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Rencontre avec Maxime Dieu, initiateur d'une nouvelle association belge de festivals de cinéma

Publié le 20/11/2020 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

Une Association, c'est toujours utile pour essayer de faire évoluer des choses...

Les crises ont parfois du bon, dit-on. Car en effet, dans un contexte belge francophone particulièrement concurrentiel, les festivals de cinéma ont profité du confinement printanier pour s'entendre et faire naître une nouvelle association les regroupant. 

Entretien avec Maxime Dieu, instigateur de l'idée et organisateur du Festival International du Film de Mons. Un événement qui, en mars dernier, a été le premier à subir les conséquences directes du Covid-19.

Maxime Dieu © Andy Tierce

 

Cinergie : L'idée de créer une association belge de festivals, c'était donc un peu la vôtre ?
Maxime Dieu : C'est effectivement moi qui ai allumé la mêche, mais comme nous ne sommes pas encore complètement structurés et que le nom de cette fédération se discute en ce moment-même, je n'en suis ni le porte-parole, ni le responsable. Disons que si l'initiative a pu mûrir de mon côté, c'est surtout pour une question de timing, car la période de mars-avril coïncidait avec une édition compliquée du Festival de Mons : on a bien goûté au Covid, en s'arrêtant un jour avant la clôture, en devant déjà respecter des distances et en limitant les places, ce qui était quand même très particulier. Au final, on s'est en bien sortis, dans la mesure où dans la foulée, certains festivals n'ont même pas pu avoir lieu. Mais en fait, l'idée est partie de plusieurs constats...

 

C. : Lesquels ?
M.D. : D'abord, qu'il n'existe pas d'association de festivals de cinéma, alors qu'à peu près tous les autres corps de métiers (producteurs.rices, réalisateurs.trices, scénaristes, artistes...) sont constitués. Or, c'est tout de même utile d'avoir une association quand il s'agit de s'exprimer collectivement pour essayer de faire évoluer les choses. Ensuite, c'est qu'au plus fort de la crise du Covid qui a frappé l'activité du cinéma, il y avait ce sentiment que les festivals étaient oubliés. Non pas que les organismes de soutien n'ont pas été maintenus ou mis en place à notre attention, mais on se sent toujours en retrait. Dans les médias, on parle des arts de la scène, des artistes, des salles de cinéma d'art et essai, des festivals de musiques (...). Mais jamais des festivals de cinéma. Comme si nous ne faisions pas partie du paysage. Alors que je pense qu'on remplit un rôle très important... 

 

C. : ...en somme, ce Covid aura été un accélérateur à la naissance de cet organisme?
M.D.: Voilà. J'ajouterais un dernier constat : depuis une bonne décennie, les festivals sont confrontés à une accumulation de difficultés. Parce que le monde change, et celui du cinéma aussi. Nous sommes soumis à de plus en plus de contraintes, et les soutiens tendent à disparaître. Ce qui signifie moins de sponsors privés, en marge de subsides qui n'augmentent pas. Puis, on doit s'adapter à la révolution numérique, devenir des événements éco-responsables. Or, tout cela a aussi un coût !

 

C. : Cela dit, depuis dix ans, est-ce que l'enveloppe globale ne se rétrécit-elle pas vu l'augmentation du nombre d'événements ? Partenaires, presse et public concèdent parfois peiner à s'y retrouver, dans cette masse d'événements...
M.D. : Oui, il y a beaucoup de festivals. Mais un paysage foisonnant d'événements est aussi un signe de bonne santé ! Après, il ne m'appartient pas de dire s'il y en a trop ou pas assez. Ce que je constate, c'est que tous ces festivals sont quand même différents, et qu'il y a une vraie richesse dans cette diversité. Vous n'avez pas deux festivals qui se ressemblent, ni deux qui fonctionnent de la même manière. Chacun me semble avoir sa propre ligne éditoriale et son public. Certes, il peut y avoir une concurrence quand il s'agit d'obtenir des films et on se bat tous pour garder une certaine exclusivité, mais cela reste plutôt sain... Et puis, certains festivals sont aussi là pour montrer des films qui ne passent nulle part, des cinématoqraphies peu ou pas diffusées.

 

C. : Toujours en observant les choses de l'extérieur, on s'aperçoit que Costa-Gavras était cette année votre invité d'honneur. Après avoir été celui du Ramdam de Tournai et avant d'être celui du BRIFF de Bruxelles. Le réalisateur grec devait l'être aussi au BIFFF, si celui-ci n'avait pas été annulé. Quatre visites belges francophones en neuf mois pour la même personnalité, ce n'est pas un peu beaucoup ?
M.D. : Ce n'est pas significatif. Moi, depuis une quinzaine d'années, je regarde - comme vous, je pense - tous les programmes des festivals, et on peut parler ici d'un cas exceptionnel. Costa-Gavras circule beaucoup aussi en France. Mais qui sait s'il ne s'agit pas là d'une sorte de tournée d'adieu ? L'homme semble avoir envie de répondre à toutes les sollicitations, de rencontrer son public, etc... Car dans l'absolu, chaque festival veille à ne pas avoir les mêmes invités. Après, il y a là-dedans parfois une part de hasard, aussi...

 

C. : ...qu'une fédération pourrait peut-être limiter, qui sait. Et dans ce contexte festivalier belge malgré tout concurrentiel, fédérer tout ce beau monde n'a pas été une mission trop compliquée ?
M.D. : J'ai d'abord pris contact avec quelques festivals, dont le BIFFF (Festival du Film Fantastique de Bruxelles) et le FIFF (Festival Francophone de Namur), en y allant un peu sur la pointe des pieds. Mais quand on a discuté sur l'opportunité d'aller plus loin et de se fédérer, le retour a été immédiat et positif. Puis, cela s'est vite étendu, jusqu'à vingt-trois signataires. Très peu n'ont pas répondu. La grande majorité des festivals est donc de notre côté. Certes, ce n'est pas simple de communiquer à autant en ce moment, mais on a déjà fait une visioconférence qui s'est bien passée, ce qui a permis à ceux qui le souhaitaient d'émettre un avis. Puis, on a travaillé ensemble sur une lettre commune à destination des ministres, qui nous sert de fil conducteur...

 

C. : Dans cette lettre, envoyée en juin, les festivals évoquent notamment "des cahiers de charges toujours plus lourds". C'est-à-dire ?
M.D. : Chaque année, on demande à tous les festivals "Qu'est-ce que vous aller faire de plus à l'avenir?" ou "Qu'allez-vous proposer de nouveau l'an prochain?" Moi je réponds que déjà, le programme est nouveau chaque année, puisqu'il y a de nouveaux films tout le temps. Et par nature, personne n'a envie de faire les mêmes choses ! Donc, il y a cette pression permanente, comme si nous devions à chaque édition ajouter quelque chose, mais ...sans budget en plus ! Nous, on essaie d'être créatifs car justement, pour être attractifs, il faut proposer des nouveautés. Puis, cette révolution numérique, qu'on voit arriver, et la question de l'écologie, bien sûr primordiale, augmentent fortement les budgets. On peut être résilient et s'adapter à chaque situation, mais à un moment donné, cela devient difficile. D'où cet appel aux pouvoirs publics. On remplit aussi un rôle d'information. Car je comprends que les ministres et les entités subsidiantes ne soient pas parfaitement au courant de nos réalités.

 

C: Par rapport à cette lettre, y a-t-il déjà eu des retours ?
M.D. : Oui ! Après son envoi, on a été reçu par la ministre de la culture, Bénédicte Linard, qui a fait preuve d'une grande écoute. On a exposé nos problèmes, tant ceux liés à l'épidémie valables dans l'immédiat, que ceux plus chroniques s'inscrivant plus dans une vision d'avenir. On a été entendu et le processus suit son cours, puisqu'il va intégrer le Centre du Cinéma. L'idée est de continuer à défendre nos valeurs spécifiques, tout en faisant évoluer les festivals de cinéma pour être raccord avec la réalité actuelle. À plus long-terme, il en va aussi de notre survie. L'important, c'est que cette Fédération ne soit pas une coquille vide. On réfléchit à ce qu'on pourrait y mettre. On est au tout début, car au-delà des ralentissements liés à la Covid, on tient à consulter tout le monde, qu'il s'agisse de petits ou gros festivals, subsidiés ou non, anciens ou nouveaux. On veut fédérer le plus largement possible ! 

 

C. : En Belgique, et partout dans le monde, certaines voix s'interrogent sur le concept-même de festival de cinéma. Votre avis, là-dessus ?
M.D.
: Il y a plusieurs tendances dans le cinéma actuel mais là, j'ai un point de vue radical. J'aime beaucoup Thierry Frémaux (NDLR : le délégué général du Festival de Cannes) et je suis d'accord avec lui quand il dit que l'avenir des festivals est avant tout lié au cinéma et à la salle. Mais malgré toutes les crises qu'il a traversées, le Septième Art a toujours survécu. La seule chose qui plane au-dessus de nos têtes, c'est la manière de consommer des films. Mais le point positif des plateformes comme Netflix, c'est qu'elles jouent un rôle indéniable dans la création de films, y compris d'auteurs. Les producteurs doivent aussi s'interroger sur leur façon de produire : quand un Scorsese conçoit un film, c'est pour une salle de cinéma, même s'il passe en télé. Il y a quelque chose de schizophrène là-dedans, mais les plateformes et les salles restent complémentaires. Ce que je crains, c'est qu'on entre dans de nouvelles habitudes, où on commencerait à désincarner les festivals de cinéma. Et qu'on accepte cela comme une possibilité, avec juste des films en ligne et des débats avec des invités en vidéoconférence: ça, c'est quelque chose qui me dérangerait beaucoup...

 

C. : Quid de la suite, pour cette association ?
M.D. : Continuer à réfléchir à comment bien se constituer, aux objectifs et aux critères d'adhésion, qui sont larges. On avance bien, les retours sont positifs donc, avec une ministre tournée vers le futur. Même si on devine tous que ça va être difficile encore pendant un an, surtout pour les festivals qui vont se profiler dans les semaines et mois à venir. En ce moment, il faut bien l'avouer, on est quand même pas bien, car tout nous ramène à la pandémie. Mais bref, on veut voir plus loin dans cette nouvelle façon de consommer les films, dans le soutien indispensable dont nous avons besoin pour nous structurer et avancer. Et être utiles au cinéma belge aussi, car les festivals de cinéma restent en première ligne dans la valorisation de notre cinéma auprès du public, comme la mise en valeur du large patrimoine du cinéma, d'ailleurs. Enfin, c'est important de rappeler les chiffres que représentent les festivals chaque année chez nous: 200 journées, 1800 séances, 850 activités périphériques, 340 000 festivaliers et des milliers de personnes dans d'autres structures que nous faisons indirectement travailler, comme l'Horeca... 

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