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Anima 2013 Vie et mort dans tous leurs états – ou les joies de la transgression

Publié le 15/03/2013 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

À Anima, cette année, dans les courts métrages belges en compétition, on crevait à tout va ou on s'envoyait d'autant plus en l'air. Accidents en veux-tu en voilà, crashs, bites et culs employés très différemment, la mort était au tournant, et la vie, dans sa rudimentaire affirmation, tentait de faire contrepoids. On se demandait un peu interloquée si la programmation avait été faite par deux personnes, l'une absolument déprimée, l'autre tentant de la réconforter - ou une seule et même personne prise dans ce même mouvement d'auto-consolation radicale ? À moins que ces courts métrages de jeunes gens tout juste diplômés, au seuil de la vie, du monde et de l'avenir, ne viennent pointer, loin de tous discours politiques, qu'il faut se consoler tout seul de la noirceur ambiante ? C'est que les imaginaires qui se racontent ici sont traversés de pulsions crues, se mettent en jeu sur des modes existentiels bourrés d'humour, noir, potache ou poétique, et tentent tous, plus ou moins, de s'évader et de franchir les limites. Car tous les courts métrages belges, ou presque, cette année dans la compétition d'Anima, se construisaient, entre courses et échappées, sur des routes, à travers des voyages, des univers urbains traversés de trouées de lumière.

Chutes et accidents, de voitures ou d'autres sortes, la mort était donc au tournant ! Avec De Wake, sorte de rêverie doucereuse, angoissante, étonnamment sombre et limite malsaine, Pieter Coudyzer racontait le cheminement d'une culpabilité qui devait s'avouer à elle-même. On a failli nous aussi mourir, mais d'ennui, il faut bien l'avouer. Manon Brûlé, dans Flesh and Bones, balançait une voiture du haut d'une falaise, pour mieux s'amuser à jouer d'un corps désormais séparé de son ossature. Chair et os, donc, chacun de leur côté. Vaguement philosophique, Flesh and Bones, à l'esthétique graphique peu soignée, renoue quelque temps par son intrépidité et son énergie avec la vie pour mieux mourir, à nouveau ! Bouh ! Pas de mort dans Fallen, mais on n'est pas loin, puisqu'un type se balance du haut d'une tour pour une chute très décevante façon manga. Et si personne ne meurt non plus dans History Of Pets de Kris Genijn, ce film à l'univers très coloré façon origami japonais est la longue liste nécrologique de tout un tas d'animaux domestiques, où se défoulent dans ces chats, chiens, poissons et autres canaris laminés, toutes les pulsions de mort d'un large inconscient familial... Crado et rigolo, dessiné au stylo comme une blague d'ado sur un cahier d'écolier, Lander Ceuppens suit avec Eentje voor onderweg, le parcours d'un type qui veut se suicider par amour déçu, mais s'offre avant une grosse virée avec la faucheuse en mobylette. Et ça fume et ça boit et ça gerbe à qui mieux-mieux entre eux jusqu'à la fatalité. Pour la plupart, ces films sont bien loin d'un esprit de sérieux et tous abordent la mort avec énergie et humour, comme pour la sublimer, la compenser ou se réconforter à coups de taloches et d'éclats de rire.

Cumulant pulsion de mort et pulsion de vie, on a bien rigolé devant Once Upon a Time où un prince charmant très graveleux tentait de trouver sa princesse et en liquidait pas mal sur son passage pour finir, après les avoir plus ou moins toutes trucidées, avec une poupée gonflable... Éclaircie cul crue teintée de fausse noirceur, Satan la bite de Jeanne Boukraa est une sorte de lâchage vaguement sadien de tout un tas de petites pulsions sexuelles, dont il ne reste finalement que le sentiment d'une vague langue tirée dans le dos de quelques gens-comme-il-faut. Maintenant il faut grandir de Bruno Tondeur met en scène un nounours branleur qui fantasme sur une poulette derrière un écran d'ordinateur. Répétition ad nauseam de jeux-vidéos, de branlettes et de tchats amoureux... En effet, maintenant, il faut grandir. Si j’étais un homme de Margot Reumont, qui vient documenter la parole de quelques femmes qui s'imaginent homme, vient lui, bizarrement, éliminer toutes questions de libido sauvage, quand tout s'y prêtait, pour contextualiser la sexualisation des corps dans leur espace culturel. Un raccourci étrange tout de même. Mais un voyage imaginaire en tous cas.

La mort, l'amour et la vengeance se retrouvaient noués dans Betty's Blues de Rémi Vandenitte, une merveilleuse ballade dans l'univers du blues américain et ses racines, l'esclavage, magnifiquement maîtrisé, riche de petits détails rêveurs, à fleur de peau et de conte. Avec Cogitations qui documente la vision que se font, à Ouagadougou, quelques personnes de l'exil et de l'Europe et Cache-Cache, qui raconte, de manière très elliptique, la façon dont un enfant palestinien se rêve en héros, Betty's Blues était l'un des rares courts métrages de cette sélection à tenter de saisir quelque chose de notre histoire contemporaine. De manière plus philosophique, Robbe Vervaeke dressait le portrait d'une ville moderne et, à travers son personnage, Norman, celui d'une différence. S'il y avait encore des voitures, il n'y avait pas vraiment d'accident. Mais des conflits et du sang entraînaient ce petit film expérimental visuellement très riche vers les confins d'une peinture abstraite, dans un univers urbain entre Cronenberg et Lynch. Un film étonnant, sans leçon philosophique ni rien de potache. Mais c'est Oh Willy qui remporte la palme du jury Cinergie et qui, sans doute, réussit assez magiquement, à travers son univers doux et pelucheux, à enceindre toutes les questions qui se seront posées dans cette sélection. Willy est un grand et gros garçon qui débarque dans le camp naturiste où sa mère en train de mourir l'appelle à son chevet. Mais elle meurt et, tout nu, Willy se perd dans la forêt voisine et chemine comme en rêve dans une nature sauvage, vers une régression en forme de renaissance. Oh Willy cumule tout ce qui était sous-jacent aux autres films de la compétition, en réussissant à nouer ce lien entre Eros et Thanatos, mort et sexualité, mais il le portait poétiquement et doucement vers le parcours initiatique et le conte philosophique, avec délicatesse, humour et modestie. Car tous les films de cette sélection, s'ils échappaient à la règle des inconscients bourrés de pulsions de vie ou de mort, mettaient en scène des trajectoires douces ou violentes, des voyages entre univers urbain et monde féerique, vie et mort, homme ou femme. Chutes comme Flesh and bones ou Fallen ; courses comme Eentje voor onderweg, Once Upon A Time ou Do You Have Your Ticket ?!, la folle course-poursuite entre deux robots dans un train ; échappées oniriques comme Deux Îles, une méditation poétique et philosophique sur l'isolement de l'individu et du couple dans un univers urbain angoissant, La chute, une sorte de conte très naïf et enfantin, assez magique, entre univers urbain et forêt, Norman, De Wake ou Oh Willy, voyage dans le temps comme Betty's Blues ou voyage dans l'espace comme Cogitations, c'est ce motif de la traversée, entre différents mondes, sexes, époques, entre la vie et la mort, ou l'inverse, qui aura été le motif de cette année... À suivre, donc, quand les limites auront été franchies, que tout aura été traversé et que nous nous serons consolés de nos noyades...

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