Antonin De Bemels : Vidéochorégraphies
À 33 ans, le jeune vidéaste a déjà réalisé de nombreux films et remporté plusieurs prix dans les festivals du monde entier. Vidéos, scénographies, masques, installations autour d’une même problématique : dépasser les logiques du corps pour interroger le mouvement lui-même. Grâce à des distorsions parfois radicales, les images nous révèlent une autre dimension de l’être humain, son espace intérieur, sa diversité, son étrangeté et son rapport sensible au monde et aux autres. Une recherche qui tient parfois d’une bataille et oblige à ouvrir les yeux au-delà des apparences.
Vertiges du dédoublement, répétitions du geste jusqu’à l’abstraction, montages stroboscopiques saisissant le mouvement au vol, gros plans envahissant l’espace vital, les vidéochorégraphies d’Antonin De Bemels sont des expériences sensibles, hypnotiques donnant au corps l’espace qui lui permet de déployer ses mystères, entre extériorité et intériorité.
Définition
Il est difficile pour moi d’expliquer ce qu’est une « vidéochorégraphie », de ne pas tomber dans une définition banale ou évidente, du genre une vidéo dont le sujet est une chorégraphie. Je pourrais dire, pour être plus juste, que c’est une réécriture du mouvement par le moyen de la vidéo.
J’ai commencé à m’intéresser à la vidéo lorsque je suis entré à l’ERG. J’ai été très impressionné lorsque j’ai découvert le travail d’artistes plasticiens, des Belges surtout, tels que Jacques Louis Nyst ou Jacques Lizène qui ont été les véritables pionniers de l’art vidéo en Belgique.
Dès le départ, j’ai eu envie de travailler sur l’image du corps. Dans nos sociétés, une distance s’est établie, non seulement par rapport au corps de l’autre, mais aussi par rapport à son propre corps. Je voulais franchir une sorte de barrière et j'ai trouvé, dans la vidéo, un moyen efficace d'y parvenir. Cela m’a tout naturellement conduit à m’intéresser à la danse contemporaine et à travailler avec des danseurs comme Bud Blumenthal, Ugo Dehaes ou Mélanie Munt. Pour moi, corps, mouvement et vidéo sont complètement liés. Ils sont même indissociables dans la recherche que je poursuis.

Ce qui m’intéresse, c’est de toucher le spectateur dans sa sensibilité et pas par l’unique voie du cérébral. Je veux mettre le doigt sur des sensations spécifiques et essayer de reproduire et de transmettre des émotions physiques par le biais de la vidéo, grâce aux possibilités qu’offrent ce médium.
Dans le cinéma classique, peu de réalisateurs travaillent sur la spécificité du médium. Les attaches littéraires sont encore très présentes dans la plupart des films et le dispositif cinématographique sert surtout à raconter une histoire. Dans le cinéma que l’on appelle « expérimental » au contraire, les cinéastes / vidéastes ne suivent pas un schéma narratif et s'attachent plutôt à la forme ou au concept, souvent au mépris de l'émotion. J’essaie en quelque sorte de me situer entre les deux… de toucher par la forme.
Quand je travaille sur un film, le son et l’image ont la même importance. Je travaille toujours les deux conjointement. Je ne pourrais pas imaginer faire un montage image sans son et coller le son ensuite. C’est un tout, une façon de brasser la matière.Fusion

Mythologies
Il y a des références à la mythologie dans mon travail. On les retrouve par exemple dans des titres comme Les Entrailles de Narcisse ou Lilith qui a été projeté sur les murs de la chapelle des Brigittines. Ce n’est pas véritablement quelque chose de conscient chez moi… Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que dans chacun de mes films, j’essaie de me concentrer sur une idée, une sensation. C’est peut-être là que se trouve le rapport avec les personnages mythologiques qui sont, eux aussi, la représentation d’une idée, des figures symboliques.

Déconstruire pour reconstruire
Contrairement à la mythologie, l’idée de déconstruire pour reconstruire est une idée consciente qui est la base de tout mon travail. J’essaie de repousser le corps dans ses derniers retranchements. Il y a quelquefois un aspect violent dans mes films, parce que j’invite les gens à entrer dans la matière, à aller plus loin dans le regard. Il s’agit de brasser la matière pour en extraire un sens, et aller au-delà des apparences, de brasser la matière corporelle pour découvrir des choses que l’on ne s’attend pas à trouver. Ce que l’on découvre ne se traduit pas en mots, mais en sensations. Et ce sont les moyens techniques qui me permettent ces découvertes.
Une des techniques que j’utilise depuis longtemps est le montage stroboscopique. Ça continue toujours à me fasciner parce qu’en donnant plus d’informations que l’œil et le cerveau ne peuvent en assimiler, j'obtiens une implication réelle du spectateur qui va se retrouver alors confronté à un choix. Que doit-on regarder si l’on n’a pas la possibilité de tout voir ? C’est, en quelque sorte, une expérience qui se renouvelle à chaque projection et c’est au spectateur de tirer ses propres conclusions de l’expérience.Il est clair que je cherche les états auxquels on peut arriver par les mouvements du corps, l’accumulation ou la décomposition du mouvement vue comme une quête d’identité. Dans Il s’agit, l’idée était de montrer que l’être humain est multiple, qu’il est composé de plusieurs entités qui essaient de se synchroniser. Le personnage commence donc divisé et par un mouvement d'abord chaotique, puis de plus en plus organisé, parvient finalement à "rassembler ses esprits"...
Pour plus d’informations : http://www.6870.be/