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50/50 - Home sweet home de Benoît Lamy

Publié le 07/04/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Le premier long-métrage de Benoît Lamy, Home Sweet Home, sorti en 1973, raconte avec humour la révolte des pensionnaires d'une maison de repos. Le film connaît un grand succès populaire, obtenant quatorze prix internationaux et reste l'un des plus grands films du cinéma belge. Ensuite, Benoît Lamy signe Jambon d’Ardenne avec Annie Girardot ou encore La vie est belle, une comédie africaine cosignée en 1987 avec le scénariste congolais Mwezé Ngangura et accompagnée par la musique de Papa Wemba. Le dernier film du réalisateur, Combat de fauves est un huis-clos avec Richard Bohringer.

50/50 - Home sweet home de Benoît Lamy<br />

Anne Feuillère : Comment a commencé votre collaboration avec Benoît Lamy ?

Michel Baudour : Je l’ai rencontré sur le tournage du film de Pierre Laroche, Il pleut dans ma maison, où il était assistant réalisateur et où j’étais l’assistant opérateur de Manu Bonmariage. J’ai commencé à travailler avec lui sur Home Sweet Home et j’ai fait ses films suivants, à l’exception du dernier, pour des raisons de production. Quand il est mort, le projet de son nouveau film, GO !, était en train d’aboutir. Sa mort a été très dure. J’ai adoré travailler avec Benoît, c’était un vrai plaisir. Il avait une forte personnalité, il était pugnace, volontaire et très drôle. C’était un fonceur, un Ardennais quoi… (rires). Il n’avait pas du tout le tempérament d’un chef. Comme il le disait lui-même, il n’était pas un réalisateur mais un « inducteur » : il expliquait à ses collaborateurs ce qu’il voulait, les mettait en confiance et leur procurait l’espace pour donner le meilleur d’eux-mêmes ?. Il parvenait toujours à mettre les autres à l’aise. Je ne l’ai jamais vu se fâcher. C’était un type tellement généreux ! Il avait aussi un vrai talent de conteur, il racontait merveilleusement les histoires et enjolivait les faits. Mais il le faisait tellement bien qu’on ne l’aurait pas contredit !

 

A.F. : Quand le film sort en salle en 1973 , peut-on le considérer comme le premier grand succès public du cinéma belge ?

M.B. : Aucun film belge n’avait eu une telle carrière, il est resté huit mois à l’affiche ! C’est énorme ! Les gens étaient enthousiastes de voir un film belge différent. Les critiques étaient bonnes et le bouche-à-oreille a magnifiquement fonctionné. Et puis, il avait eu le Prix du Public à Moscou, ce qui est totalement incongru, mais pourquoi pas ? Cela veut dire que ce film est totalement universel. Mais ça a été un succès dans de nombreux pays. Il n’y a qu’en France où il a fait un flop. Parce que trois jours avant la sortie du film, le distributeur a voulu changer le titre anglais et l’a rebaptisé La fête à Jules, film dont personne n’avait entendu parlé jusque-là, puisque la presse avait été élogieuse sur Home Sweet Home. Ce titre lui donnait un air de comédie belge un peu lourdingue, un vieux truc des années 30 comme on en faisait en Belgique, un film un peu théâtral. Alors qu’Home Sweet Home, c’est une vraie tranche de vie !

 

A.F. : Qu’est-ce qui rendait le film si différent à votre avis à l’époque ?

M.B. : Cette idée exceptionnelle d’un Mai 68 dans une maison de retraite, déjà ! Cette révolte est racontée avec beaucoup d’humour, ça n’est jamais dramatique, même si certaines séquences sont dures. C’est un film populaire sans être populiste, bon enfant, clairvoyant et guerroyant, plein d’humour et de vivacité. Benoît a choisi des comédiens avec des caractères forts, dont Marcel Josz et Ann Petersen, qu’il a mélangé à des non professionnels. Au départ, il voulait faire le film avec les gens du home où nous allions tourner mais, comme il ne leur trouvait pas ce côté « spitant » qu’il cherchait, il est allé dans les Marolles chercher des gueules. Ce genre de situation, mélanger des comédiens et des gens qui vont jouer leur propre rôle, est tout à fait propre à Benoît. Il a fait ça dans tous ses films. La caméra de Benoît descendait dans la rue. Quand on regarde Home Sweet Home, on n’a pas l’impression que c’est une fiction, on a le sentiment de rentrer dans la vie de ces gens. Or, à cette époque, on tournait encore beaucoup en studio. Le cinéma belge était encore un cinéma très à la française, très ordonné, très pensé, littéraire. Le cinéma de Benoît était foutraque, frais, audacieux, vivant. Certaines scènes n’étaient pas écrites, mais se retrouvaient dans le film. Dans les années 70, nous avons beaucoup utilisé le zoom, un moyen d’écriture très adapté à notre manière de travailler. Je pouvais aller chercher un gros plan, caméra à l’épaule, bouger, régler la caméra, aller chercher quelqu’un d’autre... J’ai toujours appliqué dans la fiction, particulièrement avec Benoît, des méthodes de travail que j’avais apprises en faisant du documentaire et des reportages. Il y avait une vraie entente entre nous, nous nous entendions à demi-mot, nous formions un vrai tandem. D’ailleurs, je n’avais pas le sentiment de travailler avec lui, mais celui de toujours m’amuser. C’est un film qu’on a presque fait entre amis. La complicité était grande, non seulement entre les techniciens mais avec tout le monde. Et puis on s’est beaucoup amusés pendant le tournage et sans doute cela passe-t-il aussi à l’écran. 

 

A.F. : Que pensez-vous du film aujourd’hui ?

M.B. : Cela reste un film plein d'humour, de tendresse, drôle, tout en étant grave. Home Sweet Home n’a pas d’âge, il est toujours d’actualité, ce qui est une caractéristique de tous les films de Benoît que je trouve impressionnante. Et puis, je crois qu’on a toujours autant de plaisir à le voir, on en sort toujours avec la pêche…

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