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Rencontre avec Philippe Tasquin, membre actif du Comité des usagers de la Médiathèque

Publié le 20/09/2019 par Dimitra Bouras, Serge Meurant et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

Musicien, chanteur, compositeur, Philippe Tasquin collabore notamment avec Charlie Degotte, Gerlando Infuso et Thierry Debroux. C'est à bord du Discobus de la Médiathèque que ce mélomane découvre la musique et, plus particulièrement, les CDs. Il rêvera secrètement d'être Freddie Mercury, Beethoven, Ennio Morricone. Militant à ses heures, ce n'est pas étonnant que Philippe Tasquin s'insurge contre le sort réservé au service de prêt direct de la Médiathèque de Bruxelles qui est voué à disparaître définitivement en 2020. Le musicien est révolté et ce n'est pas le seul. Une importante mobilisation a vu le jour au sein du monde artistique. L'idée de ces artistes ? Proposer une solution alternative afin de préserver la collection pléthorique de la Médiathèque. Ce débat met le doigt sur les limites d'Internet en matière d'accessibilité aux œuvres et à notre consommation inconsciente des plateformes numériques, qui par leur bilan carbone désastreux ont un impact non-négligeable sur les émissions de gaz à effet de serre.

Cinergie : Pourrais-tu te présenter ?
Philippe Tasquin : Au départ, je suis musicien, chanteur, compositeur mais aussi comédien et arrangeur. J'ai publié plusieurs albums de chanson en français et en anglais sous mon nom. Je me suis illustré à travers toutes sortes de collaborations avec des metteurs en scène comme Charlie Degotte avec qui j'ai fait YOUPI, une opérette sur la monarchie et, plus récemment, avec Thierry Debroux, j'ai créé le conte musical Le Livre de la Jungle pour Le Théâtre du Parc. Je m'amuse beaucoup dans le télescopage des genres entre burlesque et drame.
Et, je suis militant à mes heures. Je suis une sorte de fantaisiste, terme que ma femme n'apprécie pas beaucoup mais j'aime bien le côté ringard seventies que je revendique. Je suis intermittent du spectacle et fantaisiste permanent.

Par rapport à mon lien avec la Médiathèque, je suis un enfant du Discobus qui passait à Verviers le lundi et le jeudi et qui m'a ouvert à la culture musicale. Je suis venu à la musique par le disque et pas en voyant un musicien jouer. Je n'ai pas arrêté de fréquenter le lieu à travers ses métamorphoses. J'ai appris les mesures prises par la Médiathèque avec stupéfaction. Je me suis rendu compte, en lisant le texte de la pétition du groupe de soutien, dans lequel je me retrouvais, que cette collection avait été financée par les membres de la Médiathèque. Quand la Médiathèque fonctionnait bien, quand 80% de la collection était louée, beaucoup d'argent entrait et puis cette bulle a éclaté. La collection a été financée par les membres et, en 2018, le budget d'achat de médias était de 300.000 euros et a rapporté 400.000 euros. Ces bénéfices étaient non négligeables pour une entreprise d'utilité publique culturelle. C'est curieux que la direction tourne le dos à la seule activité qui rapporte des recettes. J'étais curieux de savoir quelle était la hauteur de ma contribution, qui était à la grosse louche de 5000 euros, et je n'étais pas d'accord avec leur décision.

Quelle légitimité ont ces gens de la Fédération Wallonie-Bruxelles de disposer d'une collection qui a été patiemment amassée, collectionnée, répertoriée ? Toute cette collection disparaît à l'occasion de déstockage, comme on a vu à Namur. C'est comme un Black Friday dans une vulgaire grande surface. C'est choquant. Pourquoi n'ont-ils pas légué à une bibliothèque plutôt que de brader et dévaloriser les contenus ?

Donc, j'ai écrit à la Ministre Gréoli qui m'a répondu que ce plan devait être avalisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qu'il y aurait des réunions de concertation avec les usagers et le personnel. Et que ce serait, si j'ai bien compris, arbitré par le nouveau cabinet et la nouvelle Ministre Ecolo qui, je l'espère, prendra ces questions au sérieux.

De plus, j'ai appris, au cours de mes recherches, qu'en 2013 lors du changement de nom pour PointCulture, il y avait déjà eu un petit collectif d'usagers qui s'étaient émus des soldes massives et qui sentaient venir ce que l'on va vivre aujourd'hui. Il se trouve qu'ils avaient eu des relations avec le personnel qui était assez en souffrance à cause de cette collection qui leur filait entre les doigts. Il y avait un rayon dédié à la littérature qu'on s'apprêtait à liquider. Ils se sont cotisés pour sauver cette collection qu'ils ont léguée à la Bibliothèque d'Ixelles.

Pour notre part, c'est plus qu'un rayon et on réfléchit à un plan alternatif.

 

C. : D'après la direction, il faut vivre avec son temps et le prêt des médias est voué à disparaître car il n'intéresse plus.
P.T. : On a entamé une réflexion qu'on continue à alimenter sur le rôle d'une Médiathèque par rapport aux enjeux d'aujourd'hui. Il y en a plusieurs. D'abord, on ne trouve pas tout sur Internet. Les classiques ne se trouvent pas sur Youtube, il faut acheter le DVD. Pour la musique, c'est un peu différent. Mais penser que l'équivalent d'une telle collection se trouve sur Internet, c'est faux et cela ne se trouvera jamais sur Internet. Les plateformes numériques, comme Netflix, ont des bandes passantes limitées et ils doivent écrémer ce qui n'est pas streamé pour mettre les nouveautés en avant.

Plus essentiellement, c'est important d'offrir une alternative au tout virtuel parce que, quand on rentre dans une Médiathèque on ne sait pas ce qu'on va louer, c'est en déambulant dans les rayons qu'on fait notre choix et on ressort toujours avec plusieurs pièces. Le conseil des médiathécaires est central mais il est devenu invisible car ils ont d'autres choses à faire, bien distinctes de leur mission première. Ce que je voudrais revoir, c'est une médiathèque avec le responsable de la collection des documentaires qui me conseille, un spécialiste du rock, etc. C'est un autre enjeu et c'est un lieu qui tient à distance le marché. Une juriste spécialisée dans le droit d'auteur disait que quand on est dans une médiathèque, on n'est pas à la Fnac. Il y a la notion de bien commun, de prêt, qui est une notion d'avenir connectée à la décroissance. Le prêt est une notion du futur. Il y a aussi l'aspect négatif d'Internet qui est aliénant.

Il faut défendre le partage de la culture dans un lieu où les gens échangent. Les supports physiques et les objets sont les supports nécessaires à ces échanges.

Un enjeu énorme par rapport à la vidéo, c'est l'enjeu écologique dont personne ne parle. Tout le monde parle de réchauffement climatique et le streaming vidéo est un désastre exponentiel pour les gaz à effet de serre. Il y a une étude récente d'ingénieurs spécialisés, dans l'optique de se débarrasser du carbone, qui affirme que Netflix est une catastrophe pour les gaz à effet de serre. On ne se rend pas compte, on a l'impression que c'est dématérialisé mais c'est très matériel, ce sont des serveurs qu'il faut refroidir à l'eau de mer. On clique et on déclenche des réactions en chaîne qui sont ultra consommatrices d'énergie. On vit dans du délire total. On espère que notre future ministre Ecolo va s'emparer de cet énorme dossier car ce n'est pas une petite question.

 

C.: On peut faire un parallèle avec la disparition des libraires et des bouquinistes.
P.T. : Un ami me disait que le fait d'avoir une bibliothèque chez soi plutôt qu'un Kindle dit qui on est. Il y a toute une nouvelle génération qui n'a pas connu ce service de Médiathèque comme il existait avant alors qu'on a besoin de ce type de service car l'offre est pléthorique. On a besoin de classement, de conseils, de gens dont c'est le métier. Cela m'a permis de rencontrer des gens avec qui je n'avais jamais échangé et ce sont des encyclopédies vivantes. Il faut valoriser ce savoir-là. Je suis en train de défendre l'idée d'une bibliothèque pour la musique et le cinéma. Et, cela semble fou parce qu'il ne s'agit pas de littérature. Cela ne viendrait pas à l'esprit de supprimer des bibliothèques.

Il y a quelque chose d'assez insidieux qui dit qu'il faut vivre avec son temps. C'est la disparition d'un bien commun qu'on élimine. Il faudra bien que ces gens se rendent compte que leurs plans et leurs décisions ne recueillent qu'une hostilité massive. Il y a plus de 13.000 personnes qui se mobilisent pour dire non, il y a eu une tribune assez ferme parue dans Le Soir le 18 juin qui a été signée par des personnalités éminentes comme Jaco Van Dormael, les frères Dardenne et par toute une série de cinéastes, de musiciens, de documentaristes. Et, il semblerait que cette mobilisation n'ébranle pas ces gens alors qu'il s'agit d'une direction qui est désavouée par 80% de son personnel et qui a le moral dans les chaussettes. Rien de positif ne peut sortir de cette situation.

Nous, on propose de s'asseoir autour de la table pour discuter d'un plan alternatif et on espère être entendus par la Ministre. Je pense qu'on peut sortir de la crise par le haut.

 

C. : On peut déjà parler de ce plan alternatif ?
P.T. : Ils comptent garder un exemplaire par média, qui passerait par le réseau des bibliothèques. Ce qui signifie qu'on pourrait être sur une liste d'attente pendant trois mois pour avoir un média, ce qui découragerait les gens et les pousseraient à acheter le média. On sait que cela ne peut pas fonctionner.

On est en pleine réflexion mais on a l'intention de présenter un plan alternatif de médiathèque. L'idée, c'est que les usagers seraient vraiment partie prenante de cette nouvelle médiathèque. Ils ont répondu présents, il y a un vrai intérêt. On attend d'être entendus.

 

C .: Des licenciements ont été annoncés. On a l'impression que les nouvelles mesures sont surtout une volonté de justifier ce licenciement de personnel.
P.T. : J'ai eu écho de mauvais traitements, de brimades, de souffrances au travail, de burn out, de dépression. Je mets en cause l'équipe dirigeante dans ce naufrage et la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a accompagné cette transformation. Le projet PointCulture n'est pas une réussite. Ils tentent de maquiller la réalité en disant que le prêt diminue et qu'il y a de plus en plus de monde à leurs événements. J'ai aussi entendu le contraire. L'enjeu d'un plan alternatif de médiathèque, c'est de faire revenir les gens, d'augmenter la fréquence, de montrer les médiathécaires, les médias. Un jeune peut louer une vingtaine de pièces pour 11 euros, c'est impossible sur Internet. En plus, il est accueilli, conseillé. Il y a moyen d'accueillir un nouveau public, de faire venir des gens qui ont déserté la Médiathèque car elle n'était plus ce qu'elle était, il n'y avait plus les conseillers. On pourrait redynamiser tout ça avec les enjeux en tête et faire de la recette. Si les gens savent qu'il y a des conseillers, que le lieu est peut-être moins austère et plus convivial, on pourrait continuer aussi à travailler avec les bibliothèques mais il ne faut pas démanteler la collection.

La soirée organisée par le comité des usagers au NOVA, le 13/09 était faite de bric et de broc mais c'était intéressant, cela a permis des échanges et cela a alimenté la réflexion. Cela a permis de réunir beaucoup de gens. Je crois à l'intelligence collective. Maintenant que le comité des usagers est identifié, je pense que d'autres associations vont pouvoir soutenir la démarche. De nombreuses personnalités du monde culturel soutiennent le projet. C'est curieux que la direction de la Médiathèque ne nous suive pas là-dedans alors qu'il y a une mobilisation vive.

Pour ceux qui le souhaitent, ils peuvent soutenir le projet sur la page Facebook où on trouve un formulaire à remplir.

https://www.facebook.com/sauvonslamediathequedepointcultureetsescollections/

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