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Stan et Ulysse l'Esprit Inventif de Benjamin Hennot

Publié le 10/05/2018 par Lucien Halflants / Catégorie: Critique

Entre Chimay et Couvin, à partir de 1942 et jusqu'à l'achèvement de la seconde guerre mondiale, vivaient certains des maquisards les plus redoutés de Belgique. Stan et Ulysse (André Van Glabeke et Marcel Franckson de leurs vrais noms) furent deux d'entre eux. L'occasion pour Benjamin Hennot de raconter leur histoire commune.

Stan et Ulysse l'Esprit Inventif de Benjamin Hennot

Pourtant, d'Histoire avec un grand "H" il n'y aura que peu. Les dates et lieux cités en introduction sont peut être les seuls éléments historiques précis du film qui ne semblent rapidement plus intéresser le réalisateur. Il leur préférera l'action, la sensibilité humaine et la fougue guerrière de ces anciens combattants officieux. Sur le fond comme dans sa forme, il cherche et fuit le classicisme réaliste pour tirer son film vers l’expérimental presque abstractif. Une volonté de cinéma souvent pertinente mais parfois alourdie par quelques afféteries ou jumpcuts difficilement justifiables autrement que par la débrouille fauchée du film ou pour contrecarrer la lenteur oratoire de vétérans désormais moins vivaces.

Le film se sépare en deux parties distinctes toutes deux pourtant tiraillées entre documentaire et western. La première, plus abstraite, recrée l'ambiance de ces trois dernières années d'occupation à travers un mixage sonore hallucinant - entre hurlements et guitares Youngiennes -, de nombreux travellings et drones erratiques dans les rues de Bruxelles et des bribes de textes tirés d'entretiens avec les protagonistes. Le metteur en scène prend l'effet pour unique principe et c'est parfois hypnotisant. 

La seconde partie, raconte une histoire à partir d'objets. Armes et photos sont les bases de tout avancement narratif. Ainsi, c'est un passé belge, inconnu de beaucoup, qui est raconté essentiellement à travers des images de reconstitutions contemporaines, d'archives ou de classiques de fiction et des voix-off des vétérans pas tout à fait reconvertis. En usant de toutes ces techniques, le film essaye systématiquement d'éviter le remplissage. Quelques interventions face caméra des protagonistes viennent alléger le parti pris esthétique et casser un peu la rythmique du film fondée sur les bases d'une action permanente.

Dans cette même idée, le réalisateur célèbre les guerriers à la façon des grands films se focalisants sur les exploits de guerre que le cinéma Européen moderne a totalement abandonné pour s'intéresser quasi uniquement aux victimes. Ici, les guerriers sont aussi irréprochables qu'ils peuvent l'être. Des terroristes qui se rapprochent peut être d'idéologies semblables à celles présupposées du spectateur - ils combattent les nazis et laissent tant que possible la vie sauve aux civils comme aux ennemis - à ceci près qu'ils répètent sans cesse aimer les armes et la guerre d'un amour profond. "Plus précieux qu'une femme" dit l'un d'entre eux en caressant un fusil à canon scié. Sur ce propos, les prises de positions de ces vétérans, qui furent de jeunes gens encore plus virulents, semblent alors insoutenables. D'une profonde violence. Et c'est ainsi que l’âpreté d'une époque refait surface : dans cette façon que le film à de laisser une totale liberté à ses protagonistes, d'une certaine manière ses héros, tout au moins dans le sens romanesque.

Ces deux protagonistes sont incessamment comparés aux indiens d'Amérique vivants dans les bois, en tribu, sans hiérarchie, vouant un culte à la violence, protégeant leurs terres... Pour Hennot, ils sont ces indiens et leurs luttes se ressemblent sauf, qu'ici, ils en sont les héros. (Ce qui n'est que rarement le cas si l'on s'en réfère à l'imagerie du western américain). L'occasion de conter leur histoire à travers des images des films de Ford ou Porter. Invoquer les témoins pour réanimer l'esprit d'une lutte aujourd'hui éteinte. Une manière, aussi, de mettre en perspective toutes les guerres, tous les affrontements armés dont les issues sont généralement aussi communes que restreintes : ou on fuit, on on tue, on on meurt.

Le geste de cinéma se meut donc en désir de recréer des décors à partir du néant, de construire la majestuosité par le cadre et le mouvement en réinvestissant le réel des lieux chargés d'histoire(s) ou à travers l'imaginaire de plans pré-existants pour les détourner et les faire correspondre au propos du film, à grands coups de transitions et de superpositions réfléchies. Ainsi, dès l'ouverture, l'histoire des protagonistes se voit imprimée sur les mains, les peaux qui manipulent ces objets de mort que furent leurs armes. Plus tard, les pinceaux qui repeignent les véhicules de guerre se superposent à des images d'archives comme pour redessiner l'histoire à travers le pinceau caméra ou encore une traversée d'un sombre tunnel vers la lumière : métaphore juxtaposée dès lors que les propos se teintent des morts du passé. Il est de ce fait, fascinant de suivre le cheminement des pensées du réalisateur à partir des paroles des deux intervenants. Jamais il ne les bride mais on peut sentir sa lutte pour les découper, les étendre, les imager. Bref, en faire du cinéma.

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