Cinergie.be

Rencontre avec les réalisateurs de Connected Walls

Publié le 09/03/2015 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Une double, voire triple expérience cinématographique

Connected Walls est une série de 9 x 2 capsules de 5 minutes réalisées par deux couples de réalisateurs, chacun installé autour d'une frontière murée ; celle de Ceuta qui sépare l'Espagne du Maroc et celle de Nogales, entre les Etats-Unis et le Mexique. Sébastien Wielemans est le concepteur de ce web documentaire alimenté par la réalisation de films courts sur des sujets choisis à la demande des internautes. Lancé sur la toile le 9 novembre 2014, 25 ans après la chute du mur de Berlin, ce projet se veut une participation citoyenne démocratique, visant à dépasser les frontières imposées physiquement.

Le 6 février 2015 Valéria Fernandez (USA), Fidel Enriquez (Mexique), Youssef Drisse (Maroc) et Irene Gutierrez (Espagne) ont enjambé les frontières pour venir à la rencontre d'une salle comble, curieuse de partager leur expérience. Invité à l'Espace Magh de Bruxelles, Connected Walls a fait son bilan. Bilan logistique pour les producteurs et organisateurs, où programmes de partage des données audiovisuelles, contacts via skype, traductions en quatre langues, mise en ligne sur Internet, vote du public, dialogues sur les réseaux sociaux ont tenu en haleine la petite, mais néanmoins dynamique équipe bruxelloise. Et bilan créatif pour les réalisateurs qui disposaient de 10 jours pour réaliser un court métrage de 5 minutes sur un thème imposé. Prise de contact avec des personnes ressources, rencontres, tournage, montages et mise en ligne ont alterné avec permis de circuler et de filmer pendant deux mois.

Comment faire un film en 10 jours qui ne soit pas un reportage ?
Définir rapidement le fil conducteur, écrire un mini scénario, rencontrer les personnages et commencer à filmer. Le montage débutait très rapidement, dès le quatrième jour si possible pour être certain qu'il ne manquait pas d'images et se retourner si un des personnages ne voulait plus apparaître dans le film ou si, en chemin, survenait la rencontre avec une histoire « symboliquement plus représentative ». Une réelle course contre la montre s’enclenchait à peine un film terminé.

Etre toujours sur le qui-vive, récolter des informations, se laisser entraîner vers de nouvelles rencontres. Dans ce sens, la collaboration en duo a été réellement primordiale. Même si devoir se mettre d'accord nécessitait de longues discussions. Les confrontations permettaient aussi d' affirmer les propos. Certains témoignages ne pouvaient pas être récoltés sans une certaine proximité. Mais le fait de vivre sur place, de se faire connaître par les locaux, a facilité le tissage de liens de confiance. Les personnes rencontrées devaient être assurées qu'elles n'allaient pas être utilisées comme illustration d'un film déjà écrit mais, au contraire, être le sujet des réalisations. D'autant que les vidéos étaient placées sur Internet et visibles par tous en temps réel. La confrontation directe avec les témoins des films rendaient la tâche délicate. Tous ne sont pas habitués à leur propre image. Se voir sur un écran peut être déstabilisant. Une nuance non respectée dans le discours peut être mal vécue par la personne rencontrée et parfois dangereuse même pour elle. Youssef relève l'exemple d'un clandestin camerounais qui avait dénoncé leurs conditions de survie, cachés des regards des autorités marocaines et espagnoles. Un homme combatif qui avait vu dans la caméra la chance de divulguer des injustices. Cet homme s’est rétracté et s’est même retourné contre les réalisateurs car sa mère l'a vu dans ce film sur Internet et s'est émue du danger que son fils vivait.
À la base, les sujets proposés n'étaient pas obligatoirement politiques ; femmes, amour, enfants, lettre envoyée au-dessus du mur, etc. Mais comment ne pas faire mention de la violence policière, le trafic de drogue, les conditions de travail d'une population vivant dans la marginalité, la survie dans la clandestinité, l'escroquerie des passeurs, etc. ? Sur une frontière, tout devient politique !

Comment vit-on la présence d'un mur barbelé ?
Le choc est visuel. Voir le paysage mutilé, l'horizon barré rappelle sans cesse le sentiment d'enfermement. Mais très vite, on se rend compte qu'au-delà du sentiment, il y a une réalité, et pas uniquement pour les humains. À Nogales, entre le Mexique et les Etats-Unis, le mur barre également le chemin entre la faune et la flore, il a déréglé l’écosystème de la région ; des rivières sont détournées et des espèces animales sont aujourd’hui en extinction. Les animaux qui ne savent pas traverser le mur ne se reproduisent plus, entraînant la disparition de leur propre espèce et celles qui se trouvent sur les échelons supérieurs de la pyramide écologique. Plus de 70 % des espèces animales sont concernées. De même, la communauté indigène des Tohono O’odham qui vit de part et d'autre de la frontière ou plutôt dont on a divisé le territoire avec la construction du mur, est en train de se séparer, ceux qui vivent du côté américain se sentant supérieurs aux « Mexicains ».

Connected Walls était un pari formel, décliné sous la forme d'un jeu social en ligne. Il est devenu une expérience humaine forte pour les réalisateurs locaux et l'équipe de production en contact direct et perpétuel avec eux.

www.connectedwalls.com/fr