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Tout va bien ! Le cinéma selon Jan Bucquoy, un film de Stefan Thibeau

Publié le 17/01/2022 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Jusqu'au bout 

Il aura donc fallut plus de 50 ans de carrière pour que Jan Bucquoy, ce cinéaste inclassable, cet artiste protéiforme, ce trublion engagé et rageur, sorte des marges du cinéma belge. Alors que son nouveau long-métrage La Dernière tentation des Belges sort prochainement en salle, non seulement la CINEMATEK organise une rétrospective de son œuvre en ce début d'année, mais la collection consacrée aux cinéastes belges de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Collection Cinéastes d'aujourd'hui) lui consacre un épisode, signé Stefan Thibeau. Un portrait riche et émouvant qui mélange réalité et fiction. À la Bucquoy.

Tout va bien ! Le cinéma selon Jan Bucquoy, un film de Stefan Thibeau

Jan Bucquoy fait partie de tout un pan du cinéma belge, celui que Roland Lethem, Jean-Marie Buchet, Noël Godin,... ont rendu inclassable, les libertaires irrévérencieux, anarchistes de la péloche, poseurs de bombes artistiques. Le cinéma belge en regorge pour le pire et pour le meilleur. Mais Bucquoy, plus encore que ses comparses ou ses prédécesseurs, est un artiste protéiforme. Performeur, peintre, dessinateur, photographe, il est partout sans cesse en mouvement, de la prise du Palais Royal qu'il remet chaque année en action à la Loterie nationale qu'il imagine comme un tirage au sort de revenus à vie, de l'entartage de sommités à l'ouverture de musées tous plus inattendus les uns que les autres, que ce soit celui des femmes ou du slip. Chez lui, tout se mêle, tout est prétexte à renverser les idées reçues, ruer dans les brancards, réinventer la vie, en proposer de nouvelles voies. Son corps et sa vie sont le matériel de cette œuvre foisonnante et moqueuse, faussement légère et finalement vraiment sérieuse car tout s'y joue à l'aune de ses idées profondément anticapitalistes et révolutionnaires.

Ce portrait signé par Stefan Thibeau lui est fidèle et lui ressemble. Foisonnant, le film voyage dans l'univers de Bucquoy, ses lieux, ses performances, ses coups de sang. Il mélange les supports, jongle entre les séquences tirées des œuvres et les archives personnelles ou télévisées pour mettre sans cesse en miroir la vie et la fiction. Il joue avec les codes de la bande-dessinée, habillant le film de cadrages en noir et blanc ou de fonts très comics... Il va et vient dans le temps sans se soucier de la chronologie, tout comme Bucquoy lui-même ne cesse de réutiliser ses propres matériaux, son histoire et ses idées qui se matérialisent dans des performances qu'il rejoue d'année en année. Il s'amuse lui aussi aux poupées gigognes, rejouant des scènes d'autres films, filmant le plateau du réalisateur en plein tournage, se mettant lui-même en scène ou mettant en scène le metteur en scène… On s’y perd parfois un peu mais pour le plaisir des mises en abyme. Alors, tout le film est comme une galerie de miroirs où les films et les personnages se démultiplient à l'infini, passant de la vie à la fiction puis l'inverse. Et Bucquoy, lui, imperturbable, ne change pas. Seuls les corps marquent l'usure du temps. Avec des interviews précieuses dont celle du chef opérateur Michel Baudour ou de l'écrivaine Corinne Maier, Tout va bien ! éclaire d'autres lumières, riches et profondes, le travail de ce trublion habité d’innocences, de rêves et de noirceurs. Car partout il y a le personnage de Marie, la fille de Jan, héroïne de La Dernière tentation des Belges, héroïne de nombreux de ses films et qu'on retrouve à chaque coin de plan ou de projet, que ce soit dans le film de Thibeau ou dans l'œuvre de Bucquoy. Marie, comme un fil ténu que le cinéaste s'emploie à tirer, à rembobiner, à faire revivre, à rechercher, à rattraper. Marie qui donne à son œuvre et à ce portrait une gravité bouleversante.

Si l'on peut regretter que le film ne s'attarde pas plus sur l'engagement politique du cinéaste qu'il feuillette plus qu'il ne le creuse (sans s'arrêter par exemple sur l'histoire du Doll Moll) ou sur toute cette part de l’histoire du cinéma belge à laquel Bucquoy appartient, Thibeau réalise un portrait éclaté, vif et doux, teinté des accents mélancoliques la belle musique originale de Olivier Terwagne. Un film sur le temps qui passe, que Bucquoy tente de rattraper sans cesse, mais qui s'écoule, inexorablement.

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