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The Y-House & I’m Not a Robot : parcours d’un Oscar belge

Publié le 10/04/2025 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Fondée en 2019 par Henry Gillet, The Y-House Films est une société de production belge spécialisée dans la coproduction de longs métrages d’auteur à vocation internationale. Portée par des récits inspirés de faits réels, la société défend un cinéma exigeant, où la musique joue un rôle central.

En quelques années, The Y-House s’est imposée sur la scène internationale, décrochant notamment l’Oscar du Meilleur Court Métrage pour I'm Not a Robot de Victoria Warmerdam, ainsi que le prix de la Compétition belge au Docville Leuven pour Slave Island de Jimmy Hendrickx et Jeremy Kewuan.

 Cinergie.be : Quelle forme avait The Y-House à ses débuts ? Et comment la société a-t-elle évolué depuis sa création ?

Henry Gillet : Le projet initial, c'était de mélanger une partie accompagnement d'artistes en création – autant en musique qu'en cinéma –, d'avoir une partie production et aussi d'organiser un festival très ambitieux. Malheureusement, tout ce qui était présentiel a dû s'arrêter avec la crise de 2020. C’est là que j’ai mis tout le paquet sur la production.

Aujourd’hui, on en est à cinq coproductions minoritaires qui sont en train de sortir et fleurir un peu partout dans le monde. Au départ, l’idée du festival était de créer un moment annuel pour mettre en lumière toutes les personnes qui collaboraient avec nous. À ce moment-là, on avait une vingtaine d’élèves en formation, accompagnés par des spécialistes comme Nicole Palo en scénario pour la partie cinéma, ou encore Remi Leboss et Théophile Moussouni pour la musique. On voulait faire éclore de nouveaux talents belges.

L’une des grandes difficultés, c’était de les aider à monter leurs dossiers. J’étais épaulé par deux assistants de production qui géraient aussi le programme Tremplin de la Y-House. L’initiative avait commencé à devenir rentable, et c’est vraiment dommage qu’on ait dû l’arrêter lors du covid. Mais il n’est pas exclu qu’on relance cela un jour.

Le festival était le point culminant de l’année : on y projetait les productions de The Y-House et celles sur lesquelles on collaborait. La première édition a eu lieu en 2019, avec Screen Brussels comme partenaire et sponsor principal. C’était une fête incroyable, les débuts de The Y-House, avec ses trois pôles : formation sous le nom Tremplin, production, et festival. C’est aussi là que s’est nouée la collaboration avec Grégory Zalcman, de Take Five, autour d’un premier film de Nicole Palo.

 

C. : Quel a été le véritable déclencheur de l’activité de production internationale pour The Y-House ? Pouvez-vous revenir sur ce moment charnière et sur votre premier long métrage en tant que coproducteur minoritaire ?

H. G. : Le tournant s’est opéré lors du BRIFF en 2018, à l’occasion des premières rencontres de coproduction. C’est là que j’ai rencontré plusieurs producteurs étrangers et que s’est imposée l’idée de me lancer dans la coproduction internationale. Le lien s’est noué autour d’un double match : humain et artistique.

Fin 2020, en plein Covid, nous avons signé à distance notre première coproduction. Ce contrat m’a permis de sécuriser environ un an et demi de revenus de production, ce qui m’a donné l’élan pour redéfinir les priorités de The Y-House. De plus, les autres activités n’étaient plus soutenables en raison de la pandémie. J’ai arrêté les formations, mis le festival entre parenthèses, et recentré toutes mes forces sur la production.

Un autre élément déclencheur a été ma collaboration avec Grégory Zalcman. Elle a joué un rôle essentiel dans la mise en place de notre stratégie de financement autour du tax shelter belge.

Le premier long métrage né de cette dynamique de production minoritaire est When Fucking Spring Is in the Air, du réalisateur Danyael Sugawara, une coproduction entre les Pays-Bas (majoritaires), l’Allemagne et la Belgique. Le film, partiellement tourné en Pologne, a marqué le début concret de mon activité en tant que coproducteur minoritaire, et reste un projet fort, tant sur le plan professionnel qu’humain.

 

C. : La musique occupe une place importante dans vos productions. En quoi votre parcours musical avec Henry Bliss and the Side Walkers influence-t-il votre travail de producteur aujourd’hui ?

H. G. : La musique a toujours été mon premier moteur créatif. Après des études de gestion et un bref passage en entreprise, j’ai très vite compris que ce n’était pas mon univers. J’ai monté un groupe, Henry Bliss and the Side Walkers, avec lequel j’ai tourné entre 2005 et 2010. Ce que j’aimais par-dessus tout, c’était créer des ambiances, raconter des histoires à travers les chansons. C’est ce goût pour le storytelling qui m’a ensuite amené vers le cinéma.

Aujourd’hui, la musique reste un élément central dans ma manière de produire. Quand je participe à une coproduction, je regarde toujours si la place de la musique est encore libre. C’est souvent un déclencheur. J’essaie de proposer une approche où la musique ne vient pas simplement habiller l’image, mais devient une composante narrative à part entière.

Le lieu où nous sommes aujourd’hui reflète aussi cette trajectoire : à l’origine, The Y-House était une vraie maison dédiée à l’art, avec des studios au rez-de-chaussée et des espaces de formation à l’étage. Depuis, l’activité s’est recentrée sur la production, une partie de la maison seulement est encore en activité – surtout pour les projets sonores. Mais cet héritage reste très présent dans mon approche.

 

C. : Comment expliquez-vous l’incroyable parcours d’I’m Not a Robot jusqu’à l’Oscar ? Vous attendiez-vous à un tel engouement ?

H. G. : Le film part d’un pitch simple : une femme tente de prouver qu’elle n’est pas un robot via une captcha, mais bascule dans une spirale absurde. En trois minutes, on installe le cadre, puis on plonge dans 18 minutes de comédie noire à la Black Mirror.

C’est un projet né de ma collaboration avec Victoria Warmerdam et le producteur hollandais Trent. Au départ, je n’imaginais pas refaire un court en coproduction internationale, mais le script et l’ambition du film m’ont convaincu. On a tourné à Bruxelles avec une équipe 100 % néerlandaise et une excellente équipe flamande en production. L’alchimie était là.

Très clairement, il y avait une stratégie du producteur hollandais OAK Motion pour viser les Oscars. Ce n’était pas un film de festival parmi d'autres, mais un projet construit, ciblé, pensé pour aller loin. Et pour Victoria, c’était un moment charnière : son troisième court métrage, celui qui affirme une vision, un style. Elle est allée à l’essentiel.

La première a eu lieu au Nederlandse Film Festival en novembre 2023. Très vite, le film a gagné quatre qualifications aux Oscars – dont une dans un des plus grands festivals mondiaux – et a cumulé plus de 200 sélections. On espérait une qualif, on en a eu quatre. Puis tout s’est enchaîné : shortlist, nomination, victoire. C’est la force du film : un sujet universel – IA, féminisme, robotisation – traité avec finesse. L’Académie a été touchée. Le film pose une vraie question : est-ce que l’IA ne risque pas un jour de devenir plus humaine que nous ?

 

C. : Ce succès repose aussi sur un travail de collaboration. Quel rôle ont joué vos partenaires comme Take Five ?

H. G. : Ce qui est fort, au-delà de l’Oscar, c’est d’avoir vécu ça ensemble. Avec Grégory Zalcman de Take Five, tout a commencé il y a six ans, quand je lui ai proposé des investisseurs potentiels intéressés par le Tax shelter. Depuis, notre collaboration s’est renforcée autour d’un modèle artisanal, basé sur la confiance.

On est tous les deux producteurs indépendants, avec nos réseaux, nos méthodes, et on avance ensemble. Grégory produit davantage, donc parfois mes investisseurs alimentent aussi ses projets. C’est un écosystème vertueux entre partenaires de confiance.

Et aujourd’hui, on célèbre deux Oscars : un pour le meilleur court métrage de fiction, un autre pour le long métrage d’animation. C’est fou. On le partage aussi avec les investisseurs, ces gens qui croient en la culture et choisissent d’y investir plutôt que de payer simplement des impôts. Ils ont cru en nous. Et ça, c’est un message d’espoir pour tous les artisans du cinéma indépendant.

 

C. : Pouvez-vous nous parler de When Fucking Spring is in the air, ce film énergique et singulier que vous avez coproduit ?

H. G. : When Fucking Spring is in the air relate l’histoire de Katia qui est une adolescente perturbée et perturbante. L’idée initiale était de faire un punk feel-good movie, mais avec ce fond effectivement un peu dramatique puisqu’elle a été abandonnée par ses parents. Quand sa grand-mère décède, elle part à la recherche de ses parents biologiques, tout en étant confrontée à son amoureux qui veut fonder une famille. Elle découvre que son père est homosexuel, que sa mère a refait sa vie, et elle cherche sa place, de l’amour, des thunes, une reconnaissance. C’est une boule de feu qui part en quête d’identité.

 

C. : Slave Island de Jimmy Hendrickx, que vous coproduisez, traite d’un sujet bouleversant. Comment ce projet est-il né ?

H. G. : Jimmy Hendrickx vit en Indonésie depuis des années, et sur une petite île où des traditions très anciennes sont encore pratiquées, il a découvert que des enfants étaient vendus à des gourous ou à des riches, maltraités, abusés, violés, puis “rendus” à leur famille. C’est comme une espèce de bail. Le film suit un activiste local qui essaie de lutter contre ça, et Jimmy nous emmène dans tous les méandres de cette horreur. C’est bouleversant, surtout avec le contraste entre la beauté de l’île et la noirceur de ce qu’on y découvre. La première mondiale a eu lieu aux Pays-Bas, et on a gagné à Docville dans la compétition belge.

 

C. : Raven, que vous coproduisez, est un projet international ambitieux. De quoi s’agit-il exactement ?

H. G. : Donc dans Raven, c’est quoi ? On parle de la vie et de l’œuvre. C’est un biopic de Masahisa Fukase, un photographe japonais culte. Le réalisateur, Mark Gill, a été habité par cette figure pendant six ans. C’est son troisième film, il a été nommé aux Oscars pour un court en 2013, et j’avais particulièrement adoré son film sur le chanteur des Smiths, avant la célébrité.

Quand le producteur français m’a parlé du projet, j’ai tout de suite dit “Waouh, caviar”. On a bossé un an et demi dessus. Le film sort au Japon le 28 mars, avec un casting japonais quasi intégral, dont Sanada Hiroyuki – qui vient de gagner un Golden Globe pour Shogun. C’est une énorme star là-bas. Variety a qualifié le film de “Fascineting biopic”, on ne pouvait pas rêver mieux. Il y a une presse incroyable, comme dans le Japan Times, et on espère maintenant une sortie Benelux fin 2025 ou début 2026.

 

C. : Flood est un drame plus intime et rural. Que pouvez-vous nous dire sur ce film ?

H. G. : Flood, c’est l’histoire de Dune, une adolescente qui rêve d’être pilote, qui vit en Ruthénie, à l’est de la Slovaquie, dans un village que la commune veut raser à cause d’une déviation du fleuve. Elle veut convaincre son père de partir, mais lui veut qu’elle reste. Il y a un vrai conflit père-fille, traité avec beaucoup d’intelligence. L’actrice est incroyable, une jeune slovaque pas encore connue, mais qui va faire parler d’elle.

C’est un drame familial, assez silencieux, très centré sur elle. Le son et la musique ont été faits en Belgique, c’est ma plus petite coproduction, mais une première collab’ prometteuse avec une productrice slovaque très expérimentée. Le réalisateur Martin Gonda avait déjà été sélectionné à la Cinéfondation à Cannes. Là, on espère une belle surprise pour son premier long.

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