Cinergie.be

Sous le vent des Marquises de Pierre Godeau – Sortie le 31 janvier

Publié le 31/01/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Quand on n’a que l’amour…

Acteur célèbre, narcissique, dépressif et secrètement atteint d’un cancer, Alain (François Damiens) accepte à contrecœur d’incarner Jacques Brel dans un biopic relatant les dernières années de la vie du chanteur aux îles Marquises. Conscient qu'il s'agit probablement de son dernier film, mais aussi de l’absurdité du projet (sa physionomie, sa perruque et ses fausses dents en font un Brel franchement ridicule), il plante le tournage pour se rendre, non pas aux Marquises, mais en Bretagne, pour retrouver sa fille, Lou (Salomé Dewaels), qu'il n'a pas vue grandir, ainsi que Valérie (Anne Coessens), son ex-femme. Alain est un artiste en perpétuelle représentation, qui « parle pour qu’on l’oublie », solitaire malgré l’adulation et en grand besoin d’amour. L’affection de sa famille ne lui ayant jamais suffi, il s’est contenté pendant des années de celle du public. Refusant de se faire retirer sa tumeur, il est décidé à passer ses derniers mois loin des plateaux, en compagnie de sa fille.

Sous le vent des Marquises de Pierre Godeau – Sortie le 31 janvier

François Damien en Brel ? Le film de Pierre Godeau joue, dans sa première partie, de cette incongruité très actuelle qui consiste à coller à des stars mauvaises perruques et fausses dents parce que le biopic est un genre qui rapporte gros (même s’il n’accouche la plupart du temps que de films médiocres). Mais le Grand Jacques n’est finalement ici qu’un prétexte, seuls quelques éléments de la fin de sa vie font écho aux efforts d’Alain : son souhait de prendre d’autres risques, de partir loin, de quitter les paillettes pour retrouver son humanité perdue. Brel est néanmoins un élément fédérateur, son aura et son talent appréciés par toutes les générations.

Comme dans Juliette (2013), son premier film, Pierre Godeau aborde le thème de la filiation compliquée, avec délicatesse et tendresse. Surprise par l’arrivée de cet homme encombrant qui lui a tant manqué et qui ne la connaît pas, Lou, une jeune femme qui a la tête sur les épaules, va, une fois sa fierté ravalée, s’en rapprocher pour enfin gagner son estime. Dans un premier temps, néanmoins, son ressentiment vis-à-vis d’Alain creuse le fossé générationnel qui les sépare et s’avère un obstacle majeur : entre l’artiste issu d’une génération plus insouciante et cette fille plus sérieuse et réfléchie, la communication est laborieuse… Contre toute attente, Lou entre peu à peu dans l’univers de son père en lisant et interprétant elle-même le scénario de « Jacques », imaginant une version différente et plus personnelle de l’histoire. C’est donc par le biais de l’art que le duo se rapproche : inhibée par le succès d’Alain, Lou n’a jamais osé se lancer dans une carrière de comédienne, mais son imagination et son talent d’actrice se révèlent peu à peu devant les yeux admiratifs de son père. Quant à lui, il tente un mea culpa maladroit pour son absence au cours de toutes ces années et retrouve peu à peu l’envie de vivre au contact de cette jeune femme étonnante, dont il ne soupçonnait pas la plupart des qualités.

Sous le Vent des Marquises est l’histoire de deux êtres fragiles qui, contrairement à Jacques Brel - qui a su tout quitter quand il le fallait - ont peur de ne jamais être à la hauteur, de ne pas avoir pris les bonnes décisions aux bons moments, taraudés par des regrets. Godeau raconte leurs retrouvailles sur le ton d’une comédie mélancolique qui convient parfaitement à son duo central. Comme nombre de comiques, Damiens n’est jamais aussi bon que lorsqu’il quitte sa zone de confort. Mais la grande révélation du film est l’exceptionnelle Salomé Dewaels (découverte dans Filles de Joie et Illusions perdues), mélange d’aplomb et d’insécurité qui, avec son sourire irrésistible et son beau regard intense, s’impose dès ses premières scènes comme un talent majeur.

Tout à propos de: