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Baden Baden de Rachel Lang

Publié le 09/05/2016 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Histoire d’eau

Les duos récurrents acteur-cinéaste ont produit des miracles dans toute l’histoire du cinéma, Léaud /Truffaut, Amalric/Desplechin en France ou Depp/ Burton aux Etats-Unis, comme si le comédien était une sorte d’extension du réalisateur, peut-être plus affranchie, plus libre, capable de transcender le réel et de franchir les limites...
Il faudra à présent compter sur un duo de femmes de choc – chose plus rare – celui de Rachel Lang et Salomé Richard.
Le court-métrage Pour toi je ferai bataille tourné par Rachel Lang en 2010 avec Salomé Richard, a conduit à un deuxième (Les navets blancs empêchent de dormir) puis à ce tout nouveau long-métrage, Baden Baden, un bijou ciselé de finesse et de fantaisie qui met, pour la troisième fois en scène, le personnage d’Ana : mi Rachel, mi Salomé ?

Lazare Gousseau et Salomé Richard

 

Dans Les navets blancs empêchent de dormir, la jeune et jolie Ana essayait plutôt mal que bien de se dépêtrer de son histoire d’amour avec Boris : le genre artiste ténébreux volage qui part acheter des clopes le soir et rentre au petit matin.

Dans Baden Baden, un personnage de femme au même prénom, Ana, revient après un séjour en Angleterre dans sa ville natale, Strasbourg. Là, plusieurs personnages du passé l’attendent, sa grand-mère qu’elle adore et chez laquelle elle se réfugie, son meilleur ami-amant musicien Simon, et surtout son amour, le premier, le plus grand, celui qu’elle a visiblement voulu fuir et qui hante le film de ce prénom et de ce nom énigmatique qui reviennent comme une rengaine entêtante : Boris Ozynsky. C’est qu’il prend la tête, Boris ; artiste, romantique, lyrique, excentrique. Il se jette des bateaux-mouches, saute comme un lynx sur les gens, jette ses 4 vérités puis évite, louvoie, esquive, abandonne pour réattaquer de plus belle. Ana, elle, est plutôt du genre sans genre, elle se balade dans des shorts et des t-shirts informes, fait des excès de vitesse au volant d’un coupé sport à moitié volé, arbore une coupe de cheveux maison, saute sous la douche sur son meilleur ami, et n’hésite pas à demander son « 06 » à un parfait inconnu… À la fois paumée et résolue, excessivement gracieuse et pataude, Salomé Richard déploie des tonnes de nuances et campe un personnage d’une profondeur étourdissante.

Salomé Richard et Swan Arlaud

 

Et ce personnage colle au cinéma de Rachel Lang qui est un concentré du cinéma que l’on admire. C’est l’amour absolu désinvolte et dépressif comme chez Desplechin, des échappées oniriques qui donnent accès à l’intériorité des personnages que l’on rencontre chez Podalydès, des scènes burlesques récurrentes dignes de Tati. C’est aussi l’amour du verbe, une forme de théâtralité spontanée, un cinéma littéraire mais dont le naturel et les répliques qui claquent ôtent toute pédanterie.

Et l’histoire d’Ana se déploie, souvent sous forme de vignettes aux cadres très graphiques, de petites saynètes réitirées, courts-métrages à elles seules comme ces scènes de salle de bain que Salomé Richard partage avec le très décalé et charmant Lazare Gousseau (Grégoire). Car le grand projet dans la vie d’Ana est pour l’instant de démolir la baignoire de sa grand-mère pour la remplacer par une douche, projet un peu particulier jugé absurde par sa mère mais qu’elle mènera à bien grâce à Grégoire rencontré dans un supermarché pour pro du tuyau. Le titre de départ Seule comme une baignoire (Ana fait du carrelage) montre à quel point ce chantier n’est pas anecdotique mais bien emblématique pour qu’Ana puisse se réaliser, s’incarner et trouver sa place dans le monde. Sans pour autant abandonner la métaphore de l’eau, le nouveau titre choisi, Baden Baden prend de la distance avec le réel et correspond parfaitement à ce que propose le film : un morceau de poésie. Mais chez Rachel Lang, la poésie ose flirter avec l’onirisme, le réalisme, le lyrisme et parfois même une joyeuse trivialité.

À l’instar de son personnage, Rachel Lang affirme une personnalité décoiffante et complexe qui risque beaucoup et ne se cantonne pas à un genre. En frayant la voix d’une douce utopie à travers une quête individuelle, elle signe un film contemporain qui met en partage les affects, des inquiétudes et les élans qui nous concerne tous. Et le film possède un tel charme et une si farouche énergie que l’on oublie toutes ses fragilités pour n’en garder qu’un durable enchantement.

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