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Atelier Graphoui

Publié le 06/06/2017 par Sylvain Gressier / Catégorie: Dossier

Accueillis à Graphoui par Ellen Meiresonne et Kim Van Volsom, nous faisons le tour du propriétaire de ce nouveau pôle de création audiovisuelle située à quelques pas de la place Bockstael au nord de Bruxelles. Entre les ateliers de chants féministes, la compagnie des bureaux de productions tels que Cobra Films ou On Mouv' prod et le va- et-vient de la cuisine, s'affaire l'équipe de Graphoui.

« Graphoui est un atelier de production, c'est aussi un CEC ( pour Centre d'Expression et de Créativité ), la différence serait que l'atelier de production se concentre sur des auteurs avec un point de vue d'auteur, des films très spécifiques et personnels tandis que le CEC est plus ouvert à des groupes qui réfléchissent autour d'un thème et que l'on aide à trouver un moyen d'expression, le plus souvent sous la forme d'un film d'animation. Des aveugles qui veulent réfléchir sur qu'est que la tactilité par exemple.

Ces deux piliers de Graphoui ne sont pas séparés. ll y 'a un continium des groupes aux auteurs et des auteurs aux groupes, on peut évoluer d'un point de vue à l'autre.

En général nous travaillons sur des projets aux réflexions plutôt citoyennes, comme « Être dans la ville ». Depuis deux ou trois ans on mène une réflexion sur les lieux communs. On est en demande de projets qui s'inscrivent dans une réflexion sur le lieu commun dans le sens large, un motif qui n'est ni cadenassé ni contraignant, et qui donne des choses assez riches. 

Ellen Meiresonne et  Kim Van Volsom , atelier GraphouiCe qui nous permet d'avoir des films qui se nourrissent entre eux. On essaie de questionner le rapport au réel. On ne fait pas, par exemple, de la fiction pure avec une petite narration. On est très ouverts à la forme des films mais toujours avec un rapport au réel, soit du documentaire, en général un peu hybride. On n'est pas dans des schémas formatés. On essaie de réfléchir au langage, c'est le sens de notre travail :aider les auteurs à chercher leur langage. On accorde une grande importance au processus, à la méthodologie. »

Chemin faisant nous rencontrons dans l'atelier d'animation un duo d'artistes congolais en résidence pendant deux mois, affairés à la réalisation d'un film d'animation. « Nous travaillons sur base de pierre et métal rouillé et tout est mis en scène sur une forme de plaque métallique sur laquelle on fait des dessins à la craie, c'est en fait une combinaison de tout ça et d'autre matériaux de récupération. »

Ellen commente : « C'est un projet qui se raccorde à cette idée de réflexion autour du lieu commun. Leur projet est rentré via un comité de lecture, c'est aussi un partenariat avec le WBI qui permet d'inviter des boursiers en résidence. L'atelier Graphoui a toujours eu un grand lien avec l'Afrique, on a aidé par le passé beaucoup de réalisateurs venu de ce continent. 

La visite des lieux continue. Nous passons du studio green key à la réserve de matériel. L'espace est vaste et bien équipé, ce qui permet une grande souplesse dans le suivi des productions. «Il y a  du matériel image que l'on met à disposition des auteurs. Il y a des projets qu'on soutient vraiment mais parfois on se contente de donner des coups de main si quelqu'un a besoin d'éclairage ou d'une caméra pour quelques jours. C'est important pour nous de pouvoir être flexibles face à ces demandes, sans devoir passer par une commission. »

Suivent les cellules de montage, vidéo et de création sonore, les bureaux de production, diffusion et autre bibliothèque. On se remet de ce marathon en posant bagage dans une des salles où se poursuit la discussion en compagnie de Kim Van Volsom, chargée de la coordination et de la diffusion.

Cinergie : Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots la spécificité de l'atelier Graphoui?
Graphoui : Graphoui est né comme une entreprise d'animation vidéo qui a évolué en atelier. Depuis quinze ou vingt ans, le son a pris également une part très importante. On ne fait pas de la fiction on fait plutôt des films documentaires ou avec des questionnements sur le réel. On est très ouverts à la forme et donc on cherche à soutenir des œuvres pour lesquels les auteurs sont à la recherche de leur langage. La forme d'expérimentation peut être infime ou très large. Je dirais qu'on est peut être l'atelier qui est le plus ouvert au film expérimental. Mais ce mot a un certain poids. On ne parle pas de films d'avant-garde mais de films hybrides, qui se trouvent entre plusieurs genres. On se définit comme un laboratoire d'expérimentation d'images et de sons, notamment via des résidences d'artistes qu'on accueille ici et des projets sélectionnés lors des comités de lecture.

C. : Il y a trois ateliers de la Fédération Wallonie Bruxelles qui travaillent essentiellement dans l'animation : Zorobabel, Camera-ect et vous n'est-ce pas? Qu'est ce qui vous différencie ? Par exemple qu'est ce qui ferait que quelqu'un viendrait présenter un projet chez vous ou plutôt chez Zorobabel?
G. : Il y a des similitudes évidemment, ils font par exemple aussi des films collectifs mais ils font peut-être plus de recherche formelle. Chez nous tout n'est pas forcément en images animées. Parfois il y a de l'image animée dans des films en prise de vue réelle. Notre critère c'est vraiment l'ancrage dans le réel. On reste exclusivement dans le documentaire. 

C. :Pourquoi ces choix de favoriser l'expérimentation, le son, le documentaire?
G. : C'est né il y a quelques années avec ma prédécesseur Maria Palasios Cruz. C'est elle qui a vraiment mené ce mouvement. Souvent on a par exemple un peintre qui fait son premier film ou un sculpteur. Ces personnes ont souvent une autre approche de ce qu'ils veulent faire avec le médium audiovisuel.

Ellen Meiresonne, Graphoui

Il y avait une personne très importante qui est maintenant à la retraite qui est Christian Copin qui a vraiment développé ce laboratoire de création sonore, "d'images sonores" comme on l'appelle chez nous et qui faisait aussi bien des créations sonores "pures" que des créations sonores pour films. Sa théorie était d'autonomiser l'auteur, donner des moyens légers et pas trop compliqués qui lui permettent de devenir autonome pour savoir mieux communiquer avec les techniciens avec qui il va travailler. Souvent on incitait les gens qui s’apprêtaient à faire un film à réaliser avant une création sonore, afin de stimuler l'imaginaire, de les obliger à mettre la main à la pâte. De là est venue l'idée d'expérimenter, de créer, d'oser de faire des choses moins classiques, où il n y a pas forcément une réflexion narrative linéaire. Je pense que cette façon de travailler a aussi inspiré le studio d'animation. Comme on est un vrai collectif, on fonctionne d'une manière complètement horizontale, et on y tient.

On s'est auto-inspiré des pratiques des uns et des autres, A la base, les fondateurs de Graphoui étaient des étudiants en animation de la Cambre, ils ont lancé Graphoui pour faire de l'expérimentation. On est toujours resté dans cette même motivation, cette même démarche d'essayer de nouvelles choses tout en élargissant les pratiques au fil du temps. Au départ, ce n'était que de l'animation puis c'est  devenu des films documentaires, c'est devenu aussi des films d'ateliers, la part création sonore est devenue de plus en plus importante et Graphoui a grandi de manière assez organique en se nourrissant des pratiques des uns et des autres. 

C.: En pratique, quel est votre public? 
G. : On est des réalisateurs qui viennent de secteurs très variés. On est aussi bien de jeunes réalisateurs qui sortent d'écoles, des artistes plasticiens ou des artistes issus des arts de la scène. On n'a pas spécialement un public type.

On a aussi envie que  les réalisateurs qui font appel à notre soutien ou à l'atelier puissent oser le faire sans avoir un bagage audiovisuel préalable. La volonté d'ouverture est toujours là et on essaie coûte que coûte de la maintenir.

On est aussi assez sensible aux projets dont on pense qu'ils sont assez difficilement finançables, je pense que c'est un rôle particulier pour nous en tant qu'atelier, ce sont des projets qui présentent un risque économique et comme nous on a quand même une structure de base je trouve que c'est important de donner une chance à ces œuvres là, car pour un producteur particulier ce serait un peu risqué car il trouverait peut-être pas facilement du financement. 

Kim Van Volsom , atelier GraphouiIl n y a pas de techniciens purs chez nous, on est tous un peu artistes. On n'est pas là simplement pour prêter un câble ou expliquer des boutons. C'est toujours dans une démarche de réflexion créative. Par exemple un jeune auteur en salle de montage, recevra un dialogue, un coaching. On se considère comme des accompagnateurs artistiques.

Il y a des projets pour lesquels on va chercher de financement mais pas forcément pour tout, on a des projets pour lesquels on fait juste un suivi.

On a une réalisatrice qui travaille ici, depuis trois ans, trois à quatre fois par semaine. Elle vient dessiner, mais elle n'a pas envie d'avoir ce stress du financement. La patience de l'accompagnant ça compte aussi. On ne met pas de hiérarchie entre les projets pour lesquels on trouve un financement et qui sont considérés comme « plus grands », mais avec lesquels tu as une certaine pression parce que tu dois rendre des comptes évidemment, et les projets qui sont plus "petits" sur lesquels on travaille souvent dans le temps.

Ce qui est aussi important c'est avoir ce lieu. Ici les auteurs se fréquentent. Il y a beaucoup de synergie, d'échanges, on se sent comme une terre fertile. On peut suivre des processus, on peut proposer des formations par rapport aux projets, pas des formations techniques larges mais spécifiques. Les échanges se font aussi autour de la table de la cuisine. Des personnes se sont rencontrées ici et, ensuite, elles ont travaillé ensemble. C'est chouette !

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