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Mon légionnaire de Rachel Lang

Publié le 10/11/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

L’autre côté

Second long-métrage de Rachel Lang en compétition officielle au Festival du Film Francophone de Namur, Mon Légionnaire a tout pour surprendre. A priori, il n’a pas grand-chose à voir avec son premier film Baden Baden un film doux, drôle et un tantinet surréaliste qui racontait l’émancipation d’une jeune femme. Présenté à la dernière Quinzaine des réalisateurs, porté par des acteurs de renoms (Louis Garrel, Camille Cotin,...), filmé dans une pluralité de décors, plutôt choral, Mon Légionnaire pourrait presque faire figure de poids lourd du cinéma français. Loin de la légèreté donc de ce premier film. Et dans un registre bien plus grave : celui de la Légion étrangère.

Mon légionnaire de Rachel Lang

Alors certes, on pense à Claire Denis et peut-être que l’apparition de Grégoire Colin est une sorte de clin d'œil à Beau travail. Tout comme la dernière scène l’évoque irrémédiablement. Mais ce n’est pas ce désir troublant entre ces hommes liés par le sang, le danger, la peur, la mort qu’est allé filmer Rachel Lang. Bien sûr, elle capte les liens qui se tissent entre eux, de plus en plus forts au fil des missions mais la mort, les tirs, le champ de bataille, elle les évoque seulement à travers Maxime, qui commande ses troupes, les suit de loin, les envoie en mission, doit les abandonner, les récupérer, les soigner. Tout se passe hors champ dans le désert de sable malien où la menace plane tandis que Maxime reste en ligne avec son commandement. Si elle est toute proche, la mort est de l’autre côté des dunes.

 

Cet hors champ est le cœur du film de Rachel Lang. Pour ces hommes, il est la matière même de leur vie, l’espace de leurs douleurs et de leurs effrois. Par lui, la mort arrive. Pour leurs compagnes restées en Corse, ce lointain est non seulement redoutable parce qu’ils peuvent ne jamais en revenir mais aussi parce qu’ils n’en reviennent jamais tout-à-fait. C’est cet impossible partage, cette ligne infranchissable que Lang s’emploie à filmer dans ces effets, ces silences, ces troubles sur deux couples. L’un est beau, jeune, fragile. Et tandis que Vlad parle le langage de l’armée, Nika, venue le rejoindre, apprend elle le français. Leur langue n’est déjà plus la même. L’autre couple, plus solide et plus expérimenté, se construit autour d’un enfant et d’une famille, et lutte contre ce qui peut les séparer. Dans un savant ballet qui met sans cesse en regard le monde des hommes là-bas dans le sable de la mort et le monde des femmes ici qui attendent, rêvent, pleurent, le film tisse le récit d’expériences impossibles à partager et suit les ravages du silence, cette ombre portée sur tout par ce qui hante à jamais. Si au début du film, Nika rêve de Vlad qu’elle va rejoindre, Vlad, lui, se retrouve dans les bras de Maxime aux dernières images du film, là où le partage d’expériences limites ne peut s’éprouver que dans la chair d’un temps partagé.

 

Ce monde des soldats entre eux, Rachel Lang le connaît bien. L’un de ses courts-métrages (Pour toi je ferai bataille) s’y intéressait déjà et elle-même est réserviste dans l’armée. Son film en acquiert un véritable aspect documentaire qui lui confère son aplomb et son sérieux. Car le sujet est grave, la vie de ces hommes et de ces femmes est en jeu. Sur cette question cruciale de la place et du rôle de l’armée dans notre société, le film s’en sort par une discussion, qui nous laisse un peu sur notre faim, lors d’un repas où Maxime est passé à la question par ses proches. Le pourquoi de tout ça, qu’il s’agisse de la fonction de l’armée ou de la motivation de ces soldats, est plutôt laissé dans le hors champs lui aussi. Heureusement, le personnage de Céline, l’épouse de Maxime, par sa distance et son ironie, réussit à nous faire prendre un peu l’air. Sans elle, et sans la fraîcheur radieuse d’Ina Marija Bartaité qui interprète Nika, la gravité prendrait le risque de la lourdeur et le film celui d’un certain académisme. Si pour un second long-métrage, le pari était risqué, il est réussi. Mais sans véritable surprise finalement.

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