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The Wall de Philippe Van Leeuw

Publié le 27/09/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La loi de la frontière

Jessica Comley (Vicky Krieps) est une agent fédéral de la Border Patrol à la frontière entre le Mexique et l’Arizona, un désert que les migrants traversent quotidiennement malgré le danger. Jessica et ses collègues traquent et arrêtent des clandestins (et leurs passeurs) avec des méthodes particulièrement musclées : leurs « proies » sont pourchassées, menottées, parfois battues et, de manière générale, traitées comme des chiens, qu’elles soient adultes ou mineures.

The Wall de Philippe Van Leeuw

Jessica, qui est peu appréciée de ses collègues et de sa famille, est fière de défendre son pays et exerce son métier avec zèle, dégainant régulièrement son arme sans avertissement. Son job lui permet d’assouvir des instincts violents hérités d’un père redneck qui fait régulièrement la chasse aux clandestins pour le plaisir. Pour Jessica, la frontière est un nouveau Far West, elle se voit comme une guerrière à la John Wayne dont la tâche divine est de « rendre l’Amérique grande à nouveau » en protégeant ce « mur » invisible que Trump n’a jamais construit. Ses raisons ne sont pas politiques, mais dictées par un racisme solidement ancré. Puis un jour, un coup de feu part trop vite et un homme meurt. Jessica efface les traces de son crime, mais un sentiment bizarre la surprend… Serait-elle prise de remords ?

On pense beaucoup au cinéma de Paul Schrader devant le nouveau film de Philippe Van Leeuw (Le Jour où Dieu est parti en voyage, Une famille syrienne). Comme le réalisateur américain, le cinéaste belge fait le portrait d’un être abject en pleine crise existentielle, au beau milieu d’une tentative de remise en question, en quête d’une rédemption probablement impossible ou en préparation d’un suicide programmé. Jessica est de la même étoffe que Travis Bickle (Taxi Driver), William Tell (The Card Counter) ou encore Narvel Roth (Master Gardener)… ces personnages qui sont autant de bombes à retardement, que Schrader écrit brillamment depuis les années 70 : des antagonistes solitaires, complexes, torturés, parfois sur le point de faire une immense connerie, souvent persuadés des bienfaits de leurs crimes, mais qui se débattent néanmoins dans la douleur avec leur conscience.

Entre deux scènes de déchaînements racistes, Van Leeuw cherche donc l’humanité de Jessica : dans les derniers moments, précieux, qu’elle passe avec sa seule amie, Sally (Marla Robison), qui se meurt d’un cancer, mais aussi dans ce jeu sexuel qui consiste à arrêter des clandestins qu’elle invite dans son lit pour une nuit avant de les laisser partir le matin, avec la promesse que la prochaine fois qu’ils se croiseront, les choses seront moins plaisantes.

Vicky Krieps se montre (une fois de plus) exceptionnelle dans un rôle difficile à porter : constamment menaçante, désagréable et sans empathie, le malaise et la haine transpirent de chaque pore de son être. Transformée physiquement (le six-pack pectoral est impressionnant !), sans maquillage, le sourire en berne et la transpiration poisseuse sous le soleil écrasant de l’Arizona, l’actrice luxembourgeoise donne corps à une teigne qui n’a plus personne à qui parler, qui fait l’inéluctable constatation qu’elle ne vit pas la vie dont elle avait rêvé dans ce pays hostile qui l’a façonnée ainsi. The Wall, à l’inverse du raté The Border (Police Frontière, 1982, de Tony Richardson, dans lequel un officier joué par Jack Nicholson tombait amoureux d’une migrante), évite la facilité en esquivant l’analyse politique et le débat sur les clandestins pour créer le portrait mémorable d’une femme aussi répugnante dans ses actes que fascinante dans ses fêlures.

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