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Rencontre avec Rébecca Fruitman, Mariette Michaud et Joachim Soudan de PELISKAN

Publié le 18/11/2021 par Dimitra Bouras et Josué Lejeune / Catégorie: Entrevue

Créée en 2019, l’ASBL bruxelloise PELISKAN rassemble ses membres autour d’une passion commune : celle de la pellicule argentique. Ils souhaitent faire valoir les lettres de noblesse de ce support, considéré par certaines personnes comme obsolète à côté du puissant numérique. L’objectif de PELISKAN est de préserver cette matière filmée sur pellicule que ce soient les films de famille ou les films issus de pratiques artistiques centrées sur le support film. L’ASBL propose aux particuliers, aux artistes et aux cinéastes de numériser leurs films dits de « petits formats » (8 mm, Super 8, 91/2, 16 mm) grâce à un scanner haute définition. L’idée étant non seulement de préserver et de valoriser ce patrimoine cinématographique amateur et professionnel mais aussi d’assurer son maintien et son développement dans le futur.

Cinergie : PELISKAN, c’est une ASBL spécialisée dans la numérisation ?

Mariette Michaud : À la base, on était sur les petits formats pellicules (super 8, 8mm, 91/2 et 16mm). Depuis peu, on fait aussi la numérisation de vidéos (VHS, MiniDV). On ne fait pas que les archives même si en vidéo, pour le moment, ce sont surtout des archives familiales ou d’ASBL.

Joachim Soudan : En tout cas, ce sont des formats ou technologies qui ne sont plus accessibles facilement aujourd’hui pour n’importe quel utilisateur.

 

C.: Qu’est-ce qui sous-tend votre démarche ?

M. M. : Nous sommes d’abord un groupement d’artistes qui utilisons la pellicule et qui avons toujours eu des difficultés à numériser nos propres films. On a eu envie de s’associer, d’acheter l’outil pour servir notre travail et pour aider les gens comme nous. J’ai une formation en restauration de films et je me suis toujours intéressée aux petits formats car ce sont des formats plus fragiles et où il y a très peu de structures de sauvegarde. On aimerait se développer là-dedans pour ouvrir un pan qui n’est pas tellement développé comme sur le cinéma Super 8, par exemple.

 

C.: Quels types de demandes avez-vous ?

Rébecca Fruitman : On a des demandes très variées de la part d’institutions, d’écoles, de compagnies de théâtre, de fondations, de musées, de centres d’archivage. On passe de grosses commandes à de toutes petites commandes de particuliers, de personnes âgées qui retrouvent des films de famille ou de plus jeunes qui en retrouvent en vidant des greniers.

M. M.: On a aussi des artistes cinéastes qui veulent encore travailler sur pellicule. On permet d’être dans un rapport de qualité à des prix accessibles pour des artistes qui n’ont pas vraiment de moyens mais qui veulent travailler en pellicule.

 

C. : Comment travaille-t-on en pellicule aujourd’hui ?

M. M.: Il y a beaucoup de gens qui filment en pellicule aujourd’hui car c’est une autre qualité d’images. Mais, c’est tellement difficile de terminer un film en pellicule que beaucoup passent par le scan pour finaliser le travail. Pour le diffuser aussi car soit on n’a plus de projecteurs soit ils rencontrent des problèmes techniques.

J. S. : Pour la diffusion aussi et l’envoi en festivals. Quand on termine un film aujourd’hui, on l’envoie à plein de festivals par internet, ce qui permet une diffusion plus large. On a vu certains acharnés qui ont fait leur montage en négatif mais après ils font une numérisation du montage final pour pouvoir le distribuer, ne serait-ce que pour la sélection quitte à accompagner le film en festival dans sa boîte pour le projeter en pellicule.

 

C .: Qui sont ces gens qui travaillent encore en pellicule ?

M. M. : Il y a tout un réseau de labos indépendants, trois à Bruxelles, et dans PELISKAN, il y a des personnes issues de ces trois labos. De manière mondiale, il y a un réseau de labos indépendants : des gens qui se regroupent, qui travaillent toujours en pellicule, qui entretiennent des machines. Ces structures travaillent en réseau.

Pourquoi la pellicule ? Parce que c’est une autre manière de travailler et de concevoir l’image. Il y a une différence et dans la méthode de travail (on pense différemment l’image parce que ça coûte cher) et dans la définition et le grain, ce n’est pas le même type d’images. Il y a encore des gens qui veulent travailler comme cela même si c’est compliqué et laborieux.

R. F. : C’est du plaisir aussi. Le film reste matériel. Je suis issue du champ des arts plastiques et j’ai un intérêt pour le film pellicule dans sa matérialité.

J. S. : La défense de la pellicule, ce n’est pas seulement un dada ou une lubie. Il y a aussi de grands cinéastes à Hollywood, que ce soit Tarantino, Nolan, Anderson qui se battent pour pouvoir continuer à tourner en pellicule parce que c’est une autre qualité sensible et il n’y a pas de raison pour que l’on soit tous contraints au numérique tout le temps. Cela peut être un choix, au cas par cas, selon le type de projets. Ce n’est pas la même chose. Il y a des facilités de travail avec le numérique pour des raisons industrielles, économiques. On nous pousse à aller vers cela et on nous fait même croire que c’est mieux que la pellicule mais on se rend compte aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Donc, par projet, par sensibilité, par artiste, il y a plein de raisons de retourner vers le travail en pellicule.

 

C. : Vous passez de la pellicule au numérique pour des questions pratiques mais pour l’archivage, le numérique est plus facile que la pellicule ?

M. M. : Je pense que garder les films sur pellicule reste la meilleure archive mais sauvegarder un film en pellicule, cela devient presque impossible. Alors que si on le numérise, cela permet de le montrer et qu’il existe. Par contre, je pense qu’il faut garder les supports originaux.

 

C. : Les labos avec qui vous travaillez produisent encore des pellicules ?

R. F. : Non, ce sont des labos qui achètent des pellicules en grosses quantités. Ils ne remettent pas en question le support pellicule mais plutôt la manière de développer le film. Ce sont des labos qui vont créer eux-mêmes leur chimie de développement.

M. M. : Il y a effectivement toute une réflexion autour de cela car la pellicule se fait de plus en plus rare et donc des gens essaient de créer de nouvelles émulsions mais c’est compliqué.

R. F. : On ne peut pas dire que ces labos-là dont on fait partie travaillent uniquement avec de la pellicule créée par eux.

 

C. : Il existe donc encore des usines qui créent encore de la pellicule ?

R. F. : Oui, il y a de la pellicule qui est toujours produite et qu’on achète sans difficulté. Elle est chère mais elle n’est pas rare. Je donne des cours de cinéma expérimental à l’ERG et chaque année avec les étudiants, on filme en pellicule, en Super 8 et en 16mm et on achète facilement de la pellicule.

 

C. : Et les caméras ?

R. F. : On en achète aussi sans difficulté. Il y de nouvelles caméras Super 8 qui sont fabriquées sinon on peut en trouver sur les marchés aux puces.

 

C .: Vous réparez aussi des caméras ?

M. M. : Officiellement, on ne fait pas ça mais ça arrive quand même. On ne veut pas seulement numériser les films mais aussi montrer les films en pellicule et aider les gens à se servir de leur matériel qu’ils ne peuvent plus utiliser.

R. F. : On est tous en réseaux donc il y a des personnes qui ont des compétences spécifiques pour la réparation, nous on est plus spécialisés dans le scan, d’autres ont des compétences en développement de pellicule. On tente de se mettre tous en connexion et quand on a un.e client.e qui a une demande qui nous dépasse, on n’hésite pas à renvoyer vers un collègue.

 

C. : Comment cette ASBL a-t-elle vu le jour ?

R. F. : Elle est née à la base d’un constat de manque de la part d’artistes qui voulaient avoir un scan et qui voulaient vivre de leur passion. Ils voulaient que ce soit un outil de travail et de vie. Au départ, il y a cette ambition qui n’est pas simple car on existe depuis peu. J’avais ce projet avec d’autres gens, celui de créer une structure de restauration, et j’ai rencontré Jen Debauche qui a trouvé ce scan et nos désirs se sont rencontrés, on a créé l’ASBL, on a trouvé l’argent pour acheter la machine.

M. M. : On se connaissait tous car le réseau des labos est petit. C’était clair qu’on allait se rencontrer car il y a peu d’endroits pour travailler en pellicule, il y a peu de lieux de projection.

R. F. : Ce n’est pas que le réseau labo parce que Joachim ne fait pas partie de ce réseau mais il fait partie de celui des passionnés de cinéma indépendant, alternatif.

 

C.: Il existe d’autres lieux de projection que le Nova pour ce type de films ?

M. M. : Ce sont souvent des lieux itinérants. J’avais créé un lieu de projection qui s’appelait Les Chevreuils, ensuite on a créé le Festival Mondial des Cinémas Sauvages.

R. F. : On a tous les trois été membres fondateurs du Festival Mondial des Cinémas Sauvages.

J. S. : PELISKAN n’a pas comme vocation première de diffuser les films même si on a le projet de se lancer là-dedans. On s’est rencontrés autour de la création de lieux et d’espaces qui n’étaient pas du tout des cinémas. On a construit des cinémas pour montrer des films réalisés de manière plus expérimentale et pour organiser des projections en 16mm ou en Super 8, ce que ne fait aucune salle de cinéma à Bruxelles pour le moment sauf le Nova.

R. F. : On veut partager des films, pas ancrés en cinéma tout de suite mais on s’intéresse à un festival de films Super 8 qui s’est déroulé en Belgique entre 1974 et 1994 à Bruxelles et dans plusieurs villes en Wallonie. Ce festival a été initié par Robert Malengreau et Marcel Croës. On est en train de réunir tous les cinéastes qui ont participé, de les rencontrer, de récolter leurs films. On propose de numériser tous ces films et on veut les rediffuser pour leur donner une deuxième vie.

J. S. : C’était la manière la plus économique de faire des films.

M. M. : Quand on rencontre les cinéastes, c’est aussi ce qu’ils disent, c’est l’ancêtre de la vidéo dans l’idée qu’on peut faire quelque chose de très direct et donc de politique. C’est l’idée défendue dans les festivals.

R. F. : C’est en tout cas un cinéma très engagé. Les premiers cinéastes qui participaient à ces festivals voulaient faire passer un message politique surtout après mai 1968.

J. S. : Engagé, ce n’est pas non plus l’engagement de parti. Il s’agit plutôt de gens qui n’avaient pas la possibilité de dire et qui prenaient n’importe quel outil pour créer, s’exprimer de manière brute et sans filtre.

M. M. : Donc, c’est très libre parce que les caméras Super 8 sont très faciles d’utilisation et cela permettait une grande liberté d’action.

 

C. : C’est votre nouvelle direction de travail ?

M. M. : On conserve l’aspect numérisation, mais on aimerait développer le côté archive, restauration et diffusion de films fragiles un peu oubliés. Personne ne s’occupe de ces films. Les films Super 8 sont négligés par les institutions. Les gens s’intéressent aux films de famille mais les films entre films de famille et cinéma expérimental ne se trouvent nulle part.

 

C. : Vous avez facilement accès à cette matière ?

M. M. : On est en train de contacter les réalisateurs. Souvent, les films sont dans leur cave et parfois difficile d’accès.

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