Quand dans Camping du lac, la réalisatrice et artiste plasticienne Eleonore de Saintagnan emportait son public dans un conte à la frontière du réel en filmant une Bretagne fantasmagorique peuplée de personnages que ne renierait pas un Bruno Dumont, elle nous embarque maintenant dans une tout autre aventure, Ver-vert, fiction documentaire suivant les pérégrinations d’un perroquet pas comme les autres.
Ver-Vert d’Eleonore de Saintagnan

Ver-vert est avant toute chose un long poème écrit par le poète Jean-Baptiste Gresset, auteur du dix-neuvième siècle. C’est un véritable carton. À sa sortie, il fait chavirer les cœurs de ses lectrices et lecteurs pour un curieux perroquet nommé Ver-vert. Et pour cause ! Qui ne serait pas charmé par cet oiseau majestueux qui un jour trouve refuge dans un couvent de Never, séduit toute la communauté par sa piété, mais aussitôt renié après un voyage en bateau où il répète le langage de charretier qu’il y a appris, pour enfin mourir d’un trop-plein de soin enfin réhabilité parmi les nonnes ? Saintagnan s’échine donc à mettre en image son histoire, à la faire vivre à l’écran. Cependant, elle ne se contente pas d’une vision réaliste de l’histoire, somme toute peut-être plus ennuyeuse, mais l’adapte dans une version pleine de fantaisie, d’humour, de décalage, de cabotinages heureux, dont on ressort le cœur allégé.
Ce qui compte, après tout, c’est donner vie à Ver-vert, de le sortir de sa gangue fossilisée, de son texte sanctuarisé. Tel est d’ailleurs le point de départ : une visite guidée au musée des sciences naturelles de Nantes où visiteuses et visiteurs se promènent parmi les squelettes de dinosaures et les animaux empaillés. Les créatures exposées ont ici le regard éteint (quand ils ont des yeux), figées dans des postures d’éternité dont ils ne pourront plus jamais s’extraire, soigneusement exposées sous vitre dans des vivariums (ou plutôt des mortariums, en l’occurrence), où elles ont certes des compagnons d’infortune, mais sans rien à se dire ni rien à pouvoir communiquer. C’est pourquoi, heureusement, une guide passe par-là et, au détour de remarques sur les albatros qui enthousiasment son public, s’arrête sur un perroquet présumé être Ver-vert. Peu importe que ce soit ou non l’authentique perroquet qui aurait supposément inspiré Gresset car, comme a pu le soutenir Saintagnan au cours de l’un ou l’autre entretien, ce qui compte ce n’est pas d’être en phase avec la réalité (de toute façon, ce n’est pas son point fort, d’après elle-même), mais de raconter des histoires. Dès lors, la guide emporte son public dans un voyage fabuleux à travers le temps et l’espace, au cœur du dix-neuvième siècle, où un Ver-vert plus grand que nature vit ses aventures palpitantes, où l’on danse, où l’on chante comme dans une comédie musicale baroque (ou un karaoké, si l’envie vous prend de suivre les paroles expressément incrustées en sous-titre), où l’on se métamorphose au fil des péripéties et où même les visiteurs ne sont plus visiteurs, mais endossent une myriade de rôles plus ou moins probables où le travestissement n’est pas un tabou. Rendre vie au Ver-vert empaillé, pour Saintagnan, c’est donc plus que le mettre en image, plus que le documentariser, plus que le fictionnaliser, mais le faire étinceler par toutes ses facettes en infusant une générosité sans bornes (ou presque) entretenue par un mélange détonnant de genres et disciplines artistiques.
Et, pour ce faire, il faut le souligner, Saintagnan profite d’une troupe d’acteurs de choc venant d’horizons multiples, qui s’en donne à cœur joie et dont le plaisir d’être sur le plateau est communicatif, non comme un bâillement (heureusement), mais comme un rire franc. La guide est ainsi magnifiquement campée par Ondine Cloez, chorégraphe et performeuse d’origine française vivant à Bruxelles (comme Eleonore de Saintagnan). Le public, quant à lui, est composé de rien moins que l’enfant de Saintagnan, Edgar Motte-Saintagnan (déjà présent dans Camping du Lac), et de son compagnon, Grégoire Motte. On y retrouve également Sophia Rodriguez, qui incarne également Ver-vert avec un sens du réalisme confondant. En plus de cela, quasiment toute l’équipe, de la régie à la direction de production en passant par l’ingénieur du son, met la main à la pâte. La réalisatrice de Ver-vert n’abandonne donc pas son envie de mettre en avant des acteurs et actrices non professionnels. Elle leur laisse peut-être même plus de place pour s’épanouir verbalement que dans Camping du lac, chose sûrement permise en mêlant des professionnelles à la troupe. Et cela fonctionne extrêmement bien, sans que les inévitables maladresses ne gâchent le film, puisque l’esthétique générale autorise justement les petites sorties de route et même s’en nourrit pour gagner en vitalité.
À quiconque verrait dans Ver-vert un petit projet peu ambitieux, il faudrait donc rétorquer par une opposition ferme et assurée. Il est certes de plus petite envergure, mais il comporte tellement de bonnes idées, tellement de moments de grâce où l’on s’émerveille des trouvailles visuelles, qu’on voudrait s’écrier « encore » et qu’on regrette de voir le générique de fin arriver si vite.