, j’envoie un petit croquis rapide, avec une idée. Il y alors des petits réglages qui se font. Ensuite, je passe à la réalisation finale. En fait, je construis mon image petit à petit, comme un artisan que je suis.

 

C. : Hormis votre collaboration avec Coppola, quelles sont celles qui resteront à jamais gravées ?

L. D. : J’ai travaillé pour beaucoup de gens que je n’ai jamais rencontrés en vrai. Un jour, j’étais dans une convention aux États-Unis et mon éditeur, à l’époque - Justin Ishmael de chez Mondo -, me présente Nicolas Winding Refn. Il était là, devant moi. J’étais en train de vendre mes affiches et il m’a dit qu’il adorait cette affiche que j’avais faite pour lui. Il avait, en réalité, produit une ressortie de la bande originale de Old Boy et m’a dit qu’il était très fier d’avoir son nom sur cette affiche. C’était un peu surréaliste.

J’ai de très belles rencontres artistiques avec des dessinateurs. Ça fait partie de mon monde à moi, celui de l’illustration, de la bande dessinée et des graphistes. Sinon, j’ai rencontré Fabrice Du Welz lors d’un festival, par exemple, et on est devenus potes. Je pense aussi à Jaco Van Dormael, un type d’une gentillesse et d’une générosité vraiment incroyables !

 

C. : Quelles sont vos sources d’inspiration principales ou vos influences ?

L. D. : Il y a beaucoup d’auteurs de bande dessinée et d’illustrateurs qui m’influencent. Je suis comme une éponge : tout m’intéresse. Je vais puiser dans des choses qui sont connexes : un tableau, une photo, etc. Moebius a été une grande référence pour moi. Mais je pense aussi aux illustrateurs américains des années trente comme Petruccelli, qui m’a influencé grandement.

 

C. : Quel est votre premier souvenir de film en salle ?

L. D. : Ça devait être un Walt Disney avec ma grand-mère, peut-être Mary Poppins, quand c’est ressorti en salle. Mais, je dirais que ma première rencontre avec le cinéma pour adultes, c’était The Deer Hunter de Michael Cimino. J’ai eu quand même pas mal de chance d’être dépucelé, en termes de cinéma, par Michael Cimino !

 

C. : The Deer Hunter, c’est un film pour lequel vous avez pensé une affiche vous-même, aussi…

L. D. : Oui. Ce film est dans mon top dix. C’est un des plus grands rôles de De Niro. Cette affiche n’était pas évidente car c’est un film un peu complexe. Je trouve qu’elle rend hommage au film.

 

C. : Qu’est-ce qui fait, plus généralement, d’une affiche une bonne affiche ?

L. D. : Une bonne affiche doit donner envie de regarder un film ou de le redécouvrir. Une bonne affiche est pleine de mystère. J’ai envie d’en savoir plus, de me poser des questions, de me dire : « waouh ! Qu’est-ce qu’on me veut ? ». Mais si vous allez voir un distributeur, il va trouver cela complètement absurde. Je n’aime pas du tout dessiner les acteurs sur une affiche, par exemple. Mais je vois l’intérêt que peut y trouver le distributeur. Une bonne affiche, pour moi, c’est donc une bonne composition, une lumière intéressante, du mystère, un petit twist visuel qui fait que l’on s’arrête quand on la voit, etc.

 

C. : Pendant six mois, du 26 juin au 9 janvier 2022, vous exposez au MIMA, le musée de Molenbeek qui fait la part belle à l’art urbain et à la culture 2.0. Comment présenteriez-vous cette exposition ?

L. D. : Il y une exposition sur le cinéma ABC, l’ancien cinéma porno de Bruxelles, où ils vont notamment questionner la notion de censure. Puis il y aura mes affiches, où on pourra se questionner sur le sens de la mise en scène, du storytelling, de la dramaturgie, de comment faire pour exploiter une idée afin de mettre en valeur un thème dans un film. C’est une sorte de mini rétrospective dont le thème principal est la dramaturgie dans l’illustration.

 

C. : Vous avez deux autres actualités, dont la ressortie en version augmentée de « Mirages : tout l’art de Laurent Durieux »…

L. D. : Oui, avec une toute nouvelle couverture. J’avais oublié à l’époque de mettre une affiche que j’aime beaucoup : celle de Titanic. Elle figure dans le bouquin, avec une grosse vingtaine d’autres affiches nouvellement présentes. Ça sort pour l’exposition aussi. Un hors-série de la revue Les arts dessinés sort aussi en ce mois de juin. J’y parle vraiment du dessin et de toutes les étapes de la conception d’une affiche.

 

C. : Revenons sur votre travail avec Fabrice Du Welz. C’est une histoire d’amitié maintenant, mais aussi de collaboration professionnelle sur l’affiche de Adoration. Comment décririez-vous votre travail avec ce réalisateur ?

C’est très simple. Il faut dire aussi que Fabrice est fan : il collectionne les affiches. Je me rappelle que j’avais envoyé le projet de Adoration, qui était vraiment un petit peu rough (brut) et je n’ai eu que des insultes de bonheur comme réponses. C’est Fabrice. Il était tellement excité d’avoir cette affiche ! Adoration fait partie des toutes bonnes affiches que j’ai faites. Et j’en suis très fier. L’avoir vue à Paris sur les colonnes Morris, c’était vraiment un truc incroyable !

 

© Laurent Durieux

 

Ici par exemple, pour La dernière tentation des Belges, c’est le genre de projet que j’envoie. Tout est quasiment placé, c’est-à-dire le mood, les couleurs et la composition. Ensuite, je travaille sur toute la composition de l’image et toute la construction de l’image. Les escaliers, la perspective… C’est assez fastidieux. Enfin, on a l’affiche finale, qui est présentée à Jan et au producteur.

 

C. : Avec évidemment un souci du détail assez incroyable. Une affiche comme celle-ci, combien d’heures de travail cela vous prend-il ?

L. D. : Quand on fait ce métier, la première chose qui est très importante, c’est de ne pas compter ses heures. C’est fini quand c’est fini. Il faut faire en sorte que le résultat soit bon. Cette affiche m’a peut-être pris deux ou trois semaines.

 

C. : Et techniquement, vous passez par plusieurs logiciels en parallèle ?

L. D. : Oui. Ici, pour le tracé, pour la perspective, je travaille avec un ancien programme, Manga Studio. Il me plait parce qu’il a des settings qui permettent de faire de la perspective très facilement et le trait que je dessine est un trait en pixels purs. C’est un peu technique mais c’est ce qui permet de vraiment sélectionner le trait, de ne pas avoir de contour gris autour. Puis, une fois que j’ai ce tracé, je fais de la mise en couleur sous Photoshop. Je travaille ensuite aussi ce que j’appelle les griffes, les trames mécaniques qui font qu’on reconnait mon travail entre mille. C’est une technique que j’ai mis pas mal de temps à mettre au point, par facilité, puisque toutes mes affiches sont faites en sérigraphie. J’avais dès lors besoin de créer des trames pour avoir de la richesse dans les couleurs. C’est un peu devenu ma marque de fabrique.

 

C. : Et les sérigraphies de vos affiches, elles sont disponibles sur votre site ?

L. D. : Oui ou via les différents éditeurs qui les diffusent et les publient. J’édite très peu d’images à titre personnel. Ce sont surtout les éditeurs aux États-Unis ou ici, en Europe, qui publient mon travail. Mon site, c’est « laurentdurieux.com ». On peut y voir mon travail. Je pense que les personnes qui sont intéressées par les sérigraphies doivent venir voir l’exposition car les sérigraphies sont dix fois plus désirables à voir en vrai que sur un écran. Il y a une matière, une luminosité et une lumière qui sont insensées ! Ce sont des pigments purs, ce qui fait que, visuellement, cela n’a presque rien à voir. Je pense donc que pour les gens qui sont intéressés par l’affiche de cinéma, par mon travail ou par la narration, ça vaut vraiment la peine d’aller voir l’expo qui démarre fin juin !

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