Panos H. Koutras présentait le joyeux Xénia à Cannes en mai 2014. La sortie de la co-production européenne, entre la Grèce, la France et la Belgique, est annoncée pour le 19 février 2015 dans les salles belges.
Xénia de Panos H. Koutras,
Cinergie : Vos personnages sont-ils à votre image ?
Panos H. Koutras : À l’origine de ce film, il y avait mon désir de parler de mon adolescence avant de l’oublier. Comme tout le monde, je vieillis, et j’avais cette peur d’oublier ce que c’était qu’être jeune. Or, la jeunesse a été un moment décisif dans ma vie : j’étais un adolescent rebelle, un punk. J’ai vécu intensément. Je voulais parler de tout cela avant qu’il ne soit trop tard.
C. : Vous aviez donc la ténacité et la fraîcheur de Dany ?
P. K. : Je l’avais, oui. C’est la seule chose qui me rapproche du personnage. C’est un fonceur avec un grand côté créatif. Dany se cherche dans une folie propre à la jeunesse en général. Sortir un revolver n’est pas « the right thing to do » ! Il est perdu, et cela le rend aussi troublant que troublé. S’il n’y avait pas son frère, tout pourrait basculer pour lui.
Cependant, contrairement à mes protagonistes, je suis un émigré de luxe. À l’âge de 17 ans, j’ai eu la chance de pouvoir partir de Grèce pour faire mes études de cinéma à Londres. Après cela, j’ai vécu longtemps à Paris. Mais j’avais envie de parler d’émigration, car, comme eux, je sais ce qu’est le sentiment d’être étranger.
C. : Xénia est un film très joyeux. Vous aviez traité l’autre face de la médaille dans Strella, un mélodrame beaucoup plus sombre. Un thème les rapproche pourtant : la quête d’une famille, d’une autre forme de famille. Est-ce un sujet qui vous tient à cœur ?
P. K. : La famille, c’est primordial, tant d'un point de vue négatif que positif. En Méditerranée, la famille est centrale dans la structuration de la société, bien plus que dans les pays du Nord. Dans mon film, la mère pourrait être italienne, juive israélienne ou grecque.
En tant que gay et garçon rebelle, je me suis entouré d’acolytes et d’amis que j'ai choisis et qui m’ont choisi pour former une union contre l’adversité. Il ne faut pas être seul dans la vie. Le monde est hostile, et il est toujours plus facile de se battre à deux, à trois ou à quatre. C’est pour cela que je tiens beaucoup à cette idée de famille.
C. : Il y a ce désir très puissant d’une famille à reconstruire dans votre film, mais il y a aussi l'idée du vide, l'idée de l’absence du père et de la mère.
P. K. : Mes deux protagonistes, Dany surtout, sont des enfants qui ont eu une enfance perdue, comme beaucoup d’enfants à notre époque.
Je trouve cela très dur pour un enfant d’assumer le rôle d’un grand. Odysseas le montre bien quand il demande à Dany pourquoi il aurait dû rester avec sa mère si c’était pour la mettre au lit tous les soirs et pour prendre soin d’elle. En effet, c’était le rôle du père, du mari, pas des enfants. Or, quand cela arrive, tu mets trop de choses sur les épaules d’un gamin. C’est là où Odysseas refuse et part. Quant à Dany, il fuit dans l’imaginaire. Il prend pour ami un lapin. Il mange des sucettes, porte les chaussures rouges de Dorothy du Magicien d’Oz : il construit sa vie, son monde.
C. : Les animaux sont très présents dans votre monde imaginaire. Est-ce que cela a été compliqué de tourner avec un vrai lapin ?
P. K. : J’adore les animaux, ils ont toujours été, pour moi, le miroir de l’être humain. De plus, ils font partie de l’imaginaire des enfants. La première chose qu’un enfant apprend, c’est le nom des animaux.
Quant à tourner avec un lapin, laissez-moi vous raconter une anecdote. Un lapin d’animalerie, si tu le mets dans le sac, il reste dans le sac. Il ne bouge pas. C’est un animal très peureux. C’était donc très difficile de le faire sortir pour le besoin des différentes scènes. Mais pour la séquence où il court dans le gazon, il nous est arrivé quelque chose digne de ces vidéos que les gens postent sur you tube. Au moment même où on a posé le lapin sur l’herbe verte pour la première fois de sa vie, il s’est mis à courir comme un endiablé. Il a fallu qu’on se mette tous autour de lui parce qu’on avait peur qu’il s’enfuie à tout jamais. C’est drôle comme la nature peut reprendre ses droits.
C. : Aussi bien dans votre langage visuel que dans le contenu, votre cinéma est un mélange d’éléments pop et d’éléments tirés d’une culture cinéphile très fournie. Cela forme un tout complexe. Est-ce un enjeu pour vous d’entremêler ces deux niveaux ?
P. K. : Ces deux niveaux, c’est moi, c’est ma personnalité. Je viens d’une génération où la culture pop était très forte. J’ai grandi dans les années 70, et j’aime rappeler qu’Andy Warhol est une de mes icônes, que le rock’n’roll et le punk m’ont forgé. Mais dans cette culture, je peux intégrer aussi bien Jean Genet que Shakespeare, aussi bien le cinéma que Marx, je peux tout intégrer. Comme la mythologie grecque qui n’est pas quelque chose d’académique, mais une culture très populaire.
J’ajouterai aussi que je suis issu de la culture gay. Tout le monde me compare à Almodovar. C’est vrai que c’est un cinéaste que j’admire énormément, mais il ne m’a pas influencé. On partage juste la même culture. Ainsi qu’avec Fassbinder. Ma thèse de la Sorbonne, je l’ai faite sur les mélodrames américains de Vincente Minelli, Nicholas Ray et Douglas Sirk. Ce n’est pas un hasard.
C. : Patty Pravo, la diva de la Canzonissima (émission télévisée italienne très populaire des années 60-70), est omniprésente dans le film. Pourquoi avoir choisi de donner une place aussi importante à la chanson italienne ?
P. K. : Tout d’abord, j’aime parler des choses qui nous touchent tous. Les émissions télévisées, les talent show, les peluches... Je suis fasciné par ce langage commun qui échappe aux cultures car il parle à tout le monde.
Patty Pravo est apparue comme une évidence à mes yeux. À l’époque, la Grèce n’était pas un pays très riche, donc on ne faisait pas encore de productions musicales. Canzonissima et Milleluci avaient été achetées par ERT. Or, en Albanie, pendant le communisme, la seule chose qui traversait la frontière fermée, c’était la RAI. Tous les parents de mes acteurs écoutaient Patty Pravo et la musique italienne. Tout se lie ! À ce moment-là, l’Albanie, la Grèce et l’Italie avaient une culture commune.
Pour moi, c’était ça, parler d’émigration. C’était tisser des liens et prendre de la distance. C’est un sujet qui me passionne, car c’est la grande tragédie de notre ère. Il faut faire quelque chose. Ça devient et deviendra de plus en plus sérieux et dramatique.
C. : Une petite question belge : comment s’est passé la coproduction entre la Grèce, la France et la Belgique ?
P. K. : Je suis un peu un homme-orchestre. J’écris, je produis et je réalise. Quand j’écris, je ne pense pas. J’ai commencé à écrire en 2008 et entre-temps, la crise est arrivée. Il m’a fallu commencer à chercher des fonds dans cette ambiance tendue. J’avais déjà des relations avec la France et heureusement, notre coproducteur grec avait des relations avec Entre Chien et Loup.
C’est ainsi qu’on a mis en place un financement européen, la Belgique nous a gracieusement apporté le Tax Shelter et les subsides de la Commission du Film de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Mais nous n’étions pas au bout de nos difficultés. Un an après, en plein milieu du tournage, est arrivé la faillite de ERT (le groupe audiovisuel public grec NDRL). Un moment critique qui menaçait le film. L’argent s’envolait d’un coup. Et là - j’en suis vraiment reconnaissant à tous les producteurs - ils ont tous décidé de continuer.
C. : Votre film a un aspect documentaire très réaliste. Il y a du vécu, du senti et du réel. Y-a-t-il quelque chose de nouveau dans votre rapport au cinéma ?
P. K. : J’ai toujours fait ça : c’est ma perversion. J’adore avoir des histoires ancrées dans un réel absolu, j’en ai besoin pour rebondir dans le fantastique. C’est pour ça que j’insiste : le transsexuel est un vrai transsexuel, Kostas Nikouli et Nikos Gelia sont de vrais Albanais. Quand je tourne la rafle des fascistes, c’est vraiment l’endroit où ils font la rafle. C’est très important pour moi. Tout cela, c’est une réalité en Grèce. C’est vraiment comme ça.
On m’a demandé si je faisais un film politique. Non, ce n’est pas un film politique dans son sujet, mais le fait de faire ce film, c’est un acte politique, de même que le choix des acteurs.