The Invisible Voices est un documentaire qui nous raconte l’histoire d’une tradition enfuie, d’un art dans l’ombre porté par des femmes, en cachette : le chaâbi. C’est un chant traditionnel et très populaire au Maroc, il se retrouve alors très souvent dans les mariages. Le chaâbi est un art qui se pratique d’abord par les hommes et donc souvent méprisé lorsqu’il est pratiqué par des femmes. Là est toute la portée de ce film : donner la parole à ces femmes qui portent le chaâbi dans leur quotidien.
The Invisible Voices, de Laïla Amezian, 2024
Depuis les accords bilatéraux entre le Maroc et la Belgique, il y a eu 60 ans. Ces nombreuses années ont permis une mixité culturelle très riche en Belgique. Toutefois, les emprises des traditions marocaines ont bridé l’émancipation de cet art par des femmes. En effet, nous parlons ici d’un combat pour le faire émerger au public belge qui n’en avait pas connaissance, mais aussi d’en faire un acte d’émancipation lorsqu’il est pratiqué par des femmes.
Laïla Amezian mène ce combat depuis déjà 25 ans et ce film est une première étape pour promouvoir l’art chaâbi qui l’a bercé depuis petite par sa mère. Une relation les lie entre elles deux, un lien d’histoire, d’amour et surtout de musique. Depuis, Laïla Amezian a réussi à rassembler énormément de femmes autour des chants traditionnels marocains. Il s’agit là du berceau parfait pour réaliser ce documentaire avec un groupe de femmes courageuses qui ont osé se montrer, qui ont en parlé et qui le chante avec tout le bonheur que cela leur procure.
Le cadre patriarcal plane encore beaucoup pour la pratique du chant, qui est souvent associée à la vie nocturne et donc souvent à des femmes de mauvaise vie. Cela crée aussi un déséquilibre de jugement où les groupes féminins doivent se démener pour obtenir de la reconnaissance. C’est un documentaire qui ouvre le débat en brisant la glace. Il agit comme une invitation à en parler, à oser en parler. Car pour ces femmes, la pression leur pèse beaucoup. Les femmes marocaines doivent suivre un dictat strict sur leur image et le simple fait de prendre parole devant une caméra est un acte fort.
Un aspect également très important lorsqu’on traite du sujet du patriarcat et de la place de la femme, c’est le rapport à la victimisation. Dans ce film, il n’y a pas de place à cela. Il est question d’une vocation artistique pour le chant, pour cet art traditionnel qui les fait vibrer. On traite de cela avant tout. Comme une forme de joie perpétuelle pour mener ce combat et sortir de l’ombre en reconnaissance.
Enfin, le film s’est construit petit à petit sans prétention en s’attachant d’abord à l’art du chaâbi, aux femmes, sans se préoccuper de la matière récoltée pour raconter leur histoire. Le sujet parle de lui-même. Ce documentaire s’inscrit pleinement dans le chemin vers la reconnaissance d’un patrimoine artistique. Également dans l’histoire d’une mixité culturelle forte en Belgique, qui ne crée pas un nouvel art, mais qui met en lumière partiellement ces femmes qui ont toujours existé.