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44ème Festival du court métrage de Clermont-Ferrand

Publié le 02/03/2022 par Thierry Zamparutti / Catégorie: Événement

Un renouveau qui préfigure une longue vie

2021, annus horribilis, avait confiné chez eux les assidus du Festival iconique du court-métrage mais n'avait pas découragé quelque 15.800 abonnés en ligne à visionner un programme à moitié aussi dense que lors des éditions précédentes. Ainsi, 415.800 vues ont été comptabilisées, ce qui démontre que, même assis dans son salon ou ailleurs, le public du court-métrage s'organise et fait son festival chez soi.

Le festival et ses invités

 

Cependant, pour 2022, la consigne était claire : plus d'online mais du présentiel uniquement, quitte à reporter. Ce qui n'a finalement pas été le cas et a permis, malgré les circonstances et un pass vaccinal ordonné par le gouvernement français quelques jours en amont, d'atteindre environ 100.000 entrées.

Moins à l'abri, l'incontournable 37e Marché du film, fut moins heureux avec quelques désistements la semaine précédant l'événement comme celui d'Israël par exemple. Son démarrage en demi-teinte le lundi matin laissait présager le pire mais finalement le bilan reste encourageant puisque les participants absents physiquement étaient actifs en ligne. Cela donne un total d'environ 3.100 professionnels qui, néanmoins, devront attendre encore une année avant de trinquer à nouveau ensemble. Parce que si tout cela a pu avoir lieu, c'est en suivant un protocole sanitaire strict dont étaient bannis les petites fêtes, les cocktails et autres joyeusetés réputées conviviales qui font également la bonne réputation du Festival. A contrario, un nouveau lieu a remplacé la célèbre brasserie qui naguère était THE place to be de la soirée et de la nuit clermontoises. La Comédie, collée à la Maison de la Culture offre deux nouvelles salles de respectivement 878 et 310 places. En son sein, une nouvelle brasserie permettait de contenir le public pour qu'il se sustente sans avoir à s'externaliser du quartier sanitairement protégé, constitué des désormais deux grands pôles d'attractions du Festival dont la sublime salle Cocteau qui fait trembler les réalisateurs et réalisatrices lorsqu'elle est pleine. Avoir la Première de son film devant 1.400 personnes, c'est flippant.

En ce qui concerne la Belgique, elle était surtout à l'affiche au premier plan. L'illustrateur hasseltois Brecht Evens faisait comme moi en 2021. Nous arpentions la ville curieusement déserte à cette époque de l'année où, en général, des gens affichaient leur badge d'accrédité-e. Il s'est inspiré et a nourri son imaginaire dans cette ville fantôme et l'a rempli de festivaliers, imprégnés d'un clair-obscur coloré. C'est une des plus belles affiches du Festival à n'en pas douter au vu du succès public qui en a épuisé le stock de son format A3 au quatrième jour. L'illustration de la prochaine affiche est confiée à l'auteure et réalisatrice portugaise Regina Pessoa, qui a magnifié le court-métrage d'animation ses dernières années.

 

Les écrans du festival

Pour en revenir à notre présence parmi 72 pays, on ne peut passer sous silence notre grande déception de ne pas avoir vu au palmarès de la compétition LABO, le film d'Olivier Smolders Masques. Détenteur d'un Vercingétorix d'Honneur qui lui fut remis en 2020, juste avant le yo-yo des confinements, Olivier Smolders en était à sa énième sélection, couronné par 4 prix majeurs dont le Grand Prix dans cette section en 2010. Ce film intimiste, partant du regard de son auteur sur le visage de ses parents à l'avant-veille et à l'heure de leur mort, est traversé par sa réflexion sur ce qui nous recouvre à la manière d'un masque et comment, au travers du temps et notamment du siècle dernier, ce masque s'est imposé à notre regard. Les gueules cassées de la Grande Guerre nous dérangent comme autant de monstres hideux peuplant nos cauchemars et des efforts énormes ont été mis en œuvre pour cacher l'indescriptible défiguration des hommes. Des enfants morts sont mis en scène tenu par leur mère cachée dans une sorte de drap. Des masques par-dessus nous dictent ce que nous devons voir. Le public dérangé est sorti malgré lui de sa zone de confort et quitte la séance dont c'était le dernier opus avec une persistance rétinienne étonnamment longue.

Mais voilà, le jury composé de l'Espagnol Alberto Garcia-Alix (www.albertogarciaalix.com), le Français Para One (principal compositeur des musiques des films de Céline Sciamma – Tomboy, Bande de filles, Portrait de la jeune fille en feu) et la Brésilienne Bárbara Wagner (barbarawagner.com.br) lui ont préféré Le Boug Doug de Théo Jollet pour le Grand Prix et Swallow the Universe de Nieto pour le Prix spécial du Jury. Deux films français à l'atmosphère hallucinée.

Le court-métrage de Théo Jollet est son premier film au sortir de l'ENSAD. En le traitant sous la forme d'un film musical incluant certains codes du documentaire, il nous entraîne dans l'univers d'une bande de potes qui végète dans le quartier autour d'un stade municipal. Parmi eux, Doug fait de la méditation transcendantale et vend de l'ecstasy. Et lorsqu'une sorte de sorcière à moto lui apparaît dont la seule bouche pulpeuse est visible, tout le reste étant caché dans une combinaison fétichiste, il tombe sous son influence. Le tout nous est raconté par un narrateur chelou fumant le narguilé qui parfois, même sous-titré en anglais, utilise un vocabulaire de banlieue quasiment incompréhensible.

Pour sa part, Nieto, de son vrai nom Louis-Ferdinand Nieto Peralta Adams del Rio Siete Colores né en Colombie en 1979, ré-expose dans son film (traduit en français par Engloutir l'Univers, chier une fourmi) son univers apocalyptique, plein de symbolisme et de délire. Partant des peintures de Daïchi Mori, il les rassemble pour raconter, de manière animée, une sorte de passage d'un jeune garçon à l'âge adulte.

Dans cette section, notre compatriote Olivier van Malderghem eut fort à faire avec son film Au circuit qui semblait flotter dans une atmosphère vintage anachronique. Influencé par le réalisme magique, il raconte en noir et blanc comment quatre personnages, un couple de jeunes et deux piliers de comptoir, au départ indifférents les uns aux autres, vont s'interpeller dans le cadre d'un circuit automobile (celui de Mettet pour les connaisseurs).

Avant d'entamer le palmarès de la compétition nationale française, il faut revenir sur le prologue du Jury Étudiant National à leur remise de prix. Alors qu'en 2004, en tant que président du Jury, Mathieu Amalric discourait sur le manque d'audace et d'originalité du cinéma français sous les huées d'une partie de la salle, les jeunes de cette année tenait un discours pas très éloigné pointant le manque de diversité et estimant ne pas se reconnaître dans les films proposés.

 

 

Or - mais fallait-il passer par là ? - le Festival vient justement de créer le Prix du Meilleur Queer Métrage. Il s'agit avant tout de mettre en valeur un film qui « au-delà des thématiques LGBTQIA+, présentera une ouverture sur un monde résistant aux normes, dont la confiance dans le cinéma apparaîtra aussi comme un gage de liberté » (source : catalogue du Festival). Le Jury spécialement dédié à celui-ci, le comédien Jonas Ben Ahmed, le président du Festival Ecrans Mixtes Olivier Leculier et la réalisatrice Pauline Pénichout, a récompensé Un corps brûlant de Lauriane Lagarde, un chassé-croisé entre jeunes d'une cité où une nouvelle arrivante, Line, amatrice de parkour, tombe amoureuse d'Inès. L'une sur les toits et sautillant par-dessus tous les obstacles et l'autre au sol proche de ses amis, maintiennent une distance au regard de leur voisinage jusqu'à ce que les réticences sautent.

Si Amalric n'a pas souhaité remettre de Grand Prix, ce ne fut cependant pas le cas de ce Jury Étudiant qui prima Le Roi David de Lila Pinell, un moyen-métrage de 43' qui décrocha conjointement le Grand Prix ! C'est l'histoire dramatique et non dépourvue d'humour de Shana, une jeune femme pleine de galères et de délires, qui peine à trouver du travail et veut s'en aller en laissant son passé derrière elle. Sur le temps d'une nuit, elle voyage entre ce désir et la difficulté de le réaliser. Pour ce faire, la réalisatrice part de la vie de l'actrice qui joue Shana, Eva Huault, qu'elle avait rencontrée lors de la réalisation de son premier documentaire au sujet d'une colonie de vacances. Les dix années qui ont suivi ont donné naissance au récit du Roi David. Essentiellement réalisatrice de documentaires à la particularité d'être assez bien mis en scène, Lila Pinell donne ici à sa fiction un côté documentaire.

Côté belge, on se réjouit de voir Son altesse protocole d'Aurélie Reinhorn récompensé par le Prix de la Presse Télérama. Présente dans les deux sections, Internationale et Nationale, c'est une coproduction France – Belgique entre LES QUATRE CENT FILMS et les Bruxellois de WHITE BOAT PICTURES. On y suit Wanda qui va vivre sa première journée de boulot dans un parc d'attractions. Jusque-là rien de véritablement exceptionnel sinon qu'elle porte le costume d'un nain féerique et va se faire coacher pour réussir son entrée en matière avec, au bout du compte, l'injonction au bonheur d'être elle et ce qu'elle représente. Évidemment, symbole même du travail précaire, ce nain ne pourra pas se retrouver dans cet univers-là et il résistera aux contraintes imposées pour se libérer de ce joug. En traitant ce sujet social par l'humour absurde, la réalisatrice n'en est pas à son coup d'essai puisqu'en 2020, elle obtenait  le Prix du Rire « Fernand Raynaud » et le Prix Canal+ avec son succulent Raout Pacha.

Moins heureux, mais pas moins apprécié, on a pu voir Titan de Valéry Carnoy, une coproduction des habitués du festival HELICOTRONC et PUNCHLINE CINEMA. C'est une histoire d'initiation à la manière de ce que l'on ferait dans un gang mais en plus gentil. Nathan a treize ans, en manque de repères. Il espère se faire accepter auprès du petit caïd du quartier mais les épreuves deviennent humiliantes et Nathan va devoir faire un choix. Titan de Valéry Carnoy - Cinergie.be

Une coproduction plus timide avec la France, la Palestine et le Liban par le biais de Loup Brenta (Cobalt Films) terminait une séance de sujets autour des femmes. Trumpets In the Sky de Rakan Mayasi montre toute la détresse des mariages arrangés. Alors qu'elle travaille dans les champs, la jeune Syrienne, Boushra, voit sa vie prendre un tournant violent lorsqu'elle rentre chez elle. Son enfance s'arrête là au pied d'un arrangement puant. L'idée est venue au réalisateur par sa grand-mère qui fut mariée de force à 14 ans. C'est malheureusement toujours d'actualité.

L'animation n'était pas en reste avec la sélection de Ronde de nuit de Julien Regnard. Également distributeur de courts-métrages à l'International, couronné l'année dernière par UniFrance et l'AFCA du Prix de l'Export, Autour de minuit est surtout un gros producteur de films d'animation depuis 2001 et s'est joint à SQUAREFISH pour soutenir la réalisation de cette histoire d'amour érotico-noire. C'est la descente aux enfers d'un mari jaloux et parano qui revient sur le lieu de leur déchirement à la recherche de sa femme après une violente dispute. Le film d'animation en noir et blanc montre comment on peut se construire un imaginaire foisonnant voire délirant alimenté par la jalousie et le désir. Pascal Giraud, diplômé de La Cambre et résidant à Bruxelles est un des piliers artistique et technique de ce projet cumulant diverses fonctions dont celle d'assistant réalisateur ainsi qu'au layout 3D, au compositing et à la direction artistique.

 

Ronde de nuit de Julien Regnard

 

En compétition internationale, nous n'avons malheureusement pas retenu l'intérêt du Jury. Notre présence n'était pourtant pas insignifiante.

Probablement Ir y Volver de José Permar aurait été plus à son aise dans la section LABO. Pas vraiment expérimental, ce documentaire reste cependant un essai très intimiste à la narration particulière qui lui donne un caractère d'ovni entouré de fictions dans un programme de 5 films. Cette production DOC NOMADS étiquetée Belgique, Mexique et Hongrie se trouve parmi les quelques films qui ont fait référence à la pandémie et la crise sanitaire. Le réalisateur se trouve coincé en Europe alors que sa mère se meurt au Mexique. Du coup, il raconte cette distance au travers de ses souvenirs qu'il exploite avec des images prises ça et là qui illustrent son cheminement mental.

À cent lieues du traitement précédent, la fiction animée belgo-canadienne (Belga Production – Braine L'Alleud) Marco & Polo Go Round du Canadien Benjamin Steiger Levine nous scotche à notre siège parce qu'elle envoie tout promener dans le ciel. Et de scotch, il en est question un peu partout dans le décor. Tasses, assiettes, plantes, portes, ... tout est attaché fermement. Ce détail n'échappe pas à Marco pour qui sa compagne, Polo, a préparé un gâteau d'anniversaire. Mais, au bord de la rupture, s'interpellant sur les failles de leurs sentiments, ils voient la gravité s'inverser et leur histoire devenir un brin surréaliste.

Autre et dernier film belge dans les paddocks, l'animation de Youri Orekhoff réalisée à La Cambre, Balaclava donne, en 7 minutes, un portrait de deux squatteuses aux dialogues bien trempés, aux ongles qui n'ont rien à envier à ceux d'Edward aux mains d'argent, nonchalantes à souhait dans une aventure qui resserre leurs liens affectifs de bourlingueuses en rupture.

 

Balaclava de Youri Orekhoff

 

Dans l'ensemble, cette édition aura montré une certaine constante dans les sujets et les traitements. Il n'y a pas eu de révélation extraordinaire et on a senti une production assez convenue et probablement plus lisse. Pourtant, il y a avait des sujets forts et justifiés par l'air du temps.

Le public aura été conquis juste une fois, débordant d'enthousiasme, applaudissant à tout rompre à chacune de ses projections, selon plusieurs témoignages. La comédie musicale d'Amélie Bonnin, Partir un jour, a totalement charmé les spectateurs au point d'être à nouveau chaleureusement applaudie lors de l'annonce de son Prix du Public auquel s'est ajouté le Prix de la Meilleure Musique Originale de la compétition Nationale. Avec Juliette Armanet et Bastien Bouillon, ce film mêle romantisme, légèreté, humour et charme. C'est l'histoire d'un gars qui est parti de sa campagne pour faire des études à Paris et qui y revient pour aider au déménagement de ses parents (dont le père est François Rollin). Entretemps, il a écrit un livre autobiographique et son retour lui impose des souvenirs amoureux alors que chacun a fait sa vie séparément.
Partir un jour - Regarder le film complet | ARTE

Palmarès complet : www.clermont-filmfest.org

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