Violent. Brut. Inattendu. L’accident de voiture est un thème récurrent au cinéma. Crash de David Cronenberg, Adaptation de Spike Jonze ou Point limite zéro de Richard C. Sarifian en sont les témoins. Chez Jean-Luc Godard, Week-end en tête, le regard sur le crash se fait obsessionnel, passionnel, voire amoureux. Pierrot le fou ira même jusqu’à dire “J’aime les accidents”.
Un amour du crash, de la collision mécanique qui va encore plus loin dans le documentaire de Julien Henry, Se crasher pour exister, découvert en juin au BRIFF.
Se crasher pour exister de Julien Henry
Ce film belge, produit par Toast Production, nous plonge à mi-chemin entre la Flandre et la France dans le quotidien d’Alizée, pilote de bangers, une version plus trash du stock-car. À l'image de son compagnon, mais aussi de son père, de ses frères… bref de toute la communauté. Pour briller sur le circuit du Speedway, sorte d’anneau de course où les roues brûlent le macadam, Alizée a le choix : gagner la course ou prendre part au plus beau crash possible.
Mais s’il s’agit de rouler dans ce film, c’est autant sur la route que dans la vie. Car l’existence même de cette communauté repose sur le cœur battant et fumant de ce circuit automobile et des différentes courses qui y sont organisées. Autant d’événements, de rassemblements le dimanche qui permettent, depuis plus de 40 ans, de souder les membres de cette communauté. Ce “voiturodrome” se fait le décor d’amitiés, d’amourettes, de naissances… Cette passion pour les joints de culasse se transmet d’ailleurs de génération en génération.
Du moins le temps que cela dure encore, car bientôt la commune se devra de fermer le Speedway, sous le coup de problèmes administratifs. Au grand dam de ses pratiquants, dont les larmes et la mélancolie se font celles d’une région qui a déjà vu la fermeture des mines abîmer les liens.
Ce film est donc le récit du crash d’une communauté, qui face à la fermeture de son point d’attache, fait lui aussi de crashs, va devoir apprendre à se reconstruire autrement pour continuer à exister. Touchante, forte, et délicate à la fois, Alizée nous guide dans les entrailles mécaniques de cette communauté. Un groupement humain qui tourne autour des voitures : qui sont conduites, qui sont bidouillées, qui sont tunnées… qui font partie de la famille, participant même au gender reveal du futur bébé.
La machine devient un personnage à part entière de cette histoire pourtant humaine. Tantôt engin de destruction, œuvre ou témoin, la voiture (peut-être plutôt une voiture familiale désormais) leur servira de moteur pour aller de l’avant, se reconstruire.
Derrière sa caméra, un dispositif léger qui disparaît bientôt dans le paysage, Julien Henry nous donne à voir une transformation d’une communauté qui se doit de se renouveler pour faire perdurer ce lien, mais aussi une réparation. Il faut dire que le Speedway et ses pratiquants n’ont plus de secrets pour lui, lui qui y a déjà consacré son précédent court métrage, Lynx (2021). En découle un film très naturaliste, sans musique, façon Frederick Wiseman, où toute la place est laissée aux “acteurs” pour nous parler de leur quotidien. Un récit de vie, mais surtout de vitalité, de transmission et de partage d’une grande douceur qui nous fait passer du crash au crush.