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Viva Riva ! de Djo Tunda Wa Munga

Publié le 08/09/2011 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Tout feu, tout flamme…

À cent à l’heure dans la ville bouillante de Kinshasa, Viva Riva ! est un polar brûlant et torride, qui distribue du cinoche comme Riva ses billets, et qui brûle, lui aussi, d’amour pour le cinéma, les femmes et Kinshasa. Un premier long métrage de fiction réussi, et surtout, un vrai film populaire.

scène du film Viva riva! de Djo Tunda Wa MungaOn pourrait décrire Viva Riva ! comme l’histoire d’une ivresse, l’ivresse d’un homme, Riva, parti travailler en Angola et qui revient au pays plein aux as, aux commandes d’un camion volé, chargé d’essence, dont le prix, justement, flambe à Kinshasa. Et Riva, fanfaron et joueur, va flamber pendant trois jours, distribuant son fric à la volée, généreux et inconscient, brûlant la vie par les deux bouts, enivré par ce fric qui n’est que la revanche des plus humbles, et ensorcelé par une autre flamme, celle de la longiligne Nora aux cheveux rouges. Et tandis que la conquête de Nora s’avère semée d’un bon nombre d’embûches et autres maris mafieux, des gangsters angolais, caricaturaux et savoureux à souhait, se mettent à sa poursuite, et sèment la mort sur leurs passages.

Tout flambe dans Viva Riva !, tout y est plaisir et ivresse. On se brûle à cent à l’heure. On a « chaud » de corps, on danse à se brûler la peau, on fait péter le fric, l’alcool et les femmes, on se consume de désir. Ultra stylisées ou très réalistes, les séquences s’enchaînent, denses et saturées, à l’image des couleurs, par l’urgence de faire du cinéma - cet étonnant mélange engendre une sorte de film à moitié halluciné, qui semble se désigner lui-même comme une sorte d’hallucination cinématographique. Qu’il s’agisse des personnages types (mafieux, gangsters, femmes fatales, acolytes traîtres ou fidèles), de leurs tenues jusqu’à leurs répliques, qu’il s’agisse des figures de la mise en scène, ralentis langoureux sur les corps nus, flashbacks ou bagarres ultra violentes, qu’il s’agisse de la musique, omniprésente, enivrante ou angoissante, des scènes de danses et de foules, jusqu’aux gros plans et autres inserts, Viva Riva ! convoque tout un répertoire cinématographique qu’il rejoue sans se lasser, des blaxploitations à Scarface, des westerns aux polars, des comédies populaires aux films pornos… Et il se frotte parfois de très près aux clichés (cette scène de règlements de compte familial ou autres grivoiseries). Si Viva Riva ! n’échoue pas dans le pur mimétisme ou l’accumulation de citations, c’est qu’il est tenu non seulement par ce désir de cinéma, mais surtout qu’il s’achoppe sur la réalité qu’il filme, tenu par cet autre désir, plus grand peut-être, de filmer un pays, une ville et les corps qui la parcourent. Et dans la matière Kinshasa, le film réussit à se réinventer.

scène du film Viva riva! de Djo Tunda Wa MungaEt ce n’est pas la moindre de ses qualités, même si elle paraît évidente, que Viva Riva !soit tourné en lingala. Djo Munga a grandi et fait ses études de cinéma en Belgique, mais il vit et travaille depuis de nombreuses années à Kin… Car on dit Kin, comme un nom d’amour que l’on donne à une femme. Kin et son foisonnement, son bordel et ses combines, sa poussière, ses femmes lascives et ses gangsters, sa violence, sa corruption et la démerde, sa richesse et ses gamins qui rêvent et qui jouent… Kin est, par dessus tout, ce que Munga filme, comme la première des femmes, si belles et si fortes, qui traversent son film.

Serge Daney, à propos du film jamaïcain The Harder They Come s’interrogeait « À quoi reconnaît-on un film populaire ? » À ce qu’il comprend, selon lui, deux dimensions, « l’une de dénonciation, n’impliquant que le courage d’appeler un chat un chat, un flic un flic, la pourriture la pourriture. L’autre de carnavalesque : le peuple ne fait pas que lutter érigé ou que résister silencieusement, il parade aussi devant le pouvoir et il parade avec ce qu’il trouve sous la main (les formes culturelles ambiguës où il prend son plaisir : la musique, la mythologie, cette culture de masse qu’il impose et qu’on lui impose). » Riva (le beau et innocent Patsha Bay Mukuna), parade au nez des puissants, des riches et des mafieux, et tous les personnages secondaires aussi en veulent et se la racontent, se vengent, s’amusent, tiennent la tête haute et se défient, se jouent des codes et des lois – au risque, tous, de se brûler les ailes. Et c’est finalement le film lui-même qui fait la roue et tire la langue.

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