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Xénia de Panos H. Koutras

Publié le 10/02/2015 par Edith Mahieux / Catégorie: Critique

Un hymne à l’enfance, aussi délirant que réaliste.

Standing ovation à la fin de la projection de 22h00 à Cannes. L’équipe de Xénia est très émue, et la salle ne l’est pas moins. L’univers magico-réaliste de Panos H. Koutras a touché les spectateurs en plein cœur. Beaucoup de Grecs sont là, manifestement fiers de leur réalisateur, et on les comprend. Car, à nous aussi, ce film a rappelé pourquoi on allait au cinéma : pour réfléchir et pour rêver.

photo du film XeniaEn Belgique, on a le réalisme magique et en Grèce, ils ont Panos H. Koutras. L’auteur de l’Attaque de la Moussaka géante, a toujours eu un goût pour les films déjantés. Mais depuis ce célèbre nanar, cultissime dans le milieu queer et chez les fans de séries B, le réalisateur s’est attaqué à des sujets plus sérieux. Strella, son dernier mélodrame, racontait la passion déchirante entre un ancien taulard à la recherche de son fils et sa voisine transsexuelle. Aujourd’hui, Xénia continue d’explorer ces questions de famille et d’attachement. Mais le long métrage retrouve le joyeux grain de folie que l’on adore.

Le jeune Dany, 16 ans, quitte la Crète pour annoncer à son frère, Odysseas, que leur mère est morte. Celui-ci l’accueille avec réticence. Lui qui était tranquille à Athènes, sans famille, le voilà à nouveau confronté à ce passé qu’il voulait oublier. Cependant, l’arrivée du petit frère tombe à pic : à bientôt 18 ans, Ody, est menacé d’expulsion. Or, Dany a une solution pour rester sur le territoire : tous deux Albanais de mère, il leur suffirait d’être reconnus par leur père grec qui n’a jamais voulu d’eux1. Commence ainsi une odyssée moderne d’Athènes à Thessalonique au cours de laquelle les jeunes frères partent à la recherche de « l’Innommable », dont ils attendent la salvation.

Sur le chemin d’Ody et Dany, les embûches sont nombreuses. Les deux jeunes « Albanais» doivent faire profil bas devant les rôdeurs extrémistes, ce qui est d’autant plus difficile quand, comme Dany, on a, en plus, « une tête de pédé ». Menacé par les fascistes, l’ado rebelle est aussi rejeté par son propre camp. Or, il ne se rend pas compte des problèmes que son caractère affirmé peut engendrer. C’est son aîné qui, peu à peu, va le guider et le protéger. La très belle relation de fraternité que tisse Koutras entre Odysseas et Dany est pleine de vérité. Les acteurs dont c’est le premier rôle, Kostas Nikouli et Nikos Gelia, nous confiaient d’ailleurs, lors d’une courte entrevue, que les répétitions ont duré plus d’un an, à raison de 4 fois par semaine. Le réalisateur souhaitait qu’ils deviennent de vrais frères dans la vie. Et c’est perceptible : leurs scènes d’intimité sont si justes qu’elles nous renvoient à nos sentiments les plus profonds.

photo du fiklm XeniaMais pas de pathos pur et dur. L’originalité du réalisateur est de placer son histoire sous le signe de l’humour et de la fraîcheur inventive de la jeunesse. Ainsi, dès que le jeune Dany a une marotte, il faut la réaliser. Le talent de chanteur qu’Odysseas a hérité de leur mère pourrait l’arracher à sa condition de serveur ! Le but des frères se dédouble : Thessalonique leur ouvrira aussi les portes du célèbre talent show, The Greek Star. La culture pop rejoint le mélodrame dans un imaginaire débridé, où selfies et lapin géant marquent leur route. L’on retrouve un petit quelque chose de Little Miss Sunshine, dans ce road-movie à la course vers la gloire.

Enfin arrivés, vont-ils finir par se faire accepter par leur propre pays ? La symbolique du film est très forte. L’absence du père et de la mère renvoie à celle de la Grèce toute entière qui délaisse ses enfants. Qu’a-t-elle à leur offrir si ce n’est une terre en état de crise, où les extrémismes montent et les repères s’effritent ? Il ne reste, pour trouver refuge, que les ruines d’un hôtel de luxe dans lesquelles résonne la musique italienne des années 70. Cette scène magnifique donne le titre au film. Sur fond de « Rumore », les deux frères en fuite dansent à perdre la raison dans un des vestiges de la chaîne Xénia. « Xénia », ou en grec ancien, l’« hospitalité », qui semble leur être refusée mais sans laquelle, malgré tout, ils gardent leur joie de vivre.

En 1973, Fellini signait Amarcord. Il se souvenait de son enfance et un paquebot illuminé faisait rêver un village entier. 40 ans plus tard, c’est au tour de Panos H. Koutras de revenir sur sa jeunesse pour l’immortaliser à jamais. Le paquebot est toujours là, mais cette fois, il transporte la diva Patty Pravo, grande star des shows tv italiens. Le rêve finira t-il par se transformer en réalité ?


1 En Grèce, le droit du sang prime sur le droit du sol.

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