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Rencontre avec Laurent Hirtz, fondateur de Crewbooking, le réseau professionnel de l'audiovisuel

Publié le 03/08/2020 par David Hainaut, Constance Pasquier et Oscar Medina / Catégorie: Entrevue

Crewbooking, le réseau social de l'audiovisuel

« Je cherche un assistant-caméra pour un tournage : tu n'en connaîtrais pas un de libre, par hasard ? ». C'est notamment pour pallier à ce genre de manque qu'il y a trois ans, Laurent Hirtz a eu l'idée de fonder le site Crewbooking, un anglicisme qui est une contraction entre Crew (équipe) et Booking (réservation), son réseau (gratuit) permettant de mieux relier les deux.

Rencontre avec son (sympathique) fondateur, un altruiste de 34 ans soucieux de communiquer sur sa plateforme à un moment propice, après le long et inédit ralentissement de l'activité (événements, tournages...) causé par la crise sanitaire. Et à l'aube d'un possible embouteillage – un peu craint par le secteur - qui pourrait en résulter, fin de saison.

 

Cinergie : Tout d'abord, il serait bon de le rappeler : votre ambitieux projet de réseau est né d'une histoire tout à fait personnelle...

Laurent Hirtz : C'est vrai (sourire). Un jour - c'était il y a cinq ans -, pendant que je donnais la panade à ma fille, je reçois trois propositions de boulot de freelance dans l'événementiel à des dates où je n'étais pas disponible ! C'est là que j'ai eu l'idée de créer une plateforme personnelle, permettant à mes clients de voir quand j'étais libre. Mais rapidement, cela a fait tâche d'huile, l'outil s'est élargi, et 800 personnes s’y sont inscrites en dix-huit mois ! J'ai ensuite scindé ma propre activité professionnelle en juillet 2017, pour faire naître et développer une vraie structure (Crewbooking, donc), en m'y investissant. Dans la foulée, j'ai rencontré trois partenaires et le Fonds Wallimage, où l'on nous a dit : «Waow, mais qui sont ces jeunes fous ? Ça va peut-être améliorer des choses dans le secteur !». L'organe nous a financé, ce qui nous a permis de nous étendre au-delà de la Belgique, notamment en France, raison pour laquelle le site s'est transformé en Crewbooking.eu. Et on a alors décidé de faire ce site pour tout le secteur audiovisuel, aussi bien dans le cinéma que dans l'événementiel. Voilà la petite histoire !

 

C. : Pour quelqu'un ne connaissant pas encore Crewbooking, comment le présenteriez-vous ?

L.H. : Pour moi, c'est un outil qui simplifie la vie de l'audiovisuel, puisqu'il permet aux employeurs, aux freelances et aux indépendants de savoir qui est disponible, où et quand. Pour un utilisateur, c'est facile : on crée un profil et on indique ses (in)disponibilités. Pour ensuite être trouvé facilement, comme sur un réseau social. En parallèle, il y a de plus en plus de fonctions possibles, comme la recommandation d'autres professionnels sur certaines compétences, pour faciliter encore l'embauche, dans des professions où nous sommes beaucoup à avoir le nez dans le guidon en permanence. D'ailleurs, le début du confinement nous a permis de prendre du recul, de repenser certaines choses, pour avoir une vision à long terme. Dans ce secteur, les choses sont en train de beaucoup changer, et la digitalisation fait de moins en moins peur.

 

CrewbookingC. : Et vous êtes donc une bande de quatre...

L.H. : … amis, tous depuis longtemps dans l'audiovisuel. On ne prétend pas avoir la science infuse, mais on co-construit le site, pour que producteurs et techniciens s'y retrouvent. Car si on veut que le monde de demain soit meilleur, il faut pour moi le réinventer ensemble. En 2018, encore via Wallimage, j'ai rencontré Arnaud Claes, un cameraman, et Sébastien Rensonnet, un réalisateur et producteur, car ce duo avait un projet et des envies similaires aux miens. Le courant est vite passé, car nos compétences se complétaient, avec le cinéma, l'événementiel et la télé, où les problèmes sont identiques. Un an plus tard, l'équipe s'est encore agrandie avec Cédric Huet, un ingénieur du son, basé en Bretagne et qui avait sa propre plate-forme, ce qui nous a permis d'être encore plus forts. Peut-être que l'équipe s'élargira encore. J'invite d'ailleurs toute personne qui veut changer le monde à nous appeler ou à nous proposer de bonnes idées (sourire). Sur ce « Linkedin » de l'audiovisuel, où l'inscription est gratuite et se fait en une minute, il y a plus de 600 compétences représentées ! Vous pouvez voir les gens proches de chez vous, ajouter ou voir des contacts, ce qui permet de tous se rapprocher en dopant sa visibilité. Certains techniciens partent parfois sur un projet six mois ou un an en tournage ou en tournée à l'international : avec cet outil, on peut voir si cette personne est disponible ou non, sans l'appeler inutilement.

 

C. : En somme, vous souhaitiez combler un manque, et l'objectif semble atteint. Mais vous avez néanmoins encore avec une belle marge de progression, non ?

L.H.: On a encore quelques montagnes à gravir (rire). Là, on comble un manque de réseautage et de visibilité, tout en terminant la refonde de notre outil de booking (planification). On se rend compte qu'il y a une multitude de profils très différents, avec des indépendants, des gens en société, des corporations de techniciens, d'autres dépendant d'organismes comme Amplo ou Smart. Donc, on essaie de trier pour pouvoir aller plus loin, sans vouloir être une banque ou se substituer à autre chose. Notre but reste simplement de faciliter les choses ! Nous somme des créatifs qui ne vibrons qu'en produisant : si tout ça peut être automatisé grâce à un outil comme celui-ci, tant mieux. On a 1000 inscrits en Belgique (NDLR: 7500 à l'international), mais on estime l'ensemble de ces métiers à 40 000 personnes, rien que chez nous. On a donc une belle marge d'extension, mais la courbe est en train de bien monter, à mesure que les travailleurs s'interconnectent, se parlent et se voient dans la vraie vie, où ils évoquent le site. Les gens qui croient en nous sont nos meilleurs ambassadeurs. Au moment où on se parle, on ressent une belle pointe de fréquentation...

 

Laurent HirtzC. : Parmi ce millier de personnes, quels seraient pour le moment les métiers les plus représentés ?

L.H. : Un peu de tout. Cela va d'un régisseur lumière à un cameraman, en passant par des coiffeurs, des assistants-traiteurs, des journalistes ou même des chauffeurs de poids lourd. Une équipe peut vite se constituer, car c'est facile de voir qui est libre. Là, on développe surtout les métiers dans la postproduction. Récemment, le Fonds Screen Brussels nous a dit avoir besoin de gens dans ce domaine, tout en imaginant mettre en place des formations pour l'un ou l'autre métier manquant. Dans ce monde qui bouge, la tendance est quand même à l'hyper-spécialisation. On aimerait à terme rendre disponible des statistiques précises par métier ou par genre, car elles ne sont pas simples à trouver, au-delà de la Belgique même. Vous savez, dans nos métiers, on commence avec la passion. Les plus passionnés ne comptent pas leurs heures et tracent leur route, mais avouons que ces jobs restent usants et difficiles, notamment sur le plan familial. Pour perdurer, à moins d'être un génie, c'est important de se former en continu, de se fixer des objectifs pour gravir des échelons, d'année en année...

 

C. : Vous avez sollicité une agence de communication bruxelloise, la Com' des Demoiselles, pour vous déployer. Pourquoi maintenant ?

L.H. : En avril, dans le secteur, on avait tous compris que le deuxième trimestre était mort pour tout le monde. Rien n'est encore établi, mais on imagine que le dernier trimestre pourrait nécessiter de grosses charges de travail. Plus personne n'a envie de rester chez soi ! Beaucoup de contenus devraient donc se produire, comme les sociétés de cinéma ayant reçu un budget annuel : pas mal de films risquent de devoir se tourner d'ici décembre, mais les techniciens ne peuvent pas se couper en deux ! Donc, autant anticiper et se dire que l'outil est là pour éviter les burn-out des planificateurs. Si on pouvait prouver notre efficacité aussi dans un moment pareil, on serait heureux. Beaucoup trouvent encore fou que cette plateforme existe à peine.

 

C. : Au-delà du Fonds Wallimage, qui vous finance ?

L.H. : On vient de terminer un round de financement avec les Carolos de Sambrinvest et les Montois de Digital-Attraxion. On nous a déjà pris pour des extra-terrestes (sourire), mais quelque part, on est une équipe adéquate pour ce projet. Nous restons des passionnés qui connaissons de près les contraintes du secteur. Nous sommes notre propre client, en fait. Ce qui m'embête, c'est que certains pensent qu'on est une société américaine qui pompe des données pour les vendre à Amazon ou Google. Alors que non, on est juste quatre gars dans un coin perdu de Walhain, qui tentons de changer le monde. Nous ne sommes pas des touristes qui essayons juste de faire de l'argent. L'outil se vend juste aux entreprises au prix de 49,99 euros par mois. Pas à 1000 euros, sans quoi on ne serait pas accessible à tout le monde. Mes investisseurs ne seraient pas ravis que je dise ça, mais si ça ne tenait qu'à moi, je serais content que tout soit gratuit. Mais voilà, il y a des salaires et des bureaux à payer. Et une réalité économique...

 

C. : Votre projet se veut altruiste et solidaire. Un petit paradoxe, à cette époque individualiste, non ?

L.H. : Oui et non. Les places sont chères dans le secteur, mais on se rend compte qu'il y a du boulot pour tout le monde. Notre milieu marche encore à l'ancienne : si à quatre, on peut faire gagner 10% de temps à chacun et être reconnus pour ça, on a gagné la bataille. Personnellement, j'ai du sang audiovisuel dans les veines et jamais je ne quitterai ce secteur. J'aimerais conclure en disant qu'on va prochainement lancer un webinaire (NDLR : soit un séminaire en ligne, en vogue depuis le Covid) pour montrer qui nous sommes. Donc, que ceux qui nous lisent n'hésitent pas à m'envoyer un mail à laurent@crewbooking.be. Si vous avez la moindre remarque ou même une insulte, n'hésitez pas ! L'échange reste primordial pour, j'insiste, construire un monde meilleur !

https://www.crewbooking.eu/crew

 

 

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