Cinergie.be

Thomas Prédour, La Quadrature du cercle

Publié le 15/04/2013 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

La Quadrature du cercle, un joli nom pour une réalité toute aussi enthousiaste : l'union des ciné-clubs des centres culturels en réseau. Rencontre avec son représentant.

Thomas Prédour : Dans le domaine des centres culturels, il y a toute une série d'associations qui existent comme l'Association des Travailleurs du Culturel ou l'Association des Centres Culturels ou, au niveau des programmateurs des centres culturels, il y a Asspropro (Association des programmateurs professionnels de la Communauté française), mais qui se consacrent uniquement aux arts de la scène, c'est-à-dire théâtre, musique, danse. Il n'existait pas de réseau entre les programmateurs. Le Centre du cinéma s'est rendu compte qu'il y avait une action de promotion du cinéma dans le tissus socioculturel, d'éducation permanente, des bibliothèques et centres culturels à faire. C'est ainsi qu'il a lancé un site de promotion du documentaire « Laplateforme.be ». La personne responsable de cette plate-forme, Roch Tran, a fait un tour des Centres culturels et a proposé de réunir les programmateurs cinéma pour voir si un travail commun ne pouvait pas se faire. On s'est rencontré une première fois, en décembre 2011 à la Vénerie où on était 30 personnes autour de la table. Tout de suite, les discussions ont été foisonnantes. On a bien senti que ça pourrait être intéressant de se réunir plus régulièrement. Pour discuter de nos coups de cœur et de dilemmes (comment choisir ou pas tel film ?) en sus des questions économiques. Aujourd'hui, le passage au numérique angoisse énormément de gens, surtout avec des enveloppes de plus en plus réduites.
Le dispositif est très différent en fonction des réalités locales, et les réunions ont permis de nous rendre compte de tout ça. Il s'agissait aussi d'améliorer la promotion du cinéma au sein des Centres culturels au même titre que le théâtre, la musique, la danse ou les ateliers. Le cinéma est quand même très associé, dans l'esprit de certaines personnes, à « commercial » ou « Hollywood », or évidemment, nous pensons le contraire.
On a appelé ce réseau La Quadrature du cercle, parce que l'affaire du cinéma aujourd'hui, c'est un peu la « Quadrature du cercle » avec les moyens existants et avec le passage au numérique. C'est un jeu de mots amusant qui correspond à l'objectif rond de la caméra et à l'écran qui est carré ou rectangulaire. Au fil des réunions, on a grandi jusqu'à avoir, en octobre 2012, le lancement officiel avec la signature d'une charte. Et depuis, on se réunit à peu près tous les 3 mois.Thomas Prédour, représentant de La Quadrature du cercle

Cinergie : Concrètement, quels sont les sujets et les difficultés que vous abordez dans vos discussions ? Comment travaille la Quadrature ?
T. P. : Par exemple, devant la difficulté de la numérisation des salles, nous avons échangé nos devis. Combien cela coûte ? Quels sont les bons fournisseurs de matériel ? Qu'est-ce que ça veut dire exactement le passage au numérique ? Est-on obligé de le faire ?
On a fait ainsi une réunion à Tournai, en juin. Nous avons invité un distributeur de Cinéart, un fournisseur belge, dont je ne me rappelle plus le nom, et quelqu'un qui était critique face au passage au numérique pour écouter tous les points de vue et que chacun puisse se forger une opinion. C'est comme cela que l'on s'est rendu compte que, pour certains, la Commune aidait au financement, pour d'autres, c'était la Province. Pour nous, à Watermael-Boitsfort, on a donc demandé à la Commune qui a finalement accepté d'intervenir. C'est très important de s'échanger les informations car on a tendance à s'isoler et à refaire le monde soi-même.

C. : Cela veut-il dire que si vous ne passez pas à la projection numérique, il y aura des films que vous ne pourrez plus projeter ?
T. P. : Voilà. Certains centres culturels avaient encore des ciné-clubs locaux qui utilisaient le 35 mm. Ce système est très stable, il n'a pas évolué depuis des décennies, hormis au niveau sonore. On ne peut, pour diverses raisons, cumuler le 35 mm et le numérique. Ces centres culturels ne pourront pas faire la transition avec le numérique parce que l'investissement est trop lourd pour un ciné-club d'une séance par mois. Ils vont probablement passer au vidéo-projecteur avec peut-être du Blu-ray ou du DVD.
Donc ici, à la Vénerie, on a choisi d'investir, mais par exemple, certains centres culturels du réseau, c'est ça qui est intéressant, travaillent dans des multiplexes. À Tournai et à La Louvière, c'est le multiplexe qui a investi dans le numérique, et le Centre culturel en bénéficie automatiquement. À Ath, c'est la Commune qui a choisi d'investir à 100%; la Province de Namur a choisi quelques centres culturels et a payé l'intégralité de l'installation. À Gembloux, le numérique a été payé par la Province.
Nous nous sommes rendu compte également qu'en additionnant les chiffres officiels d'entrées de certains films, on obtient presque autant d'entrées que lors de la sortie officielle. Ce qui nous donne un certaine force.

C. : J'aimerais que tu reviennes sur cette notion de force de frappe face aux distributeurs.
Affiche , Au nom du fils de Vincent LannooT. P. : Auparavant, chaque centre culturel discutait personnellement avec les distributeurs et les tarifs pouvaient varier d'une personne à l'autre. La Quadrature sert de canal de diffusion, quand un distributeur veut toucher les centres culturels, il contacte la Quadrature du Cercle, et nous, on transmet à tous. On n’est pas du tout une structure ascendante qui va dire « vous devez programmer tel film de tel réalisateur belge ». C'est vraiment un système horizontal où on diffuse l'information et puis chacun choisi en fonction de sa réalité.
De plus, on constate que beaucoup de producteurs n'ont plus de distributeurs. En ce moment, on n'arrête pas d'être sollicité. Chaque semaine un producteur nous contacte en nous disant : « Voilà, on sort notre film au mois d'avril, on a deux, trois salles à Bruxelles, mais sinon on n’a rien d'autre. Est-ce que votre réseau de centres culturels pourrait programmer notre film ? On a eu récemment  Kinshasa Kids, Le Sac de farine, on va avoir maintenant Au nom du fils de Vincent Lannoo. Historiquement, les centres culturels étaient le deuxième marché après le circuit des salles, mais on se rend compte que pour une série de films, nous sommes en train de devenir ce premier marché. Ce qui nous intéresse évidemment puisque en termes de promotion, on peut bénéficier de la couverture presse alors que d'habitude on diffuse les films trois, quatre mois après la sortie.
Cela soulève des changements et une réadaptation pratiques, puisque la programmation était faite sur trois ou quatre mois alors que dans un cinéma on est sur des délais de deux à trois semaines.

C. : Quelles sont les actions communes que vous avez déjà réalisées ?
T. P. : La première, c'est Osez le Cinéma belge. Autour du 27 septembre, fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les théâtres étaient plus ou moins gratuits. Avec les coupes budgétaires menées sur le budget 2013, l'opération Théâtre Portes-ouvertes a été supprimée. Nous avons décliné ce même principe pour le cinéma. On a pu bénéficier d'une enveloppe de la Fédération qui nous a permis de proposer des films belges, gratuitement. Avant, c'était le Réseau Diagonal des salles Arts et Essais qui avait proposé cet événement qui s'est ouvert aujourd'hui à la Quadrature du Cercle. Et si je ne me trompe, nous étions 18 centres culturels et 7 salles Arts et Essais à proposer une séance gratuite autour du 27 septembre et autour d'un film belge, évidemment. C'était une opération commune, mais certains centres n'ont pas pu participer puisque, comme je l'ai dit, leur programmation était déjà faite.
La deuxième opération de visibilité de cette saison, c'est le partenariat avec l'Académie André Delvaux qui organise les Magritte du Cinéma et qui souhaitait aller davantage vers le public. C'est ainsi que nous avons créé le Magritte du premier film. On ne voulait pas mettre en « concurrence » les choix des professionnels et celui du public. Sur les 19 longs métrages cette année, il y a 12 premiers films. On a proposé au Réseau, de nouveau de manière non obligatoire, de choisir le(s) film(s) qu'il a envie de programmer. Certains membres programment trois films sur les 12, d'autres, un seul. Mais, toujours est-il que de février à fin avril, les 12 films sont programmés dans 18 salles et qu'il y a 34 séances programmées au total. Le public peut gagner un voyage au Festival de Cannes et aller remettre le prix pendant le festival à la soirée du Cinéma belge, en votant à l'issue de la projection. Il y a également deux places à gagner pour la Cérémonie des Magritte 2014 en votant sur le site de l'Académie.
Le réseau n'est pas une nouvelle asbl avec de nouvelles subventions, ce sont des gens qui le gèrent sur leur temps de travail. Je suis directeur de La Vénerie, mais je fais ça en plus, mon animateur a déjà tout son travail de programmation interne, donc ce sont des réunions, du travail en plus. Le Centre du Cinéma nous soutient fortement au niveau logistique et contact, parce qu'organiser 35 séances au niveau communication cela demande une énergie un peu folle. On est très content d'être arrivé à ce résultat pour une première édition.

C. : Au départ, tu disais que « laplateforme.be » est la structure qui a réuni les centres culturels, d'où a découlé la Quadrature du Cercle. Cette plateforme a été créée pour pouvoir diffuser et promouvoir les documentaires belges dans le secteur non-marchand, qu'en est-il de la Quadrature ? Y a t-il a une promotion du documentaire et, si c'est le cas, dans quel sens ?
Thomas Prédour, représentant de La Quadrature du cercleT. P. : Je dirais que « laplateforme.be » a été un élément déclencheur et a permis, puisque c'était la volonté du Centre du Cinéma, d'aller davantage vers les centres Culturels et le non-marchand, de créer une rencontre. Mais les deux objets sont dissociés : « laplateforme.be » a son autonomie et est gérée directement par le Centre du Cinéma, qui s'oriente aujourd'hui vers d'autres lieux comme les maisons de jeunes et l'éducation permanente. Nous avons créé un prix de la Quadrature du Cercle, que nous avons remis au film documentaire de Boris Vandevoorde, Le nom des choses. Cinq centres culturels se sont engagés à le diffuser. Puis, on a récidivé au Festival du court métrage de Bruxelles où nous avons récompensé A new old story d'Antoine Cuypers qui a été diffusé une dizaine de fois. On ne privilégie pas un secteur plutôt qu'un autre, on est ouvert aux courts métrages, aux documentaires ou aux films de fictions.
« Laplateforme.be » est ouverte pour le moment uniquement aux documentaires. Nous estimons, à la Quadrature, qu'il serait intéressant que ce type de site soit aussi bien ouvert aux courts métrages qu'aux longs métrages. Je pense vraiment que c'est le genre d'outils qui, à terme, peut être intéressant pour faire une vraie programmation, en connaissance de cause et pas seulement en fonction des critiques ou des prix. Je me rends compte aussi qu'au niveau de la programmation, on nous envoie de plus en plus de liens avec des accès privés pour pouvoir voir le film en ligne. Evidemment, ça ne remplace pas la projection en salle, mais je trouve que c'est un des avantages d'Internet et des nouvelles technologies de faciliter l'accès à la programmation et à la diffusion.
Pour moi, l’intérêt de programmer un film dans un centre culturel, c'est de ramener l'acte cinématographique comme un acte citoyen, c'est-à-dire d'un partage, à la différence d'une vision sur ordinateur où l'on est seul face au film. Je pense qu'on doit mettre en avant le côté partage, de développer les débats, et les rencontres avec les invités sont l'occasion de continuer cette discussion entre les spectateurs. À La Vénerie, on remarque qu'en trois ans, malgré la crise, les entrées de cinéma augmentent alors que les entrées en art vivant ont tendance à diminuer. Pourquoi ? Parce que ça reste accessible par rapport aux multiplexes, on se retrouve dans l'aspect cinéma de quartier où les gens savent qu'ils vont découvrir un film qu'ils ne connaissent pas forcément, mais qu'ils vont rencontrer des riverains et donc on essaye le plus possible d'amener des actions de rencontres et de discussions.