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Sur la piste de Yu Bin de Jean-Christophe Yu

Publié le 15/01/2016 par Serge Meurant / Catégorie: Critique

Le film de Jean-Christophe Yu est le récit passionnant de la recherche de son grand-père, Yu Bin, disparu en Chine en 1968. Cette recherche, son propre père, Georges, l’avait entreprise bien avant lui, mais sans succès. Son enquête, commencée à l’automne 2011, s’achève cinq ans plus tard, après un grand nombre d’investigations, de voyages, de découvertes et le partage de celles-ci avec son père.

Sur le piste de Yu bin de Jean-Christophe YuDès l’enfance, Jean-Christophe Yu avait pris conscience, d’abord confusément, des liens qui l’attachaient à l’histoire de la Chine populaire dont les hommes de sa famille paternelle apparaissaient comme les héros. L’histoire de Yu Bin, son grand-père, est exemplaire en ce qu’elle permet de suivre, pendant plus d’un demi-siècle, les destinées des intellectuels chinois émigrés en Europe pour y étudier et regagner ensuite leur pays humilié par l’Occident, puis déchiré par des bouleversements politiques. Le film a pour creuset la figure absente du grand-père, son rayonnement à distance, la tragédie que représente pour les siens sa disparition. C’est une manière de faire le deuil de cette grande personnalité, après avoir appris, bien des années plus tard, les circonstances tragiques de son suicide dans un camp de rééducation. Sans doute fallait-il attendre que soient réunies toutes les traces de ce destin tragique pour commencer le travail de mémoire. Le documentaire possède la nostalgie des séparations de familles qui ne purent être réunies, des histoires collectives qui ne se rejoignent pas. C’est en 1919 que Yu Bin quitte la Chine pour étudier en France. Sur le paquebot qui l’amène à Marseille, il croise de jeunes révolutionnaires qui joueront un rôle important dans l’établissement de la République populaire chinoise. Il connaîtra ensuite, en Europe, la condition des étudiants pauvres, la précarité de l’exil. Lors d’une manifestation de jeunes immigrés chinois à Paris, le jeune homme est expulsé de France et s’établit à Liège avec sa compagne, Lambertine Meyntjens, une servante liégeoise d’origine flamande. Il fait l’objet d’une discrète surveillance policière dont Jean-Christophe Yu a retrouvé les procès-verbaux aux Archives du Royaume. En 1927, naît leur fils, Georges. Trois ans plus tard, il interrompt ses études et rentre en Chine à la demande de son père. Il espère que son épouse et son fils pourront le rejoindre. Mais les guerres et les agitations sociales empêcheront ce regroupement familial.

Les lettres de Yu Bin seront, désormais, le seul lien entre le père et son fils qui sera élevé par sa mère.
La lecture de cette correspondance, rédigée en français, constitue la partie la plus vivante et la plus émouvante du film de Jean-Christophe Yu. Elle témoigne de son inquiétude et de sa sollicitude pour les siens demeurés en Belgique et dont les conditions de vie demeurent précaires. Elle s’interrompt pendant la Seconde Guerre mondiale et ne reprend qu’après la défaite japonaise. Les courriers de 1948 et des années suivantes apportent des témoignages précieux sur la victoire des communistes chinois, l’enthousiasme patriotique qu’elle soulève.
Yu Bin s’était initié à la médecine chinoise et était devenu un acupuncteur renommé. Mais, comme de nombreux intellectuels chinois, il dénonça publiquement, en 1962, la politique du « Grand Bond en avant » et les millions de morts dont elle fut la cause. Il fut arrêté, jugé et condamné à quinze ans de camp de rééducation.
C’est à ce moment que la correspondance avec son fils s’interrompt et qu’il disparaît. Ce n’est que de nombreuses années plus tard que sa famille apprit qu’il s’était suicidé, en 1968.
Sur la piste de Yu bin de Jean-Christophe Yu Des images d’actualités et d’archives, des documents divers, illustrent, en contre-point, cette correspondance, la replacent dans le contexte de l’histoire collective de la Chine contemporaine.

Une ancienne photographie, prise à la fin du XIXe siècle et conservée par miracle dans la cave de la maison familiale à Liège, nous montre la famille de Yu Bin au complet. Elle dresse une sorte d’arbre généalogique de celle-ci. Elle est à la source de l’histoire qui nous a été racontée, de ses voyages et de ses exils. Jamais le récit ne s’éloigne de la recherche de Yu Bin et l’intimité des voix qui nous parviennent à travers lui confère au film sa couleur, son humanité, sa portée universelle, sans jamais discourir sur l’histoire idéologique de la Chine communiste.

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