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A Benoit Lamy, par un ancien élève

Publié le 01/05/2008 par Matthieu Reynaert / Catégorie: Hommage

16 avril 2008: “On a appris hier le décès inopiné d'un nom important du cinéma belge : le cinéaste Benoit Lamy avait 62 ans.” La RTBF eut raison de rappeler qu’il faisait partie de ces “véritables pionniers du cinéma belge, qui ont osé faire des films de fiction ayant pour décor Bruxelles ou la Wallonie, et avec en vedette des acteurs belges et ce dès le début des années septante. Telle dépêche évoquait le succès de son premier film Home Sweet Home, telle autre celui de La Vie est Belle et la musique de Papa Wemba, ou encore son dernier opus, Combat de Fauve, affrontement entre Ute Lemper et Richard Bohringer.

C’était il y a onze ans. Onze ans durant lesquels il lutta pour sa survie et pour bâtir son projet le plus ambitieux. J’aimerais profiter de ces quelques lignes pour évoquer l’homme que j’ai eu le plaisir de connaître, d’abord lorsque j’étais son élève à l’IAD, ensuite lorsque j’ai collaboré avec lui sur les bonus de l’édition DVD de ses films.

A Benoit Lamy, par un ancien élève

Caramba!”, hommage à Benoit Lamy

“Vous êtes Benoit Lamy ?”. Ce sont les premiers mots que je lui adressais, dans les couloirs de l’IAD à Louvain-la-Neuve. Et comment ne pas se poser la question ?! L’homme qui nous faisait face était entièrement revêtu d’une combinaison de sport verte. On aurait dit un prof de gym égaré. Le lendemain, il viendrait en complet veston, mais pour le moment il me répondait: “Oui. Et vous êtes mes élèves ? Allons-y !”.

Allons-y en effet ! C’était le début d’une fascinante semaine de “travail” avec lui. Nous oubliâmes tous bien vite l’intitulé du cours, peu importait. Assis à même le sol, nous écoutions cet homme intarissable, avec son incroyable sens du récit, nous raconter comment Pasolini avait essayé de coucher avec lui après qu’il l’eut convaincu de l’engager comme assistant avec son seul court-métrage de fin d’études encore sur le banc de montage, comment il avait organisé un dîner secret pour Claudia Cardinale et Jacques Chirac, ou encore comment il s’était fait voler tout son matériel de tournage par des rebelles rwandais avant de finir en slip devant l’ambassade de Belgique. On se doutait bien qu’il devait en rajouter, mais nous buvions ses paroles. Et après tout, nous causions cinéma, et si la légende est plus belle que la réalité, autant raconter la légende ! Surtout, il nous parlait, avec le cœur, d’un monde dont nous rêvions tous de faire partie, et il partageait, non pas des méthodes ou des théories, mais ses trucs pour obtenir d’un acteur ce qu’il voulait, ses boîtes à chaussures où il rangeait les photos de ceux avec qui il voulait travailler, ou ses nuits chez les putes avec Richard Bohringer! Et aussi des conseils, comme celui-ci, que je n’oublierai jamais: “Apprenez à être des auditeurs, pas des voyeurs”. Pour la première fois de notre parcours, on nous parlait concret et pratique. Et c’est bien ce qu’était Benoit, un homme du concret, qui vivait dans l’enthousiasme ou la déception, dans l’instant.

Très vite, il déroula sur le sol devant nous une immense ligne du temps, faites de collages divers, qui retraçait le voyage de Stanley le long du fleuve Congo. Ce projet, il le portait depuis si longtemps. Il faut dire qu’il avait vu grand : Go serait à la fois un long-métrage racontant l’odyssée du point de vue de l’explorateur, et une série télé la racontant de celui, nettement plus contrasté, des indigènes. C’est qu’il était amoureux de leur terre. Pour le rôle de Léopold II, il nous assurait avoir l’accord de principe de Sean Connery, un temps attaché au projet en tant que… Stanley. Au-delà de la tristesse, mon plus grand regret en apprenant sa mort, fut de savoir que jamais ce projet fou ne verrait le jour, que toute l’énergie qu’il y avait mise resterait suspendue dans les airs, comme un témoin de la tornade humaine qu’il était.

Car avoir l’occasion de mieux connaître Benoit Lamy, c’était vérifier qu’il était encore plus “bigger than life” qu’au premier abord. C’était trouver sa petite villa du Brabant wallon au bout d’un nombre invraisemblable de petits chemins (très) mal pavés, être accueilli par Cric et Crac, deux chiens si petits et qui arrivaient pourtant à vous sauter au visage en guise de bienvenu. C’était des voyages surréalistes jusqu’à Paris, enserrés à six dans une Classe A, pour, sublime cadeau, rencontrer Claude Jade, interprète de Home Sweet Home et muse de François Truffaut. À l’aller, il l’appelait “la vieille” et espérait qu’elle s’était décoincée avec les ans, au retour, il ne tarissait plus d’éloges sur cette femme splendide et spirituelle, autoproclamée vieille dame indigne.

Enfin, c’était rencontrer ses amis, le plus souvent des collaborateurs de longue date, et son compagnon qui l’avait accompagné tout le long de sa convalescence après qu’on lui eut, je cite, “ouvert le crâne comme un œuf”. Il en gardait une impressionnante cicatrice au sommet de son crâne chauve. C’était un survivant. C’est vers ces gens-là, qui m’accueillirent avec le sourire, que mes pensées se tournent aujourd’hui. Eux qui l’aimaient le mieux, qui étaient sans aucun doute responsables en bonne partie de cette énergie incroyable qu’il dégageait.

Las, Benoit (pas d’accent circonflexe sur le “i” s’il vous plaît), nous a joué son dernier tour. Sans doute “là-haut” raconte-t-il à une Claude Jade hilare comment il nous a tous bluffés en nous claquant entre les doigts sans prévenir, laissant Stanley, et son ami Noël Godin sur lequel il préparait un documentaire, orphelins. Je ne sais que dire pour conclure sinon citer une de ses expressions favorites, pour marquer mon étonnement et ma tristesse: “Caramba! Benoit Lamy est mort”.

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