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42e Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand (31 janvier au 8 février 2020)

Publié le 09/03/2020 par Thierry Zamparutti / Catégorie: Événement

On a eu chaud ! À quelques jours près, le COVID-19 aurait probablement anéanti tout espoir de record de fréquentation lors du plus gros festival de courts-métrages au monde. Il n’en fut donc rien et sa fréquentation a atteint son plus haut plafond. Cela ne s’arrêtera pas là grâce à l’ouverture de deux nouvelles salles de spectacle d’ici l’an prochain qui devraient permettre au plus fort de l’événement de ne plus refouler une grande partie des spectateurs et des professionnels de bout de file. En effet, c’est une des qualités du festival, chacun est sur un pied d’égalité afin d’atteindre le Graal : une place ! Nous avons ainsi vu de petits groupes solidaires renoncer à se disperser ou à tirer au sort en leur sein les heureux gagnants et préférer s’en retourner totalement bredouilles faisant la joie des suivants plus souples ou célibataires dans l’instant.

Celles et ceux de Belgique qui s’y sont promenés sont venus de toute part et ont signé de leur personnalité des actes très significatifs tantôt dans le Jury International, tantôt dans les sélections officielles ou les programmes annexes grâce à leurs œuvres, ou encore ont transpercé d’un coup de ciseau et découpé le panneau promotionnel du stand de Wallonie Bruxelles Image au Marché du film, coup de sang rageur et vengeur pour dénoncer la non-attribution d’une aide à la production par la Commission de sélection. Et au final, les Belges se sont parsemés tout au long du palmarès. N’est pas belge qui veut !

Ce n’est pas Olivier Smolders qui nous contredira, lui, qui dans ce début d’année, fut au four et au moulin, beaucoup à Paris au Centre Wallonie-Bruxelles pour l’exposition Démons et Merveilles, Critique de la raison pure avec son frère Quentin et pour le cycle Plein Feux sur Olivier Smolders qui donne à voir ou revoir l’intégralité de ses films ; beaucoup à Clermont-Ferrand mal ou bien pris – c’est selon – dans le Jury International, d’où il a vu 80 films et ses yeux se transformer en quiquines de poupousse.

D’autant que les organisateurs ne cachent pas leur Adoration (1987 – N/B – 15’, premier de ses films inscrit, sélectionné et primé au Festival) pour ce réalisateur, véritable court-métragiste surprenant, original, atypique, glorifiant le court-métrage en tant qu’œuvre à part entière, et forcément l’ayant sous la main - ce qui tient de l’exploit - lui ont organisé Courts de rattrapage en deux programmes, une Masterclass ouverte au public, une exposition et… la remise d’un Vercingétorix d’honneur.

Acte significatif suivant : un Grand Prix International pour Da Yie (Bonne nuit) de Anthony Nti. Une fiction de 21’ coproduite entre le Ghana et la Belgique où deux jeunes africains suivent naïvement un étranger charismatique en grosse voiture, vont découvrir la mer et les plaisirs faciles jusqu’à la fin de la journée où cette rencontre va s’avérer être un guet-apens. Ignorant encore les véritables intentions des adultes qu’ils rencontrent mais percevant la situation malsaine et dangereuse, ils sont finalement soutenus par celui qui les y a amenés et qui se sacrifie pour leur permettre de se sauver. Les jeunes acteurs qui interprètent Mathilda, plutôt garçon manqué prêt à tout, et Prince, plus timoré mais admirateur de la première, sont redoutables d’efficacité.

Puis, dans la Compétition Labo, le film Zombies de Baloji a reçu les honneurs des trois représentants de festivals de cinéma de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, membres du réseau Festivals Connexion regroupant 53 festivals. Le film belgo-congolais présenté sous forme de film musical dont les morceaux sont issus de son dernier album nous fait découvrir un univers africain occidentalisé, halluciné, déroutant et saturé de couleurs sorties tout droit de l’univers de ce réalisateur, scénariste, compositeur et interprète. Le propos est assurément politique et critique envers la République démocratique du Congo et le continent africain et le regard de Baloji confirme qu’en un mot comme en cent, il est un artiste engagé.

Dans la même catégorie, l’ancienne diplômée de Sint-Lukas Brussel et de la Bristol School of Animation of the University of the West England, Soetkin Verstegen, a reçu le Prix Spécial du Jury pour son animation expérimentale de 5’ Freeze Frame. L’idée du film était de faire du stop-motion avec de la glace. Elle s’est appliquée à respecter les techniques du début du cinéma prétendant que l’arrêt sur image en était la technique la plus absurde. On peut imaginer que traiter une animation avec des glaçons ne s’est pas fait dans une chaufferie… La fonte des glaces a en tout cas permis de réchauffer quelques animaux enfermés dans les blocs glacés, un lapin par-ci, un insecte par-là.

Parmi les primés de la Compétition Nationale, ce qui inclut des coproductions entre la Belgique et la France, on retiendra la belle performance de Traces, une animation de 13’ de Hugo Frassetto et Sophie Tavert Macian. C’est une production d’Arnaud Demuynck regroupant ses deux sociétés Les Films du Nord (France) et La Boîte… Productions (Belgique). Le Prix du Meilleur film d’animation francophone est remis par un binôme de représentantes du secteur de l’animation au sein de la SACD. Hugo Frassetto est du pays clermontois où il a suivi une formation avec succès aux Beaux-Arts avant de s’en aller à la Poudrière. La technique qui est utilisée pour Traces va de pair avec le sujet. La peinture et le sable animé nous projettent 36.000 ans en arrière, dans les gorges de l’Ardèche. On fait ce voyage dans le temps pour suivre des chasseurs et des chassés qui se dessinent dans les grottes. Le tout est soutenu par une bande son très prenante.

Enfin, une catégorie compétitive assez récente est destinée aux plus jeunes. Les films pour le Jeune Public ont fait salles combles et il fallait se presser pour les quelques séances organisées pour le grand public, c’est-à-dire les familles en général, les autres étant très largement réservées aux écoles. Dans cette compétition, un jury composé par les élèves de 5e du Collège Gérard Philippe de Clermont-Ferrand, qui dispose d’une section cinéma, a choisi le Coup de Cœur Canal + Family qui est allé à une animation franco-roumaine OPINCI d’Anton et Damian Groves. Le film raconte un voyage réalisé par 4 jeunes explorateurs autour du monde sous forme de conte restant borderline entre réalité et imaginaire. En parallèle avec ce prix, une Bourse était donnée à un(e) auteur(e) pour son talent graphique notamment et sa capacité à raconter des histoires destinées aux enfants. La Maison d’édition La Poule qui pond a primé Lia Bertels pour son court-métrage documentaire entièrement réalisé en animation On est pas près d’être des super héros où des enfants de 7/8 ans racontent les questions existentielles qu’ils se posent à ce moment de leur vie, au passage à l’âge de raison, voyageant entre imaginaire et réalisme tantôt interpellés par la magie de l’électricité, tantôt subjugués par les planètes et les étoiles. Cette coproduction entre la Belgique, le Portugal et la France a mis 8 années avant d’aboutir à une version de 12’17’’ qui est visible sur BeTV depuis février. Avec cette Bourse, une histoire pour enfants de Lia Bertels sera éditée et présentée en avant-première lors de la prochaine édition du festival.

Pour terminer, nous ne pouvons oublier le formidable hommage rendu à l’artiste néerlandais ROSTO disparu trop tôt en mars dernier à 50 ans des suites d’un cancer. C’était un type génial, hors du commun, dont on pouvait aimer ou pas l’univers mais jamais rester insensible. Il tirait ses idées de sa forte personnalité visitant des mondes étrangers qu’il créait dans sa tête comme s’il y vivait, inspirés de son enfance et de sa jeunesse et constamment recouvert de musique rock. Il y invitait la plupart de ses propres compositions musicales jouées par son groupe devenu virtuel, les Thee Wreckers.

Il n’avait pas d’équivalent en ce qui concerne la complexité de son œuvre. L’ensemble des techniques qu’il utilisait voire mettait au point créait un monde d’images réelles et de synthèse, d’animation 3D, en volume, en motion capture…nous plongeant dans un cinéma cérébral en partie autobiographique.

L’hommage fut organisé avec la collaboration très étroite de son ami, le producteur de ses quatre derniers films et son distributeur Nicolas Schmerkin avec sa société Autour de minuit (Paris). Celle-là même qui sort en France ce 4 mars la Tétralogie de Rosto conçue comme un cadavre exquis (l’épisode suivant démarre là où s’est terminé le précédent). Les coproducteurs belges Geert Van Goethem et Linda Sterckx de S.O.I.L. (Sight Of an Ignored Landscape) se trouvent au générique pour avoir participé à un des films (Splintertime). C’était l’occasion de montrer également en avant-première le coffret Mind My Gap, un roman graphique initialement en ligne devenu un bel objet physique à titre posthume finalisé après une quinzaine d’années de travail.

www.clermont-filmfest.org

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