Cinergie.be

Rencontre avec Philippe Ravoet, Président de l'Association belge des monteurs, Montage.be.

Publié le 29/01/2018 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

« Les Associations professionnelles (re)naissent : c'est le paradoxe de cette époque qui se veut individualiste! »

À l'instar des scénaristes, des réalisateurs, des compositeurs de musiques ou encore des directeurs photo, les monteurs belges ont aussi leur propre association. Celle-ci, née à la fin de l'année dernière, porte le nom de Montage.be.

Rencontre avec son président Philippe Ravoet qui, à bientôt 57 ans, est l'un des monteurs les plus prolifiques de notre plat pays. Ce double-lauréat d'un Ensor - le "Magritte flamand" - a notamment collaboré avec les Frères Dardenne (Je pense à vous), Gérard Corbiau (Le Roi Danse), Erik Van Looy (De Zaak Alzheimer, Loft, De Premier), Jan Verheyen (Dossier K., Le Verdict), Vincent Bal (Brabançonne...) et Stijn Coninx (Daens, Marina). C'est dans la salle de montage du prochain film (Ne pas tirer !) de ce dernier, que nous l'avons croisé...

Cinergie : Vous êtes donc à l'origine de cette association de monteurs belges, "Montage.be". Qu'est-ce qui vous a motivé à la créer ?
Philippe Ravoet : L'idée me trottait dans la tête depuis quelques années, suite à une invitation de l'Association néerlandaise des monteurs. Il a fallu un peu de temps pour que les choses se mettent en place, mais nous nous sommes lancés : car à l'heure où les monteurs possèdent leur propre studio et travaillent souvent à domicile – comme moi, les trois-quarts du temps -, on se retrouve de plus en plus isolés. Il y avait donc un manque de contact sociaux entre nous, et c'est ainsi qu'est né "Montage.be" en septembre 2016, incluant tant francophones que néerlandophones, l'organe étant national.

C. : On parle ici de monteurs de films, mais pas uniquement...
P.R. : En effet. Dans un petit pays comme le nôtre, nous avons choisi d'élargir le spectre, sans quoi, en ne se limitant qu'au cinéma, nous serions à peine une dizaine. Et puis, certains cumulent diverses activités. Nous incluons donc les monteurs de films, mais aussi de documentaires, de séries ou de télévision, ce qui porte le total de cette ASBL à une septantaine de membres, dont quatre au sein du Conseil d'Administration, en plus d'une petite dizaine qui se partagent les tâches allant de la gestion du site web aux finances, en passant par les événements. Moi, j'ai surtout un rôle de superviseur...

C. : Quelles sont, concrètement, les activités de Montage.be?
P.R. : D'abord, nous organisons des rencontres entre monteurs, pour partager nos expériences du quotidien. Ensuite, il y a le volet plus technique (idées, programmes...), notamment pour établir le lien avec la jeune génération. Et enfin, on parle des conditions de travail, du dialogue entre les monteurs et leurs assistants, ou encore la question du salaire, qui reste parfois tabou. Mais nous ne voulons pas devenir un syndicat. Nous aimerions simplement nous coordonner, entre francophones et néerlandophones, en tenant compte des différences entre nos communautés.
Nous organisons huit événements par an, dans des lieux et des contextes différents, en partenariat avec des écoles (INSAS, RITS...), des organes divers (Screen Brussels...), des festivals (Are You series ?…) et avec les autres associations professionnelles. En mars, nous avons par exemple imaginé une masterclass à Cinematek avec Alan Heim, Oscar du Meilleur Montage en 1980 (Que le spectacle commence) et vice-président de l'Association américaine des Monteurs.

C. : Avec l'arrivée de votre association ou celle des compositeurs de musiques de films, on constate pas mal de mouvements dans ce type d'associations professionnelles.
P.R. : C'est le paradoxe de cette époque qui tend à nous rendre individualistes. Mais voilà, les réflexes humains finissent par prendre le dessus, ce qui s'exprime notamment à travers le boost de ces organismes. Créer cette association m'a d'ailleurs permis de confirmer qu'il existait une belle solidarité entre les monteurs belges. Puis, chacun sait que le cinéma est tout simplement passionnant. Et vivre de sa passion, c’est... rare !

C. : Le paysage cinématographique belge, tant flamand que francophone, est assez dynamique. Une aubaine pour les jeunes qui débutent ?
P.R. : En général, les jeunes monteurs se dirigent vers la télévision, où il y a plus de travail fixe. Certains y restent par la suite, mais d'autres se positionnent comme indépendants et alternent alors avec le cinéma, les documentaires, la publicité ou les séries. Comme dans beaucoup de métiers, les débuts sont primordiaux pour se faire remarquer, mais les plus motivés s'en sortent. Je suis logiquement souvent sollicité par ces jeunes, que j'essaie toujours d'aider ou d'aiguiller.

C. : En ce moment, vous montez le prochain film de Stijn Coninx autour des tueries du Brabant, Ne tirez-pas. Un film à nouveau ambitieux, on imagine ?
P.R. : Oui, il y a là un travail conséquent de quatre mois. Me concernant, vu que les années passent (sourire), le noyau des réalisateurs avec lesquels je travaille s'élargit. J'avais déjà collaboré avec Stijn sur Daens en 1993, un film qui a donné un nouvel élan au cinéma flamand, en parallèle aux séries arrivées un peu plus tôt, via la chaîne VTM. Ensuite, De Zaak Alzheimer, film sur lequel j'ai également travaillé, a amorcé une autre ère dix ans plus tard, avec des films qui ont atteint 5, 6 ou 700 000 spectateurs, des chiffres exceptionnels pour une population de six millions d'habitants. Ce dynamisme a rejailli sur les écoles et des fonds d'aides au cinéma, qui ont permis de hisser le septième art flamand à un haut niveau en très peu de temps. Et les séries, qui pour moi représentent l'avenir, se sont entretemps bonifiées. Les Flamands songent à présent à co-produire internationalement, et on remarque que le cinéma francophone est lui aussi en train d'évoluer. Egalement via les séries...

C. : Vous vous êtes d'ailleurs retrouvé monteur de la série Unité 42 !
P.R. : Oui, car je connaissais l'un des trois réalisateurs flamands de la série, Roul Mondelaers. Mais j'ai aussi eu des expériences avec les Dardenne (Je pense à vous) et sur ce film-OVNI Marbie, dans un tout autre registre. Je suis en fait assez ouvert : j'aime changer de style et passer d'un genre à l'autre, pour continuer à apprendre et surtout à garder le feu sacré, point important dans notre secteur où on peut s'enfermer sept jours sur sept, avec des journées de douze heures. Or, si vous montez quatre thrillers de suite avec les mêmes plans, c'est forcément moins amusant (sourire)...

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