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43ème Festival du court métrage de Clermont-Ferrand

Publié le 15/03/2021 par Thierry Zamparutti / Catégorie: Événement

Ou comment vivre un festival 100% online en étant sur place !

Je me souviens qu’à la même période, en 2020, je soulignais la chance (aujourd’hui considérée comme presque incroyable) que le Festival de Clermont-Ferrand, le plus gros festival de courts-métrages au monde, ait pu se tenir en présentiel et se clôturer avec 170.000 entrées au bas mot. J’avais alors omis que les Chinois étaient personae non grata en France. Le Festival avait dû s’y résoudre.

Une année plus tard, son catalogue physique était conçu pour satisfaire à deux options : soit un festival hybride avec des séances dans un nombre limité de salles, soit une version totalement dématérialisée. Deux équipes de l’organisation Sauve qui peut le court coordonnaient conjointement ces deux possibilités jusqu’à ce que le couperet tombe début janvier : « Les salles de spectacles ne rouvriront pas dans l’immédiat ». En arrivant à Clermont-Ferrand, je n’ai pu que constater une devanture du bâtiment abritant la plus grande salle, Jean Cocteau – le pauvre a dû se retourner dans sa tombe - totalement déserte ou alors investie de 10.000 fantômes, autant d’auras de spectateurs déçus ne sachant où aller, perdus, fatalistes, résignés ou secrètement en colère.

Festival de Clermont-Ferrand 2021

En face, il y avait pourtant un lieu qui tenait bon, qui devenait le symbole de l’existence en partie physique du Festival : sa Boutique. Sa responsable y voyait avec bonheur un grand nombre d’aficionados débarquer jusqu’au milieu de la semaine achetant goodies et catalogues afin de compenser mentalement une désespérance de confinés devenue bien trop longue. À deux reprises, j’y ai vécu un instant de festivalier avant de ressortir dans un monde vide et d’être à nouveau interpellé par un ressenti très curieux d’être « ailleurs ». En tournant la tête à droite : l’Univers, brasserie connue des professionnels pour s’y rassembler dès la clôture du Marché du Film, avait été transformée en partie pour répondre à la concurrence de la nouvelle grande Brasserie qui devait remplacer l’ancienne de la Gare qui fut démolie, lieu culte de la fête clermontoise durant le Festival.

Alors, faire ces 700 kms, après avoir rempli la déclaration obligatoire de déplacement professionnel, était-ce un acte masochiste ?

Cela m’était nécessaire à plus d’un titre : depuis 1999, je n’ai pas raté une édition du festival, je n’allais pas rater celle-ci, exceptionnelle, et courageuse. J’aurais pu regarder les films de chez moi via la plateforme professionnelle www.shortfilmwire.com. Une tuerie, cette plateforme !! Pour toute personne ayant un tant soit peu le goût du court. Dès la page d’accueil, vous êtes prévenus : 159.249 courts-métrages et 194.420 contacts à l’heure de ce billet. Pour 60 € et une justification professionnelle, vous entrez dans le Temple. Durant le Festival, vous pouvez accéder à ce que vous voulez en VO sous-titrée en anglais. Un petit bémol pour moi lorsque le film est trop bavard ou non sous-titré parce qu’anglo-saxon à la base et l’irlandais ou l’américain, très peu pour moi.

À l’inverse, cela ne posait aucun souci à notre membre américano-belge du Jury International, Bérangère Mc Neese, qui finalement n’a pas fait le déplacement en raison de l’obligation d’une quarantaine de 10 jours qu’elle aurait dû subir à son retour de France alors qu’elle est actuellement en tournage. Auteure, comédienne, réalisatrice et productrice, la maman du magnifique Matriochkas aura vécu une « petite » expérience mais un grand palmarès. J’y reviendrai.

 

Bérangère Mc Neese

Bref, alors qu’il devenait clair que je ne pourrais pas visionner chez moi 31 séances de cent minutes en moyenne pour raisons familiales, que l’abonnement Grand Public offrant le sous-titrage en français était à 12 € mais géolimité à la France, le déplacement devenait évident. Heureusement, car l’accès pro fut tout simplement victime de son succès. Calibré pour 500 connexions simultanées, il en a reçu 2.000 !! Ce qui a stressé les techniciens forcés de pallier à sa lenteur, ses bugs et plantages momentanés en urgence.

C’est donc, de Champeix, hébergé chez un couple de retraités fidèles abonnés depuis la création du festival, que j’ai pu apprécier les trois compétitions dont la 20e édition du LABO. Avec l’avantage de visionner par moments sur un grand écran de télévision, certes en comité restreint.

Ce programme de 26 films m’a globalement enthousiasmé avec une recrudescence de documentaires expérimentaux et parmi ceux-ci le franco-belge Traquer de Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert. Ce film autobiographique confronte Noëlle à François Bastin, son cousin plus âgé, chasseur expérimenté. D’emblée, il a suscité la polémique. Ce qui m’avait plu, en a hérissé plus d’un. Probablement, la réalisatrice a-t-elle trop insisté sur l’engagement « armé » des antagonistes, lui de sa carabine, elle de sa caméra. Elle semblait effectivement et paradoxalement molle dans ses objections face à la passion violente et destructrice de son cousin, mais je n’ai pu m’empêcher de ressentir une certaine tendresse quant à la relative naïveté qui pouvait en découler. La confrontation nous plante deux opinions irréconciliables. En 40’, filmés parfois en temps réel, on appréhende le cœur même de la chasse. On est dans le silence de l’approche et, parallèlement, le dialogue s’inscrit en titres en milieu de l’image, ce qui lui donne un caractère particulier où les divergences ne se font pas sur un ton plus haut que l’autre.

Un autre documentaire, animé, me touche de plein fouet : Maelbeek. Ismaël Joffroy Chandoutis nous plonge intelligemment dans l’horreur de l’attentat commis le 22 mars 2016 dans le métro bruxellois. À partir des caméras de surveillance, il nous met dans la peau d’une victime en recherche de mémoire. C’est comme un thriller mené tambour battant avec comme angoisse la découverte de la dernière image avant l’explosion, la dernière image où Sabine se voit assise. Le film a obtenu le Prix du Public et celui des effets visuels.

 

Maelbeek d'Ismaël Joffroy Chandoutis

À noter également la sortie d’un coffret Blu-ray LABO 20e ANNIVERSAIRE coproduit par AUTOUR DE MINUIT qui reprend parmi les meilleurs films primés l’excellent Swatted du même réalisateur que Maelbeek, Reruns du regretté Rosto, Petite Anatomie de l'image d’Olivier Smolders,… blog.autourdeminuit.com/dvd/

Avant de vous emporter vers la Compétition Internationale, évoquons le nouveau rôle important des télévisions dans les éditions online de festivals. J’ai croisé de nombreux panneaux en pré-film de remerciement à l’une ou l’autre chaîne TV. De fait, leurs contrats sont contraignants avec des exclusivités de diffusion qui peuvent être de plusieurs mois, voire années. Jamais auparavant, les chaînes n’entraient dans le processus de diffusion en salles de festivals. Avec leur fermeture, les festivals doivent montrer patte blanche quant à leur choix de diffusion online. Si un film se voyait largement diffusé en dehors d’un territoire et d’une période donnés, cela mettrait le contrat entre la production/la distribution et la chaîne en porte-à-faux, et rendrait caduque tout espoir d’achat ultérieur. Je trouve que c’est un faux problème eu égard la diffusion en général très tardive de ces films sur les chaînes, mais cela reste un argument de défense des acheteurs de courts auprès de leur direction pas toujours encline à conserver ce format dans leur programmation, ou à le financer.

C’est notamment une des raisons pour lesquelles 14 films de la programmation étaient limités aux 3.000 premières vues. Il fallait donc être au taquet.

Il est également utile de rappeler que ce reflet de la production mondiale n’oppose pas nécessairement des films de qualité comparable. Et c’est bien ainsi ! Il serait malheureux de consacrer une telle sélection qu’aux meilleurs sans tenir compte des spécificités culturelles, économiques, géopolitiques des lieux de création. Ainsi, le Festival procède par quotas parce qu’il peut ne recevoir que quelques films d’Iran et des dizaines du Royaume-Uni. En prenant soin de garder ce qui lui semble le plus représentatif, il donne la chance aux films des pays moins prolifiques de circuler et au public de les découvrir.

Ainsi, notre présence reste limitée à un peu plus d’une paire de courts métrages par an. Pour cette édition, furent sélectionnés : Chienne de Bertille Zéonobie Estramon réalisé à l’IAD et dont c’était la première mondiale ; Boulot de nuit de Yordan Petkov et Eddy Schwartz, une production franco-belgo-bulgare où s’est investie Delphine Duez de White Boat Pictures et Sprötch du prolifique Xavier Seron ou l’occasion rêvée pour regretter le grand écran.

 

Sprötch de Xavier Seron

On ne rit pas à trois comme on rirait à 1.400. Le cinéma reste un lieu irremplaçable pour vivre un étalement d’émotions. Et placé en fin de séance, il aurait certainement fait l’unanimité. Malheureusement pour nous, le Prix du Rire Fernand Raynaud est allé à Badaren (Le Nageur) du Suédois Jonatan Etzler. Il n’a pas démérité en adaptant un fait divers où deux policiers ne pouvant pas aller réglementairement à l’eau eurent les plus grandes peines du monde à faire sortir un suspect d’une piscine municipale. Une autre comédie Affairs Of The Art de Joanna Quinn obtint le Prix du Meilleur Film d’Animation. Cette production qui mêle le Canada, le Royaume-Uni et le Pays de Galles nous présente de manière savoureuse ce que peut être l’obsession chez une passionnée de dessin où toute la famille tente de se gérer de manière déjantée. La comédie sous forme de fiction cette fois se retrouve encore dans le Prix Spécial du Jury où un botaniste libanais se rend à l’enterrement de son père mais s’en déconcentre totalement lorsqu’il commence à s’inquiéter de la santé des oliviers. The Trees (Les arbres) de Ramzi Bashour nous emmène dans une histoire de tradition et de vie parasitée par un virus.

Jeudi, 7e jour du festival, quelques prix ont déjà été dévoilés. C’est le moment que je choisis pour aller découvrir le livre illustré de Lia Bertels Ora et le feu qui concrétise le Prix Coup de cœur de l’illustration 2020, un des prix parallèles du précédent Festival offert à Nuit chérie par la Maison d’édition de livres jeunesse La Poule qui pond.

 

 

Lia devait « pondre » un petit livre afin qu’il soit prêt pour l’édition suivante du Festival. Ce Prix est à nouveau un peu belge cette année via la coproduction avec la France dans L’Odyssée de Choum de Julien Bisaro. On attend son livre jeunesse pour 2022. Son film a également reçu la Mention Spéciale du Jury Canal+ Family. www.lapoulequipond.fr

C’est aussi l’occasion rêvée pour vivre un « instant festivalier » au centre de la Ville, Place de la Victoire qui jouxte la Cathédrale. Après-midi de beau temps, tout autour de la place, les buvettes s’organisent et une petite douzaine de policiers bienveillants contrôlent que les plats et autres boissons s’emportent. Néanmoins quelques bancs accueillent des petits groupes masqués, qui se défont puis se refont au départ de la maréchaussée.

Au vu du couvre-feu, infernal, à 18h, le petit repas de fête avec une complice se fait à la sauvette après le passage chez l’Ecailler : sur quelques marches, un gobelet de vin blanc à la main, avec dans un plat en alu, quelques crevettes roses et une douzaine d’huîtres bien charnues. Le goûter incongru de 16h30 est succulent.

Venons-en à la Compétition Nationale qui regroupe 51 films produits ou coproduits avec la France. Et là, une fois n’est pas coutume, nous pouvons être fiers de compter une Française parmi nous. Alexe Poukine réussit en 40’ à nous émouvoir avec une histoire auto-biographique d’une grande justesse et qui tient cette distance. Avec son film Palma, tourné en petite équipe et avec une bonne part d’improvisation, un peu comme on l’apprécie chez Emmanuel Marre, elle décroche au passage le Prix Spécial du Jury et le Prix d’interprétation féminine. Pour ce dernier, j’ai regretté que la jeune Lua Michel n’y soit pas associée tant le binôme formé par elles deux porte l’histoire avec une sensibilité à fleur de peau. Alexe se met en scène en tant que maman éperdue et en galère à Majorque avec sa gamine à bout de bras. Wrong Men, la production belge, porte également la coproduction à bout de bras avec uniquement le tax shelter comme apport.

On a eu le plaisir de revoir Jean-Benoît Ugeux au générique d’un film, le sien. Abada démarrait la compétition en F1. Une tâche d’autant plus compliquée qu’à la différence d’une participation en présentiel, on ne sait comment fonctionne le bouche à oreille avec l’online. Un peu plus loin en F11, T’es morte Hélène était quasiment le seul film fantastique avec quelques images gentiment gores.

T'es morte Hélène

Petite curiosité, alors que très peu de films transpiraient la crise sanitaire, le palmarès les consacre. Le Prix du Public va au documentaire Confinés dehors de Julien Goudichaud qui va au-devant de ceux et celles qui au printemps 2020 n’avaient pas d’autres solutions que de rester dehors et de survivre dans de nouvelles conditions.
The Nightwalk de Adriano Valerio cumule le Prix Canal+ et celui de la Meilleure Musique Originale. En se reposant sur l’expérience vécue par le co-scénariste du film et des images documentaires, il nous confronte à la réalité angoissante de l’isolement que vit un homme qui vient d’emménager à Shanghai juste avant le confinement et que rien ne destinait à rester enfermé sans presque rien.

Que pourrait-on encore retenir de cette édition d’un Festival hors norme : que le film doit parvenir à vous faire oublier votre reflet sur l’écran. Celui-ci s’estompe proportionnellement à la diminution de la luminosité extérieure, une pièce d’habitation n’étant pas une salle occultée. Que l’online n’est pas bon pour le transit, faire des promenades est impératif (avant le couvre-feu). Que les yeux sont davantage sollicités et sortent de l’expérience avec une fatigue accrue (ça pique et ça pleure un peu !).

Le Festival aura connu une année mouvementée où se sont accumulés les défis. Il y a eu la passation de Présidence à la tête de l’organisation non sans quelques énervements. Exit le Diable, Jean-Claude Saurel, qui a présidé passionnément depuis 1999, surnom qu’il doit à un coup « diabolique » au baby-foot lors de sa période estudiantine. Bienvenue à Eric Roux, plutôt expert en gastronomie dont on sait qu’elle réunit souvent le non-marchand et ceux qui apportent les fonds, CQFD (?).

Puis, ce changement attendu de plateforme qui est un défi technologique de pointe avec, en parallèle, l’organisation d’une édition où l’incertitude dominait. Enfin, le remplacement progressif des aînés et fondateurs avec ce que cela peut engendrer de mouvements internes dans une équipe de caractère(s).

Il ne nous reste plus qu’à espérer que l’édition 2022 du 28 janvier au 5 février en revienne aux acquis avec néanmoins ce point d’interrogation : l’expérience de l’abonnement Grand Public qui a permis à un public non régional de découvrir les courts-métrages va-t-il créer un nouveau « besoin », une nouvelle forme de festival qui ne pourrait plus se contenter d’exister uniquement sur place, sans pour autant perdre une frange de son public ?

Palmarès complet : www.clermont-filmfest.org

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