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Route 66, un docu-fiction de Najib Ghallale

Publié le 08/03/2018 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Je me souviens de la scène de combat avec Jean-Claude Van Damme. Je me souviens aussi de cet attentat de Bruxelles. Je me souviens de mes origines. Je me suis souviens que j’ai rêvé deux cent trente-quatre fois de la route 66. Je me souviens que je voulais résister. Je me souviens que je me souviendrai de cette liberté.
Oscillant entre comédie, autobiographie, docu-fiction et film d’action, Route 66, réalisé par Najib Ghallale, met en scène Noureddine Zerrad dit Noon dans sa quête d’auto réalisation et de recherche d’un idéal : faire du cinéma. Le film est un hymne à la liberté s’opposant à toute forme de déterminisme culturel et permet ainsi à toute une jeunesse marginalisée de croire en leurs devenirs.

Najib Ghallale : Lorsque je suis arrivé à l’Espace Magh, j’ai découvert une jeunesse bruxelloise qui veut s’exprimer mais marginalisée, la plupart issue de l’immigration marocaine, comme Noureddine Zerrad, Noon, le protagoniste principal du film Route 66.
Noon avait un rêve, celui d’aller un jour à Hollywood pour tourner là-bas. Il a découvert le cinéma à travers les films d’action et Jean-Claude Van Damme. Il ne savait pas que l’on pouvait apprendre le cinéma, qu'il existe des écoles de cinéma. Lui et son copain Fionn, ils ont commencé à inventer des chorégraphies de combat. Ils ont visionné des films d’actions, essayé de comprendre comment faire semblant et que cela paraisse vrai, et se sont entraînés et spécialisés dans le combat. Ils ont fait pleins de petits films, et sont devenus des as du montage, du combat, et tout cela en visionnant des films. Noon est une référence sur tout ce qui est combat mais aussi technicien. Il n'y a pas longtemps, la réalisatrice turque de Mustang avait un problème technique sur son tournage, ils ont fait appel à Noon qui l'a résolu sans aucune difficulté ! C'est un vrai professionnel. Il est frustré car il veut devenir réalisateur, mais pour l'instant il fait des clips, des captations, des mariages et des bar-mitzvah.
En discutant avec lui, j'ai eu envie de raconter son histoire. Yves Hanchard nous a rejoint pour l'écriture du scénario et le film a été réalisé.

Cinergie : Était-ce vraiment l'histoire de Noon ?
N. G. : Oui c’est bien son histoire qu’il raconte. Nous l'avons écrite comme une quête initiatique. On a repris des moments d’archives de vieux films qu’ il faisait avec ses amis, sa rencontre avec Jean-Claude Van Damme.

C. : Comment es-tu arrivé au cinéma et à faire ce film ?
N. G. : Dans mon parcours, j’ai toujours eu une certaine admiration pour Armand Gatti, c’est un grand maître, c’est mon père spirituel.

C. : Qui est aussi le père spirituel des frères Dardenne…
N. G. : Effectivement. Armand Gatti m’a légué beaucoup de choses, de par son enseignement mais également après sa mort. Il a travaillé à Bruxelles en 1972 et 1973. A cette époque, il faisait une grande expérience théâtrale. C’était la période durant laquelle on voulait sortir le théâtre des lieux poussiéreux et sinueux, des cadres de scènes à l’italienne.
Armand Gatti était en exil volontaire à Berlin suite à l’interdiction de sa pièce pièce sur Franco qu'il voulait mettre en scène au Théâtre National de Chaillot. Malraux qui était l’ami de Gatti et ministre de la culture, lui avait dit que ça créerait une polémique terrible au sein de la politique française et de ses relations avec l’Espagne fasciste.
Armand Gatti est parti représenter sa pièce à Berlin. Gatti a été très actif dans les mouvements de contestation de Mai 68. La célèbre phrase emblématique Sous les pavés la plage, avant de devenir un slogan de mai 68, c'était une réplique d’une pièce de théâtre que Gatti avait montée : Les 13 soleils de la rue Saint Blaise. Cette pièce traitait d’un groupe d’anarchistes (Gatti lui-même était proche de cette mouvance et le revendiquait) et cette réplique qui revenait tout le temps est devenu un slogan de mai 68.
Armand Delcampe était directeur de l'IAD, il apprend que Gatti était à Berlin et l’invite à l’IAD. Mais ça ne lui convenait pas, il ne voulait pas se conformer à des règles théâtrales conventionnelles, donner des leçons et des recettes de comment bien jouer. Il quitte l’IAD et dit : « ceux qui veulent travailler avec moi me suivent ». Il trouve un atelier désaffecté rue Josaphat à Schaerbeek. Il s’installe avec des groupes de jeunes, parmi eux les frères Dardenne, et écrit sur la Colonne Durruti, des anarchistes espagnols actifs durant la Guerre Civile.

C. Et toi comment es-tu rentré en contact avec Armand Gatti ?
N. G. : J’étais étudiant en théâtre à l’université de Paris 8, une université ouverte, pure création de mai 68. En 1988, l’université rendait hommage à Gatti, un hommage à toute son œuvre, à la fois poétique, politique, théâtrale et cinématographique.
Ma professeure de l’époque était Michelle Kokosowski, assistante du metteur en scène Jerzy Grotowski. Elle me confia l’atelier de théâtre sur l’œuvre de Gatti. J’avais effectué un montage de plusieurs de ses textes, un cut-up littéraire de différents textes issus de son œuvre. Lors de notre colloque international, avec une trentaine d’intervenants, nous l’avons représentée. Gatti voit le travail et sans hésiter, il me dit : « Toi, tu viens avec moi ». J’étais fasciné et flatté, mais dans le doute, je devais décider si je rentrais au Maroc, après mes études en France, et puis, je venais de rencontrer celle qui devint ma femme.
On avait rendez-vous dans le 14eme, dans un bar littéraire comme on en fait plus. Il était assis au fond de la salle, tout de noir habillé, il me demande : « Qu’ est-ce que tu fais ». Je lui réponds que je fais du théâtre. Il me rétorque directement : « Ne me parle pas de ton théâtre, ça ne m’intéresse pas. Parle-moi de toi. D’où tu viens ».
Il est très attaché à l’histoire des êtres, leurs parcours, c’est quelqu’un qui éprouve une profonde sollicitude. Je lui dit que j’ai suivi des cours de théâtre dès l’âge de 13 ans, mais j’étais obligé de faire des études de droit, pour mon père, mais que cela ne m’intéressait pas, que je me suis engagé dans le théâtre pour la vie.
Une semaine après j’étais à Marseille pour 6 mois pour une résidence avec lui, dans les quartiers nord de Marseille. Notre projet a pris forme lors des élections où Jean-Marie le Pen a fait pour la première fois 30 pourcents dans la région. On a travaillé sur le retour du fascisme. Il voulait faire de la méta histoire, faire revenir Mussolini à Marseille, l'histoire d’une équipe de cinéma qui va venir filmer l’arrivée de Mussolini et toute sa clique.

C. : Vous avez travaillé ensemble, par la suite, après Marseille ?
N. G. : J’ai travaillé avec lui pendant 10 ans. 10 ans de formation et de compagnonnage autour d’une réflexion profonde qui m’alimente toujours, à savoir le rapport entre l’image et la parole, entre le langage et la véracité du monde. Peut-on se fier au langage ? Celui-ci renvoie-t-il à une monstration qui est une réalité vécue par tous ?
Ce qui m’a constitué pendant toutes ces années, c’est la rencontre avec les gens, on ne peut pas faire une œuvre s’il n y a pas de rencontres.

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