Il était une fois, dans une ville bientôt capitale européenne, l’utopie d’un quartier Nord où les buildings rivaliseraient en hauteur et en majesté, pour le plus grand bonheur de leurs résidents. Cette histoire, c’est celle des deux tours du World Trade Center bruxellois, fleuron du modernisme à l’américaine qui couronnaient le Little Manhattan belge dans les années 70. Précurseurs d’un projet gigantesque abandonné par la suite, ces immeubles n’ont finalement jamais réussi à attirer, laissant en grande partie les tours et leurs environs à l’abandon.
WTC, A Love Story de Lietje Bauwens et Wouter de Raeve
Que reste-t-il aujourd’hui de cette histoire? Et quelles leçons peut-on en tirer, alors que le propriétaire des tours procède depuis fin 2017 à leur démontage et à leur rénovation, pour - selon ses dires - une meilleure intégration dans l’espace urbain.
Lietje Bauwens et Wouter de Raeve, anciens résidents de la Tour 1 et réalisateurs de ce WTC, A Love Story, prennent part au débat à leur manière en interrogeant les acteurs du nouveau projet et en remettant en question les relations de pouvoir entre ceux-ci, au moyen d’un dispositif somme toute simple, mais éminemment intéressant.
Comment en effet démêler ces délicats jeux d’influences entre des profils très variés, parfois éloignés de la réalité du terrain? Pour ce faire, les cinéastes se prêtent au jeu de la reconstitution. Avec le concours d’acteur.rice.s professionnels mettant en scène les personnages réels de ce récit, ils réinterprètent les enjeux politiques, sociaux et architecturaux sous-tendus par ce réaménagement urbain dans une ville moderne et multiculturelle. L’intérêt du dispositif réside bien sûr dans l’interprétation faite par les acteur.rice.s de leurs personnages, mais aussi la réappropriation des argumentaires de ces derniers par les premiers. Une sorte de remise à zéro des points de vue, de retour à l’essence même des enjeux de chacun, qui souligne les points de concordance comme les contradictions. Alors que l’on aurait pu penser le procédé dirigiste, la vérité semble s’immiscer au milieu de la fiction au travers de cette sorte de serious gaming, où chaque acteur devient l’avatar de son alter ego pour démêler les différends et mettre en lumière des embryons de solutions.
Un exercice qui semble apporter autant à la réflexion globale qu’aux protagonistes de ce projet complexe.
Poussant la réflexion plus loin, Lietje Bauwens et Wouter de Raeve amènent un niveau supplémentaire d’échange en mettant face à ces résultats une autre couche d’intervenantes et intervenants, eux-mêmes réinterprétés par d’autres acteurs et actrices. Comme si au travers de cette deuxième distillation des points de vue, on pouvait aboutir à la meilleure version de l’avenir pour la nouvelle partition de cette œuvre collective.
Un œuvre architecturale dont les implications complexes et multiples résonnent dans un film tout aussi habilement construit. Et ce par les voix de son casting varié, et par celle de sa musique aux accents d’abstraction rappelant à la fois les lignes brutes et architecturales modernes, mais aussi la diversité qui fait partie de l’ADN de ce quartier. N’en déplaise aux initiateurs d’un design originel par trop détaché de sa propre réalité, WTC, A Love Story pose cette diversité sur la table, enjoignant autant acteurs du projet que spectateurs du film à remettre en question leur vision de ce que peut - ou plutôt ce que doit - être ce nouveau WTC, symbole d’une Bruxelles en constante évolution et tourné vers l’avenir.