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Rencontre avec Malkia Mutiri pour la sortie d’Ata Ndele

Publié le 13/02/2020 par Dimitra Bouras et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

Photographe et réalisatrice belgo-congolaise, Malkia Mutiri oscille entre la photographie, la création de clips vidéo, de reportages et de courts-métrages comme Miel. Elle réalise aujourd’hui son deuxième court-métrage, Ata Ndele, écrit avec son frère Nganji, dans lequel ils ont voulu mettre en scène des personnages d’origine africaine en sortant des sentiers battus. Ata Ndele, signifiant littéralement « tôt ou tard », fait référence à ces moments de la vie où il convient de prendre des décisions, où il faut choisir entre vie privée et vie politique.

 

Cinergie : Est-ce qu’il y a un rapport entre votre film et la chanson éponyme ?
Malkia Mutiri : En lingala, Ata Ndele veut dire tôt ou tard et ça rejoignait l’histoire du film. Cela n’a pas de rapport avec la chanson. On a choisi ce titre parce que le personnage principal, Nila, devra choisir tôt ou tard son destin.
(Ndlr : “Ata Ndele” mokili ekobaluka (le monde va changer, littéralement ; tourner sur son axe) a été écrite et chantée par Adou Elenga en 1954, au moment des premiers bouleversements qu’allaient connaître le Congo-Belge et l’ensemble de l’Afrique soumis à la domination coloniale. Ce qui lui valut la prison).

C. : Ce court-métrage a une portée féministe. Il s’agit d’une femme qui doit faire des choix entre le bien commun et ses opinions politiques.
M. M. : On s’est rendu compte que dans la plupart des mouvements politiques, surtout panafricains, mais aussi en général, les femmes sont toujours reléguées à l’arrière-plan même si elles ont contribué beaucoup plus au mouvement. Pendant l’écriture du film, on a pensé à des femmes comme Winnie Mandela dont j’ai connu l’histoire militante beaucoup plus tard. On a voulu, mon frère et moi, une histoire qui permettait d’expliquer et de montrer à quel point les femmes ont été importantes dans ces mouvements-là. Même si, souvent, elles se sont mises de côté et ont préféré œuvrer pour la cause.
On voulait imaginer une histoire sur une femme qui se rend compte de ce conflit et qui ne veut pas choisir le mouvement au détriment de sa personne.
On voulait montrer que tout le monde, et surtout les femmes, doivent, à un moment donné, prendre ces décisions pour défendre leurs opinions, plutôt que de leur préférer l’amour ou la famille.

C. : Comment s’est écrit ce scénario ?
M. M. :
Au départ, c’est mon frère qui a commencé à écrire le scénario parce qu’il avait envie de parler d’une histoire qui nous touche et qui s’éloigne des clichés que les films de la diaspora africaine véhiculent. On voulait trouver une histoire qui nous permettait de la situer à notre époque, tout en abordant une thématique qui peut se retrouver tout au long des années de la diaspora et du militantisme africain. C’est à partir de ça que mon frère a commencé à écrire. Il m’a ensuite demandé de réaliser et d’adapter le scénario et on a commencé à discuter de la trame du film et de notre point de vue sur le sujet. Avant de commencer à filmer, on a fait des répétitions pour être sûrs que la signification des mots sur papier résonnait aussi à l’oral.

C. : Votre frère, Nganji Mutiri, est lui même réalisateur. Mais il a préféré vous confier la réalisation de ce film.
M. M. : Mon frère est depuis toujours passionné par l’écriture, et c’est cette passion qui l’a conduit vers l’acting. On a toujours travaillé ensemble. C’était normal pour lui de me le proposer car il savait déjà qu’il allait jouer le rôle principal. Il me fait confiance depuis notre collaboration lors de la réalisation de mon premier court-métrage, Miel.

C. : Vous avez vous-même collaboré sur le dernier long-métrage de votre frère, le Soleil dans les yeux ?
M. M. : Oui, pendant qu’il écrivait, il me demandait mon avis. On a beaucoup discuté mais la décision lui revenait toujours. J’ai surtout participé au tournage de ce film en faisant les photos de plateau.

C. : Comment avez-vous financé Ata Ndele ? Il me semble que vous avez fait appel au crowdfunding ?
M. M. : Cela a pris du temps parce qu’on l’a fait par nos propres moyens. C’est seulement pour la postproduction (étalonnage, sous-titres, etc.) qu’on a fait un crowdfunding. On savait que ce n’était pas le genre d’histoire qui intéresse les producteurs de manière générale, surtout en Europe. On voulait aussi pouvoir raconter librement. Cela nous semblait évident de le faire nous-mêmes.

C. : Au vu du soutien reçu, est-ce qu’on pourrait parler de mouvement artistique engagé ?
M. M. : Je pense que, de manière générale, quand on est issu de la diaspora africaine et qu’on vit en Europe et qu’on est artiste, on n’a pas le choix. Naturellement, beaucoup de gens veulent s’assumer et assumer leur point de vue. Et, l’art est le moyen parfait pour l’exprimer. Le politique est toujours présente lorsqu’il s’agit d’une minorité, mais je ne sais pas si on peut parler d’un mouvement. C’est avant tout une manière de survivre et de s’exprimer.

C. : Il y a quand même une volonté de s’entourer de personnes issues de la diaspora, de montrer sa création, d’illustrer ses talents. C’est une volonté de se retrouver pour pouvoir se montrer.
M. M. : Certaines personnes ont cru qu’elles avaient les mêmes chances, surtout dans le domaine artistique et ont été déçues ! Nous nous sommes entourés de professionnels sensibilisés par le sujet et qui se sont investis malgré le manque de budget parce qu’ils s’y reconnaissent. Ils ont eu envie de nous soutenir parce qu’ils sont, soit dans le domaine artistique et cela les encourage, soit ils trouvent ça nécessaire d’avoir une diversité de voix dans le monde culturel. Beaucoup de gens aiment soutenir ce genre d’initiative et, en tant que créatrice, c’est rassurant de pouvoir s’entourer de personnes qui peuvent partager le fait de mettre en avant des histoires et des personnes qu’on n’a pas l’habitude de voir.
Le cinéma issu de la diaspora, surtout en Europe, existe depuis longtemps. Paradoxalement, il y avait beaucoup plus de films moins caricaturaux issus de l’Afrique et de la diaspora avant les Indépendances. Depuis les années 1970, les récits, en Europe, qui parlent de personnes issues de la diaspora africaine ou d’autres minorités sont assez stéréotypés.
On ne se retrouve pas dans les récits dans lesquels on nous met en Europe. On veut parler de nos réalités qui existent et nous sommes influencés par l’histoire noire américaine du cinéma.
C’est une évolution naturelle des choses. À partir du moment où je fais partie d’une génération dont l’enfance a été influencée par les films américains et la diversité de sujets qu’ils peuvent aborder.
C’est tout ce qu’on avait pendant de nombreuses années comme exemple de personnes qui pouvaient nous ressembler et qui avaient des récits moins stéréotypés. Pour moi, comme pour la plupart des créatifs issus de la diaspora, on se rend compte qu’on a une histoire visuelle et cinématographique sur le continent et finalement, notre expression se retrouve dans la fusion des deux.

 

 

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