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Rencontre avec Zahra Benasri, fondatrice de Hors du bocal

Publié le 21/12/2023 par Dimitra Bouras et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Faire un film représente un travail titanesque, depuis les premières idées des réalisateurs et réalisatrices jusqu’à sa diffusion. Dans ce long processus, il y a une étape cruciale, celle de la distribution. « Un film qui n’est pas vu est un film qui n’existe pas aux yeux de l’industrie cinématographique ». C’est en se plongeant dans l’industrie du cinéma, en réalisant des courts métrages, en les produisant, en travaillant dans des festivals, dans la vente internationale que la jeune liégeoise Zahra Benasri a pris conscience de la difficulté pour certains réalisateurs et certaines réalisatrices de diffuser leurs films. Hors du bocal est né de ce constat. Cette société de ventes de film à l’international vise à promouvoir et développer l’exportation de films indépendants de réalisateurs et réalisatrices émergents. En novembre dernier, Zahra Benasri a eu la chance de participer à la Locarno Thessaloniki Industry Academy.

Cinergie : Pourquoi étiez-vous au festival de Thessalonique ?

Zahra Benasri : J’ai été choisie parmi 8 professionnels pour la Locarno Thessaloniki Industry Academy qui est une initiative du festival de Locarno. Pendant le festival, des jeunes professionnels sont choisis pour avoir une semaine d’ateliers, de rencontres avec d’autres professionnels parce qu’ils se sont rendu compte que les problématiques rencontrées par les jeunes dans l’industrie du cinéma sont celles de la rencontre et de la possibilité de voyager. Locarno est partenaire avec plusieurs festivals, dont celui de Thessalonique.

Je fais de la vente internationale, un métier méconnu qui est plus prolifique en France. En Belgique, pour du long métrage, il n’y a que deux boîtes belges qui font ça, Best Friend Forever et Be For Films, et ce sont des filiales de boîtes françaises. J’ai été formée par Best Friend Forever et j’ai adoré ce que représente la vente, diffuser les films et les faire vivre à l’international.

Il y a bientôt un an, j’ai fondé Hors du bocal. Je me suis formée à la vente internationale, aux rapports avec les festivals, aux premières mondiales, à la diffusion et je remarque qu’il y a beaucoup d’œuvres qui sont hors du circuit conventionnel de production et de financement, des œuvres qu’on ne voit pas et qui ont pourtant toutes les qualités pour arriver dans des grands festivals ou être diffusées à l’international. Mon idée avec cette boîte, c’était de libérer tous les films qui allaient terminer dans le bocal à poissons rouges. Je voulais leur apporter une expertise alors que ce sont des films hors système : des films qui n’ont pas eu de financement, pas de boîte de production, des cinéastes qui n’ont pas fait d’école de cinéma, des œuvres marginalisées pour leur histoire à contre-courant. Cela ne nous empêche pas de travailler avec des boîtes de production avec des films financés qui ont des histoires qui nous touchent. Cette liste fait juste partie des critères pour lesquels on choisit un film ou non. Le mot d’ordre c’est hors des sentiers battus, que ce soit du point de vue de la production ou artistiquement.

 

C. : Quelle est votre formation ?

Z. B. : J’ai fait des études européennes à l’Université de Maastricht et j’aurai pu travailler à la Commission ou au Parlement européen. J’ai toujours été passionnée par le cinéma et je ne regrette pas d’avoir fait ces études, car je dois parler anglais tous les jours pour mon métier. Et, comme ce sont des études générales qui mêlent du droit, de l’économie, de l’histoire, ça aide pour la vente internationale. Il faut être conscient de la géopolitique. Il y a des œuvres qui ne vont pas dans certains pays, des œuvres qui sont censurées. On ne peut pas scinder la diffusion d’une œuvre avec le contexte politique et historique des lieux et des parties du monde.

 

C. : Quels films avez-vous dans votre catalogue ?

Z. B. : Je vends beaucoup de films français. De par la proximité avec la France, on rencontre beaucoup de personnes francophones. On a la chance de travailler sur des films pakistanais, marocains, égyptiens. On discute pour des films grecs, mexicains. Au début de cette initiative, je ne m’attendais pas à recevoir autant de films. Je ne réalisais pas que je répondais à une demande. Les maillons de la chaîne de l’industrie du cinéma peuvent paraître très inaccessibles pour des cinéastes émergents. On avait d’abord une présence en ligne et on ne s’est pas attendu à recevoir une dizaine de films par jour. On est contents, mais on aimerait grandir pour regarder vite et répondre vite aux cinéastes. Cela prend beaucoup de temps à visionner et on s’engage aussi à donner une réponse positive ou négative. On ne voulait pas reproduire les rapports de snobisme vis-à-vis des films qui ont peu de moyens. On voulait être une alternative accessible en matière de proximité et de contact.

 

C. : Comment choisissez-vous vos films ?

Z. B. : Le cinéma, c’est un peu subjectif. J’aime beaucoup le cinéma de genre donc quand un film de genre nous parvient, je serai plus attentive que pour un film naturaliste. Mais ce qui est bien, c’est que l’on discute à plusieurs dans l’équipe, on demande conseil. On s’intéresse à une narration forte, on est soucieux de la mise en scène quand on découvre une œuvre. Et on se demande si le film a un potentiel de vente ou un potentiel en festivals. On aime bien certains films, mais on sait qu’ils ne vont pas forcément fonctionner. Et si on choisit un film plus fragile, c’est qu’il a un potentiel dans sa fragilité à être diffusé, qu’il va peut-être toucher d’autres personnes.

 

C. : La vente se fait-elle en festivals ?

Z. B. : Non, pas toujours c’est là qu’on alimente le réseau. C’est là qu’on rencontre les gens, qu’on leur pitche le film. Face à face, ça change tout. C’est vraiment de l’import-export. C’est un métier de business, mais ce que j’adore, c’est qu’il y a plein de films extraordinaires et on ne sait pas qu’ils existent. Je veux qu’on les voie. La vente se fait de manière digitale, à distance, après avoir rencontré les acheteurs en festivals.

 

C. : Qui achète les films ?

Z. B. : Pour le long métrage, la spécificité de la vente internationale, c’est de trouver des distributeurs domestiques dans les pays du monde où tu as les droits du film. Pour les courts métrages, même si les plateformes de streaming ont un réel impact négatif dans l’industrie du cinéma, elles soutiennent le court métrage. Comme le court métrage n’a aucune économie, s’il est disponible sur une plateforme de streaming, il a une pérennité qu’il n’a pas s’il passe une fois dans un festival. On a des alternatives aujourd’hui comme Bref cinéma, Univers Court, une filiale d’Universciné, en parallèle des chaînes de télévision qui diffusent du court métrage comme France Télévisions, Arte et Canal +, mais ces chaînes ont des plateformes où ces courts métrages sont disponibles. Ce sont les différents acheteurs des films.

 

C. : Quelle est la plus grande difficulté dans ce travail ?

Z. B. : Dans l’industrie, on sait qu’on a besoin des courts métrages pour identifier des talents, pour faire des longs, mais ça reste l’enfant pauvre du cinéma. Le court métrage est considéré comme la carte de visite des artistes. Il existe peu de considération dans l’idée de faire subsister l’économie du court métrage. Tout est intrinsèquement lié, moins on découvre de talents, moins on les finance, moins il y a de films. Aujourd’hui, tout le monde peut accéder à des films et tout le monde peut en faire, mais ce n’est pas pour autant qu’ils arrivent à être diffusés et vus. On est sur un marché très saturé, la survie du court métrage et la place donnée aux nouveaux talents m’inquiètent. Les nouveaux cinéastes que l’on découvre aujourd’hui ne vont pas à Cannes ou à Venise. Comment peut-on les identifier et se souvenir d’eux et les voir faire d’autres films après ? On parle souvent des nouveaux talents comme des prodiges qui vont dans des festivals de catégorie A comme Cannes, Venise, Berlin, mais il n’y a pas que ces festivals. C’est bien d’y aller, mais ce n’est pas le meilleur endroit pour les courts métrages. Il s’agit de trouver la bonne place pour les films. Ce n’est pas seulement la sélection, mais c’est accompagner des cinéastes pour qu’ils puissent continuer à réaliser et rencontrer des personnes, être identifiés. Comme on travaille avec beaucoup de cinéastes qui ont réalisé des œuvres autoproduites, on a un peu un rôle d’agent de cinéastes. On sait qu’ils ont de nouveaux projets, qu’ils cherchent une boîte de production, un scénariste, une résidence d’écriture. Pour les cinéastes qu’on distribue, on ne veut pas seulement distribuer leur film, on a envie de travailler sur le long terme avec eux, de suivre leur travail. Ils peuvent toujours nous contacter pour nous faire part de leurs besoins.

 

C. : Comment ça s’est passé à Thessalonique ?

Z. B. : J’étais la seule créatrice de ma propre entreprise. Le label Locarno Thessalonique met une personne dans le viseur des professionnels. Ce que l’Industry Academy permet, c’est un accélérateur dans le réseautage. Il y a des personnes qui tiennent des gros marchés dans le cinéma qui connaissent nos prénoms parce qu’on a fait un atelier de deux heures ensemble, on leur a posé des questions, on a pris leur contact. Ils savent qu’on existe. Si un jour, on veut parler de nos films, le premier lien est fait et c’est ça la première difficulté dans le monde du cinéma. Le formel et l’informel sont toujours très liés, c’est entretenir des liens professionnels d’année en année. C’est ce que l’Industry Academy permet en parallèle avec des ateliers sur des métiers méconnus pour nous selon les postes qu’on a. On a rencontré des programmateurs de festivals, des vendeurs, des producteurs, beaucoup de corps de métier qui nous parlaient de leur point de vue et de leur expérience, ce sont des profils plus confirmés et plus identifiés dans l’industrie qui nous conseillaient. Parmi nous, (dans le groupe des 8 jeunes professionnels) c’étaient des profils divers (distributrices, vendeurs, chargés de festival) et cette initiative permet non seulement de rencontrer des professionnels expérimentés, mais aussi des personnes qui sont au même niveau de carrière que nous et qui peuvent s’aider mutuellement. Il y avait une bonne ambiance dans le groupe.

 

C. : En quoi consistaient les ateliers proposés ?

Z. B. : Pendant une semaine, on avait un programme quotidien de rencontres, d’événements, de découvertes de métiers, de sociétés. Par exemple, on a eu une rencontre avec la plateforme MUBI, avec une productrice grecque qui nous a fait état du monde de la production européenne, Eurimages qui nous a dit qu’il existait des fonds européens pour nous aider en tant que vendeurs, un centre du cinéma tchèque, etc. C’est un programme qui varie chaque année avec de nouveaux intervenants qui permet la rencontre et la découverte de professionnels confirmés et émergents.

 

C. : Est-ce qu’il y a d'autres festivals en vue ?

Z. B. : On prévoit d’aller à Clermont-Ferrand, Berlin et Cannes pour défendre nos films et rencontrer des personnes, pour découvrir de nouvelles œuvres.

 

C. : Concrètement, comment s’opère la vente de films dans les festivals ?

Z. B.: Il ne faut pas se dire qu’on vend dans les festivals, ce n’est qu’une prémisse. Au festival, on montre le produit, on donne envie de regarder le film. En fonction du ressenti, on voit si ça intéresse ou non. Les festivals importants ont déjà plusieurs films qu’ils ont identifiés en amont. A Locarno, à San Sebastian, à Karlovy Vary, il y a beaucoup de films qui étaient à Berlin, à Cannes, à Venise. On ne fait pas des films pour les festivals, mais le festival aide à faire vivre les films et à créer la réputation des cinéastes. Tout fonctionne par effet domino. Une sélection en festival crée de l’intérêt auprès d’une personne qui a envie de voir le film, peut-être qu’elle voudra l’acheter ou le programmer. La plus-value d’avoir quelqu’un qui vend, c’est que c’est son métier, c’est le contact et le réseau que les cinéastes n’ont pas toujours. Dans les festivals, on arrive avec plusieurs films en même temps. Les cinéastes pourraient envoyer leur film aux festivals, mais ce n’est pas donné à tout le monde de pitcher son film plusieurs fois sur la même journée et de garder le contact par la suite.

On est vraiment entre la production et la distribution là où paillettes et argent se mélangent. Le but des vendeurs est de mettre un film dans un festival catégorie A parce que ça représente les paillettes, le succès. On participe à visibiliser le film dans son marketing, on peut changer des éléments, les affiches, etc. pour donner toutes les chances à un bon film. On est en quelque sorte agent du film, exportateur du film.

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