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Un Ange à la mer de Frédéric Dumont

Publié le 02/02/2010 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Papa – Parodie – Diamant – mensonge
Le globe de cristal, la suprême récompense du Festival de Karlovy Vary (République Tchèque), a été décerné, il y a quelques mois, à un film belge, Un ange à la mer de Frédéric Dumont. Habitué du documentaire, le réalisateur passe pour la première fois à la fiction avec une remarquable audace. Il lui aura fallu sept longues années pour accoucher de cette histoire personnelle qui déploie ses ailes sur nos rétines et nous laisse là, le cœur comprimé « comme un papier qu’on froisse ».

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse ?

Réversibilité, c’est par ce poème de Baudelaire s’adressant à un ange que se termine l’histoire de Louis, première scène énigmatique du film, qui va révéler, au fil du récit, tout son sens.

Un ange à la merLouis est un enfant doux et joyeux. Il aime s’asseoir sur le bord de la fenêtre de la voiture pour profiter du vent dans ses cheveux, du soleil dans ses yeux, de la sensation exaltante d’être en vie. Sa belle enfance se déroule sous le soleil du Maroc, entourée de son grand frère Quentin, d’une mère aimante, mais peu compréhensive (la merveilleuse Anne Consigny), et d’un père engagé en politique, submergé de travail. Mais le temps de l’innocence n’a qu’un temps, et quoi de pire lorsqu’il est arraché injustement par l’être que l’on aime le plus au monde ?
Louis n’a pourtant pas l’âge de partager le terrible secret que son père, rongé par de graves troubles psychologiques, a décidé de lui confier et qui va contraindre, cet « ange plein de gaieté »  à connaître l’angoisse : premier vers de Réversibilité qui revient comme une funeste complainte tout au long du récit. Privé de son enfance d’un coup d’un seul, dès le début du film, nous assistons, impuissants, à une lente destruction, parti pris fort et courageux d’un réalisateur qui ne fait aucun compromis.

Sous le soleil écrasant de Sidi Ifni, sous la lumière bleue du phare qui balaie les nuits de souffrance, les rêves n’ont plus leur place et se retrouvent écrasés par le poids du secret. Le jeu d’antan entre père et fils consistant à rattacher un mot avec la dernière syllabe du précédent, a tout perdu de sa gaieté et ne sert plus qu’à s’assurer d’une continuité pour le moins fragile, fil ténu qui les lie l’un à l’autre. C’est avec angoisse que Louis attend, derrière une porte close, le mot que son père doit prononcer pour prolonger le sien. C’est avec la même angoisse qu’il scrute, inlassablement perché dans le citronnier, les volets toujours clos de ce bureau devenu un enfer. Mais qu’il s’agisse de la maison plongée dans l’obscurité ou de cet extérieur baigné de lumière, c’est bien le même enfermement qui relie désormais ces deux êtres, enfermement qui trouve écho dans le bégaiement soudain de l’enfant.

Un ange à la merLes jours se ressemblent, le temps semble se figer, le cadre se resserrer, immergé dans un flou récurrent qui dévoile peu à peu la condition même du regard. Et celui porté par le cinéaste se révèle à la fois réaliste et tendre, cruel et pudique. Filmé du point de vue de l’enfant, nous traversons avec lui la détresse et l’horreur d’un dévouement sans limites, remarquablement insufflés par le jeu sensible du jeune Martin Nissen. Olivier Gourmet, dans ce rôle à contre emploi, parvient à donner chair à cet homme malade, maltraitant psychologiquement son enfant, détruisant la communication familiale sans jamais se départir de la générosité qui le caractérise.
Atrocement tendre, affectueusement ignoble, c’est avec les yeux de cet enfant débordant d’amour que nous comprenons son impuissance. Et c’est bien d’amour après tout qu’il s’agit ici, d’un amour empêché par la maladie, contaminé par le désespoir, un amour mortifère.

Dans ce temps suspendu où chaque respiration est vécue comme une épreuve, les quelques moments de vie qui éclatent ne peuvent s’accomplir que dans une hystérie morbide qui échappe totalement aux autres membres de la famille. Exclus du secret, Quentin et sa mère cherchent une échappatoire qui ne servira qu’à les enfermer d’une autre manière, laissant aussi leurs âmes à la dérive, jusqu’à cette fin ouverte, déchirante, qui reste une grande (et rare) émotion de cinéma.

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