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Road to Nowhere de Caroline D’hondt

Publié le 28/03/2025 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Un territoire, des voix, une mémoire

Road to Nowhere s’ouvre sur une légende inuite : le renard crie "Tartut", la nuit, et le corbeau "Quamat", la lumière. Une lumière boréale fend alors l’obscurité du ciel arctique. Dès les premières images, le film installe son récit sous le signe du contraste et du symbole. "After the darkness comes the light" devient une promesse, ou peut-être une question. Caroline D’hondt nous emmène au bout du monde, là où convergent des communautés en quête de survie. Un lieu de rupture, où les Inuits font face à un colonialisme contemporain qui fragilise leur culture, leur territoire, leur langue. Existe-t-il une route, même incertaine, qui mène de l’ombre vers la clarté ?

Road to Nowhere de Caroline D’hondt

 

Cette route, qui mène à un territoire extrême longtemps qualifié de “Nulle part” par ceux du Sud, devient l’axe central d’un documentaire à la fois ancré et métaphorique. Road to Nowhere explore la cohabitation entre des communautés venues de l’extérieur et des Inuits dont la culture s’efface peu à peu. Caroline D’hondt donne la parole à celles et ceux qui vivent là : des expatriés attirés par le travail et des habitants obligés de quitter leurs racines pour survivre. Les témoignages évoquent une identité fragilisée, lentement diluée dans les mécanismes d’un modèle économique dominant.

Le blizzard souffle comme une respiration continue, enveloppant chaque image d’un souffle glacé. Le blanc saturé du paysage, frappé par une lumière crue, produit une clarté presque irréelle. Cette atmosphère sensorielle donne au film un ton suspendu, entre effacement et résistance. Sans voix off ni discours explicatif, Caroline D’hondt capte la tension entre silence et parole, entre ce qui subsiste et ce qui disparaît. Le travail sur le son renforce la sensation physique du froid polaire, qui engourdit les corps et rend chaque déplacement aussi périlleux qu’essentiel.

Le film se situe dans le Nunavut, “notre pays” en inuktitut, territoire autonome créé en 1999, dont Iqaluit est la capitale. Mais les voix recueillies rappellent une réalité plus ancienne : présenter cette région comme un “nulle part” n’est pas une simple négligence, mais une construction politique. Des enfants ont été retirés à leurs familles, une langue marginalisée, une mémoire fragilisée. Road to Nowhere oppose à ce récit d’effacement une contre-narration discrète, mais affirmée : ce territoire est bel et bien “quelque part” — habité, vivant, traversé par des tensions. Sans trancher ni opposer de manière définitive des visions du monde qu’on ne peut juger de l’extérieur, le film offre une clé de compréhension sensible, ancrée dans l’écoute, et laisse au spectateur le soin d’en saisir la complexité. 

Cette tension se manifeste aussi dans la vie quotidienne : les communautés cohabitent sans vraiment se rencontrer, séparées par des rythmes, des références, des attentes différentes. Ce cloisonnement alimente les malentendus et renforce l’incompréhension. Sans jamais forcer le trait, Caroline D’hondt capte ces décalages avec une justesse nourrie par sa proximité avec le territoire — une amie proche y vit depuis près de vingt ans. C’est sans doute ce lien personnel qui lui permet d’approcher, avec délicatesse, des réalités souvent tues, comme le rejet des pratiques alimentaires inuites ou le glissement culturel silencieux. On sent, en creux, que le temps presse : quelque chose doit être entendu avant qu’il ne soit trop tard.

Road to Nowhere marque aussi l’aboutissement d’un projet au long cours, amorcé avant la pandémie. Après deux séjours au Nunavut et un travail attentif au plus près du territoire, Caroline D’hondt signe un film patient, profondément ancré. Il entame son parcours en première mondiale au Millenium Festival, avant une sélection en Italie — et, comme elle l’espère, une projection en terre inuit, là où ce récit a vu le jour.

 

https://www.festivalmillenium.org/road-to-nowhere-2/

https://www.cinergie.be/personne/d-hondt-caroline

 

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