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Un simple maillon de Frédéric Dumont

Publié le 01/06/2003 / Catégorie: Critique
Un simple maillon de Frédéric Dumont

La chaîne de l'humanité

 Après des élections qui ont vu une nouvelle fois une montée nette de l'extrême droite, le film de Frédéric Dumont et Bernard Balteau vient nous rappeler qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale et de la découverte des proportions atterrantes que pouvaient prendre la cruauté et la bêtise humaine, on avait dit "plus jamais ça". Les génocides perpétrés au Rwanda et en ex-Yougoslavie nous prouvent malheureusement que l'insanité n'a pas été rayée des travers de l'espèce humaine, pourtant sensée être douée de raison. L'homme est capable du pire comme du meilleur. Et pour rattraper les horreurs de certains, il faut des gens doués d'un courage prodigieux et d'une énorme dose d'humanité. Andrée Geulen fait partie de ces héros et témoigne. En 42, elle était une simple éducatrice. Puis les rafles de juifs ont commencé. Horrifiée devant les exactions des nazis, elle, qui n'est pourtant pas juive, intègre le mouvement résistant clandestin du Comité de Défense des Juifs. Elle se porte volontaire pour tenter de sauver des enfants juifs en les cachant dans divers pensionnats, couvents et familles d'accueil.

 

Et des gosses en proie à la haine raciale, elle et les onze autres femmes de la section enfants du CDJ réussiront à en sauver 3000 durant cette sombre période. Parmi ces 3000 mômes qui n'auront pas connu les horreurs des camps de concentrations, certains témoignent aujourd'hui de leurs expériences et souvenirs d'enfants qui doivent leur vie à cette femme. La cruauté qui transparaît de ces témoignages n'est pas celle du tortionnaire nazi, mais celle paradoxalement nécessaire à leur survie : la douleur de devoir renier son identité, mais surtout de se voir séparé de ses proches. Suzanne, alors âgée de huit ans, décrit Andrée lorsqu'elle est venue l'emmener : "elle avait de magnifiques yeux bleus, mais froids". L'urgence et la gravité de la situation exigeaient d'Andrée une dureté dont elle n'aurait pu être capable si elle avait eu des enfants elle-même. Arracher des enfants à leurs familles, leur imposer un nouvel environnement et un autre nom, les répertorier et les codifier dans divers carnets était l'inhumanité requise pour préserver ces anges de la barbarie.

 

La guerre est finie. La plupart des enfants pris en charge par le CDJ s'en sont sortis vivants. Andrée aussi. Mais ce n'est pas le cas de toutes ces femmes. Certaines sont mortes le coeur usé par leur héroïsme. Alors Andrée s'est isolée pour écrire, pour attester de l'action de cette organisation humanitaire dont elle n'était qu'un simple maillon. Encore un film sur la mémoire juive me direz-vous... Mais combien seront encore nécessaires ? Combien d'Andrée et autres héros anonymes seront encore sollicités pour faire face aux atrocités dont nous sommes capables ? Combien de fois diront nous encore "plus jamais ça" avant que chacun ne devienne le maillon d'une chaîne solide qui ne cèderait plus devant la bêtise humaine ?

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