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Sauf le passé de Sanaz Azari

Publié le 06/10/2025 / Catégorie: Critique

L’impossible oubli

Après cinq ans de travaux, l’Africa Museum de Tervuren a rouvert ses portes avec une ambition claire : se réinventer. Ancien haut lieu de la propagande coloniale belge, il voulait devenir un espace critique, où l’histoire du Congo et de la colonisation pouvait être regardée autrement. C’est cette transformation, réussie ou limitée, que la réalisatrice Sanaz Azari interroge dans son documentaire Sauf le passé, en proposant un miroir et en laissant au spectateur la responsabilité de regarder.

Sauf le passé de Sanaz Azari

Le film nous emmène à travers les visites des salles rénovées, où les vitrines et les aménagements proposent désormais un récit moins complaisant sur l’entreprise coloniale. Les statues, jadis présentées sans distance, apparaissent dans un nouveau contexte. Les visiteurs sont guidés par un·e accompagnateur·rice qui les interpelle et les invite à partager leur regard avec les autres. 

Azari choisit d’observer ce public diversifié et de lui donner la parole plutôt qu’aux experts ou aux responsables du musée. Groupes guidés, visites scolaires ou solitaires : leurs réactions, parfois candides, parfois critiques, dessinent un kaléidoscope de perceptions. À travers elles, le film révèle l’écart entre le discours institutionnel et la manière dont le passé est perçu, digéré, ou au contraire rejeté. 

Déjà, le titre Sauf le passé suggère qu’il reste toujours quelque chose qui échappe, un héritage qui résiste. Le musée a certes changé, mais ce n’est pas avec des mots ou des décors qu’il effacera l’histoire qu’il a longtemps portée. Les collections coloniales, les bâtiments monumentaux, l’atmosphère même du lieu continuent de témoigner d’une époque marquée par l’exploitation et la domination. Tout en voulant tourner la page, l’institution reste traversée par ce qu’elle tente de réécrire. Un visiteur se souvient de la statue représentant un homme noir aux traits caricaturés qui figurait jadis à l’entrée du musée, bien qu’elle ait été déplacée depuis. 

Si la démarche de mise en contexte des faits coloniaux est saluée par nombre de visiteurs, d’autres la trouvent trop orientée, leur enlevant ainsi toute possibilité d’imaginer. Mais n’était-ce pas justement l’un des objectifs de cette rénovation, inscrite dans une démarche décoloniale : chasser les imaginaires et réparer les esprits héritiers des récits coloniaux ?

« Sommes-nous dans un musée d’art ou d’histoire ? » s’interroge une autre visiteuse. Question pertinente à l’heure où la Belgique débat encore de son passé colonial, alors que la restitution des œuvres africaines demeure un sujet brûlant. 

Avec délicatesse mais fermeté, Sanaz Azari nous rappelle qu’aucun récit officiel ne peut effacer les traces profondes de l’histoire. Sa mise en scène adopte une approche sobre, presque discrète : plans fixes, silences, regards, déambulations. La caméra laisse le temps à l’espace de parler. Elle capte des détails – une conversation de couloir, une réaction étonnée, un geste furtif – qui disent bien plus que de longs discours. Le spectateur est invité à écouter, à observer, à se confronter lui-même aux questions soulevées.

Plus qu’un film sur un musée, Sauf le passé interroge notre rapport collectif à l’histoire : la difficulté à regarder ce qui fut occulté, et l’urgence de transmettre une mémoire lucide et critique.

 

Djia Mambu

 

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