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Rencontre avec Pauline Duclaud-Lacoste, l'arrière-arrière petite-fille de Georges Méliès

Publié le 16/01/2020 par Constance Pasquier et David Hainaut / Catégorie: Entrevue

"Georges Méliès a posé les bases du cinéma actuel"

 

Pionnier du cinéma, premier metteur en scène du Septième art, inventeur des effets spéciaux et créateur de plus de 500 films (dont le célèbre Voyage dans la lune, en 1902), Georges Méliès évoque encore beaucoup pour de nombreux cinéphiles, et même au-delà.

 

Ce qu'on sait moins, c'est que son nom est aujourd'hui étroitement lié à la Belgique, où vit depuis vingt-sept ans son arrière-arrière petite-fille, Pauline Duclaud-Lacoste, investie tant dans le monde culturel bruxellois que dans la préservation de la mémoire de son illustre aïeul. Il y a quelques mois d'ailleurs, cette jeune femme de 35 ans faisait parler d'elle dans la presse internationale, à travers un financement participatif (abouti) pour la sauvegarde de la tombe de Méliès.

 

Rencontre, à deux pas des Halles Saint-Gery, là-même où ces trois dernières années, elle a organisé des soirées de réseautage culturel, appelées les "Culture Meet-Up".

Cinergie: L'arrière-arrière petite-fille de Méliès vit donc à Bruxelles. Pourquoi ?

Pauline Duclaud-Lacoste : Car j'ai chopé le syndrome belge (rire) ! Je suis née à Paris, mais je vis en Belgique depuis mes 7 ans, car j'aime la simplicité des rapports, ici. Il y a aussi plus d'opportunités de travail dans la culture, où tout est encore à faire. Car pour moi, si la France est hyper-professionnelle à ce niveau, la Belgique devrait être plus exigeante. Il y a bien sûr ici des formations de qualité dans l'audiovisuel et dans les métiers autour de la culture, raison pour laquelle énormément de Français viennent chez nous pour cela, mais il faut augmenter le niveau. Et c'est ce que je trouve intéressant à faire.

 

C. : C'est aussi ce que vous tentez de mettre en place, en organisant vos soirées créatrices de liens, les Culture Meet-Up ?

P.D-L. : Oui. J'ai créé ça bénévolement, pour permettre des rencontres entre professionnels de la culture (artistes, opérateurs...) de manière fréquente, gratuite et large, dans le but qu'ils échangent sur tout ce qui leur arrive dans leurs secteurs. L'objectif est aussi de décloisonner totalement les métiers artistiques et non-artistiques, marchands et non-marchands. Il y a chaque mois de nouveaux partenaires, de nouveaux sujets, de nouveaux intervenants et de nouveaux lieux bruxellois. On tente de trouver des sujets utiles et porteurs de sens pour tout le monde : qu'il s'agisse par exemple d'un bilan sur Mons, lorsqu'elle a été capitale culturelle européenne, d'un focus sur le métier de scénographe ou d'une rencontre entre script-doctors, comme on l'a récemment fait à la Maison des Auteurs et des Autrices (MEDAA),voire à Flagey au Festival Anima, auparavant. Car s'il existe de nombreux échanges dans les festivals de cinéma, personne ne s'occupe de la culture de façon transversale : chacun a tendance à rester dans son domaine (cinéma, musique, théâtre, arts visuels...), sans trop se mélanger. Donc moi, j'essaie de rassembler tout ce monde. On me dit parfois que je suis "la Suisse" (rire), ce qui est un peu vrai : je ne défends ni un métier ni une discipline ni une langue, mais bien l'intérêt général de la culture. L'idée est de mettre en valeur les réussites et les belles idées.

 

C. : Depuis maintenant cinq ans...

P.D-L. : Oui, ces réunions fonctionnent bien, au rythme de 11 à 13 par an - on se dirige vers 8 ou 9 pour 2020 – et j'ai organisé mon cinquantième événement en 2019, toujours via des formats variables (débats, speed-datings, networkings, tables-rondes...). En plus de ces Culture Meet-up, j'organise chaque année une version plus large de l'événement (NDLR: aux Halle St-Gery, donc), lui aussi gratuit et ouvert à tous. J'ai pour cela créé un système d'autocollants avec 34 disciplines différentes, pour que chacun puisse se définir. Que vous soyez artiste, journaliste ou technicien (...), vous voyez directement à qui vous avez affaire, et des bénévoles sont même là pour aider à trouver d'autres gens. Tout ça se fait dans un but positif. Quant à l'affluence, elle varie de 5 à 100 personnes, selon le sujet. Le prochain se fera en février. 

 

Georges Méliès

 

C. : En parallèle à cela, vous vous occupez activement de votre illustre aïeul, Georges Méliès ?

P.D-L : Ah ça, c'est l'activité qui m'occupera jusque dans ma tombe (sourire) ! Je fais partie de la quatrième génération à gérer ce patrimoine, car c'est un projet familial dont l'objectif est de défendre l'oeuvre et le travail de ce créateur, beaucoup de gens nous contactant du monde entier, que ce soit pour un ciné-concert en France, une bande-dessinée au Japon ou la mise en place d'une galerie en Allemagne. Méliès restant pour beaucoup inscrit dans l'imaginaire collectif, de nombreuses écoles l'évoquent encore, des étudiants nous en parlent souvent comme d'un lointain papy, ce qui est touchant. Il y a aussi notre collaboration avec la Fondation Méliès (NDLR: la fédération des festivals de films fantastiques), l'occasion de rappeler le prix Méliès remis chaque année au BIFFF, ou la Visual Effect Society, un autre prix majeur qu'a reçu Steven Spielberg avec le nom de Méliès écrit en grand : c'était encore là un beau clin d'oeil. Personne n'est rémunéré pour cette activité de représentation qui prend un certain temps, comme répondre aux sollicitations de projets, aux collectes d'objets, de films, etc...

 

Tombe de Georges Méliès

 

C. : ...une activité qui a d'ailleurs indirectement fait pas mal parler de vous dans les médias internationaux, il y a quelques mois !

P.D-L.: En effet, à l'occasion d'un crowdfunding qu'on a fait pour restaurer sa tombe (NDLR : un lieu de pèlerinage encore très fréquenté) au Père Lachaise. L'objectif à atteindre était tout de même de 35 000 euros, car il n'y avait encore jamais eu de restauration depuis sa mort en 1938, ce qui devenait embêtant avec la pollution, le lettrage qui s'effaçait, etc... Cette tombe est classée et nécessite donc un important et coûteux travail impliquant des restaurateurs d'art. Mais 600 donateurs de 36 pays, dont certaines personnalités comme le réalisateur Jean-Pierre Jeunet et de nombreux techniciens de studios américains nous ont soutenus. Nous avons reçu beaucoup de messages incroyables. On va bientôt pouvoir commencer les travaux...

 

C. : À ceux qui ne connaissent pas, mal ou plus Méliès, que dites-vous de lui ?

P.D-L. : Qu'il est l'inventeur du spectacle cinématographique, puisqu'il a été le premier à raconter des histoires avec une caméra, à la différence des Frères Lumière qui ont eux inventé la caméra et la prise d'images sur le vif. Méliès, d'abord magicien, s'est en fait servi de l'invention pour aller plus loin, en créant, dans son jardin familial et au milieu des tomates (sourire), le premier studio au monde, avant un autre dans un hangar. Cela lui a permis de tourner 520 films. Il a inventé les bases du cinéma actuel, soit toutes les étapes et les métiers de la fabrication d'un film, créé des trucages encore utilisés aujourd'hui, et imaginé un langage, à une époque où il y avait quarante fois plus de contraintes qu'aujourd'hui. Et où, quand il y avait un problème, tout était à recommencer ! Ce qui fascine pas mal de cinéastes actuels. Et puis, il a inventé un style, imagé, poétique, fantasmagorique, proche de l'enfance, qui était neuf et inimitable. Sans doute que quelqu'un d'autre l'aurait fait, mais peut-être pas dans cette dynamique. Méliès a été la bonne personne avec le bon outil au bon moment. Il a aussi eu la chance d'être fortuné, ce qui lui a permis de consacrer tout son argent à ses films, avant de finir ruiné, après avoir eu des domestiques et vécu dans de grandes maisons. Il a terminé sa vie dans un couloir, sur un matelas. Et qui aujourd'hui, a des écoles – jusqu'au Brésil - des cinémas et une trentaine de rues à son nom. Mais en bon Parigot qu'il était, je n'ai hélas pas trouvé de trace d'un passage de lui à Bruxelles (sourire)...

 

Hugo Cabret

 

C. : Vous semblez reliée à lui en permanence...

P.D.-L: Je fais le même parallèle qu'avec un tonton dont vous avez la photo sur la cheminée, mais que vous n'avez pas vu ni connu. Il est toujours un peu là. Il m'arrive de lui parler lorsque je vais sur sa tombe. Méliès fait partie de ma vie et me permet de faire des rencontres dingues : j'ai pu ainsi aller dans beaucoup de pays, mais aussi sur un tournage mémorable d'un film de Martin Scorsese (NDLR : Hugo Cabret en 2011, où Ben Kingsley interprétait Méliès). C'était fou de croiser 300 personnes avec la photo de Méliès autour du cou. Les reconstitutions, plus tard oscarisées, étaient fabuleuses, comme le magasin de bonbons et de jouets qu'il tenait à Paris, près de l'ancienne gare Montparnasse. De le voir là, presqu'en vrai, c'était poignant et confus. Ce film reste un OVNI dans la filmographie de Scorsese, qui a mis longtemps avant de trouver l'angle pour l'évoquer sur grand écran. De quoi en navrer d'autres, comme Jeunet, qui m'a avoué être vert de rage, après avoir songé à une adaptation pendant vingt ans...

 

C. : Votre parcours personnel semble atypique. Vous pourriez nous en dire un peu plus ?

P.D.-L : Oui. Après avoir étudié au Lycée français de Bruxelles, puis la communication et la gestion culturelle entre ici et Paris, j'ai travaillé dans la production théâtrale en France, entre autre pour des artistes comme Pierre Palmade et Hélène Ségara (sourire), puis dans l'audiovisuel belge (danse, pub). J'ai aussi travaillé au Luxembourg, pour le Festival du Film toujours existant, et au Québec, dans le plus vieux festival de contes, là-bas. Et ça, avant de travailler aujourd'hui pour la politique culturelle de la capitale. J'ai aussi un frère caméraman en télévision, j'ai eu un grand-père réalisateur, une grand-mère et une tante monteuses...

 

C. : Et quid de la suite, pour vous?

P.D.-L : Poursuivre cette réflexion globale sur ces métiers de l'audiovisuel, comme mieux mettre en valeur des talents belges existants, les soutenir et les valoriser. J'ai pas mal d'amis dans l'audiovisuel que je vois tenter de créer des contenus et proposer des choses. Il y a en ce moment une grosse prise de conscience quant à cette fierté autour de nos talents, qui n'était pas aussi présente il y a quelques années. Les séries belges qui cartonnent à l'international n'en sont qu'une expression. Mais on doit garder notre savoir-faire, sans copier le voisin allemand ou français. C'est-à-dire maintenir cet état d'esprit qui est de faire les choses sérieusement dans un esprit pas sérieux. Y compris pour le cinéma belge qui, tout en lui gardant sa liberté de ton et de vision, doit continuer à innover et proposer des formats différents. Pour moi, il ne faut ni avoir peur de prendre des risques, ni avoir peur des OVNI !

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